La clef de Gaïa (Critique)

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Un spec­ta­cle de Lina Lamara.
Met­teur en scène : Cristos Mitropoulos.
Lumières : Maxime Roger.
décor : Chris­t­ian Courcelles.
Directeur Tech­nique : Vin­cent Para.
Avec : Lina Lama­ra & Pierre Delaup.

Résumé : Grandir avec deux cul­tures, entourée de femmes et ne rêver que d’une seule chose : devenir chanteuse de soul. Voilà l’histoire de celle qu’on appelle Gaïa qui nous ouvre les portes de ses sou­venirs avec sa mémé : Mouima. Avec Mouima, on par­le d’amour, on cui­sine, on se rit des hommes… Plus Gaïa grandit, plus le passé de Mouima rejail­lit. Plus Gaïa devient une femme et plus Mouima se rap­pelle de celle qu’elle était. La musique devient leur témoin, les chan­sons leur passerelle du présent au passé, du sou­venir aux rêves.

Notre avis (écrit en 2015) :

Au pied de Mont­martre, dans une ruelle som­bre, la Man­u­fac­ture des Abbess­es accueille cet hiv­er un décor bien peu parisien. On devine à l’or­eille un feu qui crépite, la pénom­bre impose les mur­mures, le vent se laisse imag­in­er au loin, et une tente berbère invite au voy­age… Comme une veil­lée sous le signe de l’Ori­ent. « Nous nous sommes arrêtés pour nous repos­er, dans notre quête vers la clef de Gaïa » con­fie mys­térieuse­ment un con­teur (Vin­cent Escure), « elle ouvre toutes les portes ».
Cette quête intri­g­ante est en réal­ité un chem­ine­ment, un par­cours, une his­toire. Celle de Gaïa, jeune fille à la peau cuiv­rée et aux cheveux d’ébène. Née d’un père algérien et d’une mère andalouse, son vis­age a le reflet de la méditer­ranée. Dans son enfance, elle a pris racine à l’om­bre de sa grand-mère, partageant avec elle une com­plic­ité, échangeant des con­fi­dences, bâtis­sant son exis­tence et apprenant la vie. Et voilà que sous le lourd tis­su ten­du, les images sur­gis­sent, les anec­dotes revivent et les sou­venirs des deux femmes refont sur­face par la voix de l’héroïne.
La pré­pa­ra­tion de la tchek­tchou­ka pour le grand repas famil­ial, la sor­tie au ham­mam où les femmes de tous âges se retrou­vent, les change­ments de son corps, Gaïa décou­vre des tra­di­tions, apprivoise les cou­tumes, et avance sur son chemin, ten­ant dans sa main les doigts frag­iles de son aïeule. C’est alors l’ado­les­cence, le temps des hommes et des dieux… La jeune fille branchée de la ban­lieue lyon­naise se trou­ve face à sa grand mère née sur le sable du Maghreb, sous le vent algérien… le même sang, les mêmes racines, la même cul­ture, mais deux généra­tions, deux mon­des, deux vies qui se dessi­nent. L’amour va cepen­dant les réu­nir. Car il y a bien longtemps, sous le soleil d’Alger…mais chut, c’est un secret.
Par­ti­c­ulière­ment soignée dans sa mise en scène, drôle et pro­fond dans ses textes, remar­quable­ment inter­prétée, La Clef de Gaïa est une mag­nifique décou­verte. Entre con­te, voy­age et con­fi­dence, son auteur, com­pos­i­teur et rôle prin­ci­pal, Lina Lama­ra offre un réc­it sincère et touchant. Elle se livre avec sim­plic­ité, por­tant sur son his­toire un regard lucide, réal­iste et affectueux. Cam­pant tous les per­son­nages avec un sens du jeu par­fait et d’ex­cel­lentes mim­iques, Lina Lama­ra accom­pa­gne son texte de chan­sons en arabe, en anglais ou en français. L’imag­i­na­tion s’é­vade alors aux pre­miers accords de gui­tare de Pierre Delaup. Par delà les anec­dotes per­son­nelles, se glis­sent évidem­ment en fil­igrane la ques­tion de l’i­den­tité et du mélange des cul­tures. Mais tout en finesse, sans aucun prosé­lytisme ou sen­ti­men­tal­isme moral­isa­teur. Les uns s’y retrou­veront, les autres décou­vriront, tous se lais­seront emporter par cette réflex­ion sur les orig­ines et le temps qui passe.
Regard perçant et pro­pos énig­ma­tiques, le con­teur, qui parsème les anec­dotes de regrets, d’e­spoirs et de poésie, glisse autant d’indices au pub­lic. Pour le met­tre lui aus­si sur le chemin qui con­duit au désert et peut-être à la clef…
Comme un hom­mage aux racines, la Clef de Gaïa est tout sim­ple­ment un beau spec­ta­cle. Un instant sus­pendu, qui apaise, réchauffe et donne envie de se met­tre en marche. Sous cette tente berbère, Mont­martre est tout proche, Mont­martre est si loin !