Dans l’atmosphère délirante d’un cabinet d’avocats pas comme les autres, un coursier rocker, un patron baryton, deux secrétaires plus « latino » que « dactylo », une femme de ménage « flamenco », un assistant « cabaret » et une stagiaire effarée chantent, dansent et jouent au loto au lieu de bosser. De nombreux clins d’œil aux grandes comédies musicales émaillent le tableau. La chance sourit à ces protagonistes déjantés.
Notre avis : Nous avons sur notre site déjà tant écrit sur ce spectacle (la dernière fois en 2019 au même Théâtre La Bruyère)… et, à chaque fois, la même conclusion s’impose : il faut aller (re)voir Chance !, régulièrement à l’affiche depuis sa création il y a déjà… vingt ans. Quelle autre pièce musicale de ce format peut se targuer d’une telle longévité ? Les deux décennies de succès et d’enthousiasme publics pour ce que nous qualifiions déjà de « phénomène » en 2004 s’expliquent indubitablement par une qualité du livret et de la musique, une finesse dans l’écriture des textes et une précision dans la mise en scène – chorégraphies comprises. Entièrement chantée et donnée dans une version acoustique (comédiens sans micro accompagnés de trois musiciens sur scène), la pièce auréolée en 2019 du Molière du spectacle musical s’avère toujours un régal d’amusement.
Si certains détails ont été modifiés pour coller à notre époque, le cadre originel et atemporel du cabinet d’avocats peuplé de créatures loufoques en proie à leurs délires passe la rampe des années sans perdre une once de bonne humeur communicative. L’histoire farfelue se déplie avec toujours autant de jubilation et d’humour bienveillant – de l’absurde, de la parodie, du comique de situation ou de répétition. Les chansons et les rythmes n’ont rien perdu de leur entrain – opérette des Boulevards, ballade sentimentale, rock à la crooner, valse de guinguette, cancan façon Moulin Rouge ou chansonnette de variété. Les personnages restent ô combien attachants et bénéficient, pour être incarnés, de comédiens qui s’investissent pleinement. On pourrait croire que les les alternances à chaque reprise ou les changements de distributions depuis la création viendraient émousser la vitalité des représentations ; au contraire, le niveau de jeu demeure au sommet et la dynamique sur scène gagne même en richesse par les différentes combinaisons entre les six personnages. La présence au piano certains soirs d’Hervé Devolder lui-même (déjà aux manettes de son nouvel opus, La Crème de Normandie) témoigne de l’attachement affectif du créateur pour son œuvre et ceux qui la font vivre. D’ailleurs, le soir où nous y étions, il profite des applaudissements au rideau final pour mentionner d’un ton presque confidentiel mais manifestement joyeux, comme si nous étions entre nous – en famille –, qu’après vingt ans d’existence un nouveau nom est venu rejoindre, pour cette représentation, la longue liste des soixante-quinze comédiens qui se sont succédé à l’affiche. Qui l’aurait cru tant Jeanne Jerosme surfait sur les mêmes vagues débridées que ses comparses Carole Deffit, Julie Costanza, Grégory Juppin, Arnaud Léonard et Alexandre Jérôme-Boulard ? Nouvelle preuve, s’il en fallait, du savoir-faire de toute une équipe.
Oui, il faut absolument aller (re)voir Chance !. Pas seulement pour soutenir des artistes visiblement radieux de remonter sur scène après deux représentations annulées et des cas positifs qui continuent de roder. Mais surtout pour se faire plaisir, pour lâcher prise, pour oublier la morosité, pour swinguer sans contrainte dans son fauteuil, pour chanter à tue-tête et hurler de rire derrière son masque. Jusqu’au 15 janvier 2022, du mardi au samedi au Théâtre La Bruyère, et aussi le 31 décembre au Théâtre de l’Odéon à Marseille.