Comment avez-vous vécu ces dix-huit derniers mois ?
La période a été très compliquée humainement et personnellement pour chacun. Personne n’était prêt à cela. J’en retiens une leçon : la résilience de l’être humain. Nous avons tous résisté. Sans savoir. Ici, nous avons réussi à tenir grâce au fait que l’on appartient à un groupe, reconnaissons-le, et grâce aussi au soutien fort du gouvernement, qui a vraiment aidé les institutions culturelles.
Pour nous, la plus grande difficulté a été l’incertitude, le flou total. Le spectacle a été décalé deux fois. Il a fallu maintenir le lien avec nos spectateurs, qui étaient nombreux à avoir acheté des billets, les rassurer… Même si tout le monde a compris, il y avait de la déception. Leur impatience est d’autant plus grande.
Aujourd’hui, remettre tout le monde au travail dans notre lourde machine est compliqué… C’est difficile de reprendre le rythme. Il y a donc beaucoup de social, de présence, pour accompagner les équipes. Avec les premiers applaudissements, tout cela sera derrière nous.
Justement, pourquoi le retour du Roi lion ?
Cela fait quinze ans que nous l’avons lancé. Nous avons eu, depuis, de nombreux retours ; Beaucoup qui ne l’ont pas vu, le réclamaient. Et puis, ce spectacle a laissé une empreinte très forte, car c’est celui qui a fait l’ouverture de Mogador. On voit aussi le succès rencontré chez nos voisins, en Espagne, en Allemagne, où il est à l’affiche depuis dix ou vingt ans. Il n’y a pas de raison que la France ne puisse pas prendre ce chemin-là, même si ce n’est pas l’objectif premier. Il s’agit déjà de relancer ce spectacle qui réunit certainement les plus grandes qualités d’une comédie musicale et qui s’adresse à un public très large, de tout âge, de tout milieu. C’est cela qui doit permettre aussi d’asseoir la comédie musicale à Paris.
C’est vous qui avez pris la décision ?
Il y a trop d’enjeux derrière le lancement d’un spectacle. L’envie vient d’ici, en effet. Mais ensuite, il y a eu des discussions avec Stage, avec Disney… Sans oublier les innombrables paramètres pratiques et opérationnels : la disponibilité des équipes créatives, des décors, des costumes… Une programmation se fait deux ou trois ans à l’avance. En comptant les dix-huit mois d’arrêt, Le Roi lion est donc prévu depuis plus de quatre ans.
Après l’épisode du Fantôme et l’accueil mitigé de Ghost, y a‑t-il une raison économique à ce retour ?
L’économie, le financier, font toujours partie de la réflexion lorsque l’on décide de faire un spectacle. Mais ce n’est évidemment pas la raison première. Nous n’avons qu’un seul spectacle sur la saison entière. Nous jouons tout sur un seul titre et n’avons pas droit à l’erreur. Le Roi lion est un titre fort. Nous le voyons avec les préventes et les 80 000 billets déjà vendus. Mais c’est un très gros investissement, le plus gros certainement. Ce sont des millions d’euros et des dizaines de personnes mobilisées. Chaque production est toujours un pari. Celle-ci est ambitieuse.
Parlons du spectacle. Y aura-t-il des changements par rapport à la version de 2007 ?
Le public retrouvera exactement ce qui en fait la féerie et la magie. La mise en scène sera quasiment identique, le décor aussi. Seule l’adaptation – toujours signée Stéphane Laporte – a évolué. Elle sera beaucoup plus proche du dessin animé. Notamment dans les chansons. Nous avons entendu les remarques à l’époque, de tous ceux attachés au dessin animé. Nous avons réajusté.
Le grand changement, c’est évidemment la troupe. Elle sera entièrement nouvelle, sauf Scar, toujours interprété d’une manière exceptionnelle par Olivier Breitman.
C’est intéressant de noter comme le cœur des artistes de comédie musicale a d’ailleurs évolué depuis quinze ans. Ils se sont professionnalisés. On le voit dans les castings, avec des artistes beaucoup plus forts, plus matures, plus confiants. Regardez tous ceux qui sont allés jouer à Londres, à Broadway : Jean-Luc Guizonne, Sarah Manesse, Emmanuelle N’Zuzi…
La troupe de cette saison (Gwendal Marimoutou, Alexandre Faitrouni, Cylia, Sébastien Perez, Rodrigue Galio…) est à la hauteur des pionniers de 2007. J’y ajoute les huit Sud-Africains qui apportent énormément. Leur présence est définie dans le cahier des charges en raison de leur spécificité vocale, particulièrement pour le rôle de Rafiki, ou pour l’ensemble que l’on voit notamment dans « One by One ». Par leur origine, ils apportent et portent l’ADN du show. C’est très fort humainement. Cette diversité est une richesse. N’oublions pas enfin notre fidèle orchestre, les quinze musiciens, dirigés par Dominique Trottein. Une particularité Mogador.
Pour combien de temps est-il prévu ?
Nous espérons honnêtement deux saisons. Mais occupons-nous déjà de la première !
Pourquoi le public français a‑t-il encore du mal avec la comédie musicale ?
Il y a divers d’éléments. Je pense que cela dépend des cibles. D’une part, nous avons eu ces dernières années un modèle de comédie musicale à la française, qui a habitué le public à un genre différent que celui que l’on défend ici – le musical de Broadway. Dans le même temps, on a une résistance d’une certaine élite, sur le principe de l’adaptation, de la traduction en français… Une position injustifiée.
Par ailleurs, nous sommes un pays de théâtre. La comédie musicale est certes du théâtre, mais l’intégration de la musique peut perturber. Il faut donc attirer les spectateurs avec un spectacle fort. Pour leur faire comprendre la richesse de ce genre, qui, pour moi, est le genre le plus exigeant, avec tous les arts de la scène. C’est précisément avec des spectacles comme le Roi lion qu’on peut aller chercher de nouveaux publics et faire découvrir à la fois le théâtre – un théâtre – et le musical. C’est notre objectif de démocratiser ce genre, un travail de longue haleine. Le public français la découvre à pas feutrés. Cela finira par payer. Quand on pense que l’opérette, l’ancêtre de la comédie musicale, est née ici…
Certains font le reproche à Stage d’écraser la concurrence, que leur répondez-vous ?
On a toujours agi avec humilité. C’est une valeur à laquelle je tiens énormément. Je ne rêve que de concurrence ; elle est vertueuse quand elle est de qualité. Ce genre de la comédie musicale ne pourra se développer que si le marché français peut proposer de multiples shows. J’aimerais bien que sur une saison, on retrouve à Paris, Le Fantôme de l’Opéra, Le Roi lion, ou des nouveautés, Come From Away, Dear Even Hansen, Hamilton… Le bassin des spectateurs pourrait être doublé. Notre volonté n’est absolument pas d’écraser qui que ce soit, mais de promouvoir et proposer des spectacles de qualité. N’oublions pas cependant que ce sont aussi des moyens. On ne peut s’improviser producteur du jour au lendemain.
Vous produisez cette année un deuxième spectacle : Les Producteurs au Théâtre de Paris…
C’est un rêve ! Cela fait dix ans que j’ai envie de le monter. Depuis que je l’ai vu en Espagne – Stage avait les droits –, j’avais adoré. Je me suis dit ce spectacle est fait pour Paris.
Pour quelles raisons ?
Il a toutes les qualités, toutes les caractéristiques pour plaire au public parisien. C’est du vrai théâtre de boulevard, tout simplement. Pour moi, c’est l’esprit Cage aux folles, un humour très apprécié par les Français. Quand je me suis renseigné pour les droits, j’ai appris qu’Alexis Michalik était en train de discuter aussi de son côté. Par l’intermédiaire de Sébastien Azzopardi, nous nous sommes rencontrés et nous sommes convenu de travailler ensemble. Stage produit, lui met en scène, il est même coproducteur avec sa société ACME. A nos côtés, le Théâtre de Paris, ArtsLive coproduisent également.
Ce show a pourtant moyennement marché en Espagne et aux Pays-Bas…
Tous les pays sont différents. Mel Brooks et son univers ont toujours plu ici. Les Producteurs est son chef‑d’œuvre. C’est le spectacle le plus primé à Broadway. Pour moi, c’est une vraie anomalie qu’il n’ait pas encore été joué à Paris ! Bien sûr, dans la société dans laquelle on est aujourd’hui, avec son coté très woke (protection des minorités, N.D.L.R.), le spectacle interpelle aussi, mais tout le monde en prend pour son compte, les Juifs, la communauté gay, les femmes… Mel Brooks avait peut-être senti cette évolution de notre société… Il y répond de la meilleure manière, avec l’humour. C’est ce dont les gens ont envie : rire de tout, dans le respect évidemment.
L’œuvre sera servie par un metteur en scène qui va retoucher, donner une dynamique encore plus forte et plus adaptée à la France. Sans compter une incroyable distribution : Benoit Cauden, David Eguren, Andy Cocq, Roxane Le Texier, Véronique Hatat…
Le Roi lion est une marque, mais Les Producteurs…
N’en est pas une, c’est certain! Cela le deviendra. Les gens vont le découvrir et nous en sommes sûrs, l’apprécier. Le fait qu’Alexis accepte d’apporter son savoir-faire et son talent, offre tout de suite une autre dimension et une caution. C’est un projet très excitant. C’est comme mon petit dernier ! Que personne n’attend et qui suscite énormément de curiosité.
Fermons les yeux un instant, quel est LE spectacle que vous rêveriez d’accueillir ?
Il y en a plusieurs… Hamilton est une pépite. Je pense aux Misérables aussi, qui mérite enfin de trouver la voie du succès ici. Mais par-dessus-tout, Mary Poppins reste un rêve.
Mary Poppins est toujours d’actualité ?
Oui bien sûr. Je n’abandonne jamais. On est toujours mobilisé autour de ce spectacle. Il viendra un jour. Nous avons des discussions intenses avec Cameron Macintosh (le producteur, N.D.L.R.). On a affaire à un partenaire qui est très, très exigeant ; le succès de sa carrière prouve qu’il a raison. Il y a une volonté claire de sa part, avant de valider tout projet, d’avoir des garanties que le casting sera là. C’est une condition prioritaire dont nous parlons régulièrement avec ses équipes. Mais encore une fois, avec cette maturité et cette évolution positive du cast français, je suis confiant, on a les talents en France. Maintenant, reste à trouver le bon moment, la disponibilité des uns et des autres. La période se prête aux échanges. Oui, ce projet est toujours une réalité !
Le Roi lion
À partir du 6 novembre 2021 au Théâtre Mogador.
https://www.theatremogador.com/musicals-shows/le-roi-lion