Dix femmes en tablier bleu, assises face au public, scannent des articles sous la lumière crue des néons. Dix caissières chantent des phrases répétées mille fois par jour : « Bonjour, merci, bonne journée ! ». Cet opéra pour voix, piano et musique électronique du collectif lituanien Operomanija, acclamé par le public et la critique depuis sa création, reçoit les confessions chorales d’employées de supermarché, abordant non sans humour la déshumanisation du consumérisme.
Avec le sens du rythme et de l’ironie, les ritournelles s’envolent, le plus souvent a cappella. Ponctuées par le bip répétitif des scanners, elles dressent pêle-mêle la liste des courses et les conditions de travail des ouvrières. Un poème subversif et universel.
Notre avis : Tout d’abord entrer dans la salle, en placement libre, sous la lumière peu flatteuse de nombreux néons, tandis que les dix caissières scannent déjà les codes-barres réunis sur une feuille, le tout dans une ambiance sonore évoquant un supermarché assez calme, mais où l’on devine une activité constante. S’installer, sans savoir véritablement quand ce court spectacle (moins d’une heure) va débuter. Classiquement, l’extinction des néons de la salle marque le coup d’envoi, tandis que le seul homme de la distribution s’assied au piano, avec un blouson floqué « sécurité ». À partir de ce moment, il faut se laisser aller à la beauté de la composition musicale faite de polyphonies subtiles, mais aussi de récitatifs puisque chacune des caissières évoque un passage de sa vie. Tout en en lituanien, une traduction en français et en anglais projetée sur le mur blanc de fond de scène. Revient par intermittence ce bruit de supermarché. Les femmes parlent de leur quotidien répétitif, des phrases prononcées des centaines de fois par jour. Tantôt elles fantasment une vie parallèle dans les rayons, où les radis étranglent d’autres légumes ; tantôt elles rêvent d’un ailleurs, comme ce voyage en Angleterre que compte faire l’une d’elles pour retrouver son fils – mais elle précise qu’elle devra l’attendre quatre heures à l’aéroport car il travaille et ne peut venir la chercher dès son arrivée. Toute l’écriture explore ces petits riens, ces moments anodins, la musique se fait répétitive… Et soudain on se met à penser à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui travaillent dans ces conditions compliquées, des personnes qui révélèrent leur grande importance car en première ligne durant le Covid. Ce spectacle déroutant mais séduisant, qui connaît un succès international est, en quelque sorte, une manière de les remercier.