Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Mon premier livre : Histoires de comédies musicales s’adressait plutôt à des lecteurs ayant déjà une connaissance du sujet. Ma motivation pour ce nouvel opus était de faire un livre tout public, bâti de manière chronologique, où l’on aborde sans les survoler différents aspects de l’histoire de la comédie musicale américaine. Je devais être synthétique. Si le lecteur le désire, il peut les approfondir en lisant le premier livre bâti, lui, sur une structure thématique. C’était une idée de mon éditeur pour me restreindre, sinon j’aurais pu en écrire 1000 pages ! Des gens m’ont contacté via Facebook pour me dire qu’ils partaient à New York et ont par conséquent acheté mon livre, j’en suis très content. Il faut dire que ce livre parle beaucoup de cette ville, indéniablement attachée à la comédie musicale américaine. Ce que j’aimerais bien ce serait de voir un passager lisant mon livre dans un vol pour New York et me présenter. Cela me ferait tellement plaisir ! On m’a beaucoup reproché la lourdeur de mon premier livre, trois kilos, avec en plus le format italien. Alors avec celui là, plus d’excuse. Il est tout à fait possible de le lire dans le métro. Il se lit comme un roman, j’ai apporté un soin particulier au style.
D’où vous vient cet amour pour la comédie musicale ?
Cela ne remonte pas à mon enfance, mais à mon premier séjour aux Etats-Unis en 1981 quand j’ai fait mon bac américain. J’étais hébergé dans une famille de musiciens qui habitait dans la banlieue de New York. Ils m’ont emmené tout de suite à Broadway. C’était pour voir non pas un « musical » typiquement américain, mais The Pirates of Penzace une opérette des anglais Gilbert et Sullivan. Je débarquais d’Arpajon, je n’avais jamais vu de spectacles musicaux. Cette soirée au Minskoff Theatre m’a ébahi à tel point que je suis monté sur la scène après le départ des spectateurs. Le technicien chargé de balayer m’a demandé ce que je faisais là, je lui ai répondu que je voulais voir quelle sensation cela procurait d’être sur une scène à Broadway. Ca l’a amusé, il m’a laissé, j’ai pris quelques photos, que je n’ai jamais retrouvées et suis parti. Et comme je faisais mes études dans la banlieue de New York, mon lycée nous a permis de voir divers spectacles, le Christmas Spectacular au Radio City Music Hall, Dancin’, Dreamgirls. Mon amour vient de là.
En outre ma famille, devenue ma famille d’adoption, possédait un piano à queue dans le salon, certaines soirées étaient consacrées à chanter des chansons de Broadway. Un autre fait est marquant : cette famille juive m’a emmené dans une synagogue, le Temple Shalom, où l’on chantait et on dansait beaucoup. Je m’y suis plu immédiatement. J’avais appris les chansons en yiddish avec notamment ma sœur d’adoption et me suis retrouvé accepté comme athée : tout le monde chantait et dansait avec moi. Pour moi, ce fut peut être quasiment aussi important que pénétrer dans le monde de la comédie musicale.
A cette époque, j’ai également découvert la danse, que je pratiquais déjà en amateur dans ma banlieue parisienne. Mais rien à voir avec cette classe : mes professeurs avaient dansé à Broadway. Ce n’était pas professionnel, mais cela m’a donné beaucoup d’idées et d’envies. J’ai amassé énormément de choses, par exemple des articles du New York Times, des magazines, etc… J’ai amassé les Playbill, que j’avais souvent en quatre exemplaires : c’est devenu maladif pour moi. Je savais inconsciemment que j’en ferais quelque chose… Il contenaient tellement d’interviews. Je peux faire un grand mur de Playbill ! Désormais ils sont rangés dans des boîtes. Par exemple un exemplaire du Playbill de West Side Story se trouve dans la boîte Sondheim, un autre dans la boîte Robbins.
Et durant votre second séjour ?
C’est au bout de mon deuxième séjour à New York en 1984 que Broadway a pris une réelle importance pour moi. J’ignorais ce qu’allait devenir ma vie. Mes parents américains, en 1984, m’ont offert Cats et La cage aux folles, nous y sommes allés ensemble. Les années suivantes, quand j’ai commencé à prendre des cours au Broadway Dance Center avec Frank Hatchett, ma mère américaine me prenait tout le temps des billets, me permettant de voir A Chorus Line, Gypsy avec Tyne Daly, à mes yeux la plus belle version de ce musical. Depuis dix ans c’est moi qui les invite… Juste retour des choses. Ils ont fait mon éducation, ont orienté indirectement le cours de ma vie. Je n’aurais jamais eu les moyens de me payer tous ces spectacles.
Votre amour de la comédie musicale a‑t-il évolué ?
C’est devenu une addiction car, depuis au moins dix ans, j’ai vu… tous les spectacles de Broadway. Cela m’a permis de forger mon opinion et aussi avoir une respectabilité concrétisée grâce à mon premier livre. J’ai cet avantage et ce bonheur toujours renouvelé d’aller voir ou revoir une comédie musicale. C’est indescriptible. Je pense que je vivrais moins bien sans cela.
Quelle est votre relation avec les artistes ?
J’ai un tel respect pour les artistes qui me font tellement rêver, que je dois aller les voir en coulisses. Avec mes anciens amis du ballet j’ai pu rencontrer pas mal de monde. Mais il faut bien dire que mon premier livre a fait beaucoup puisque je suis allé l’offrir à de nombreuses vedettes, de Liza Minnelli à Hugh Jackman, de Bernadette Peters à Danny Burstein. Il est en devanture chez Sardi’s. Tous les artistes qui sont dans le livre, Barbra Streisand et Julie Andrews mises à part, le possèdent. Stephen Sondheim fut un ambassadeur rêvé puisqu’il m’a appelé pour en commander de manière à l’offrir à ses amis. Ce livre m’a ouvert des portes. Cela me fait tellement plaisir d’avoir cette reconnaissance, je suis d’une certaine manière reconnu à Broadway.
Quelles sont vos lectures ?
Je continue à lire des biographies de personnalités de Broadway ou des œuvres sur l’historique, également les livres qui ont servi d’inspiration à toutes les grandes comédies musicales américaines. Y compris Romeo et Juliette pour bien saisir comment l’adaptation qui en est faite dans West Side Story. Même si écrire n’est pas simple, de même que faire des recherches, je suis vraiment dans mon élément.
Comment condenser l’histoire de Broadway en 240 pages ?
J’ai tout d’abord cherché les incontournables, devenus chapitres, et leurs titres. Je les ai trouvés en une soirée. Ils sont liés également à l’idée que j’avais d’un documentaire qui me trottait dans la tête depuis quelques mois. Ils étaient donc déjà pensés. J’ai tout de même scindé en deux un chapitre : celui consacré à l’âge d’or. Il y a tant à dire. Sur mon placard de cuisine, j’ai commencé à mettre des post it par chapitres, par la suite j’ai complété par d’autres post it d’une autre couleur. Ensuite je me suis mis à rédiger, tout en citant systématiquement mes sources.
J’ai commencé par le chapitre le plus simple : le cinquième consacré à Show Boat. J’ai écrit les chapitres suivants puis suis revenu au chapitre un, sur l’histoire de New York, tellement passionnante. C’est celui qui m’a pris le plus de temps. J’ai lu énormément, ai visité des musées. Il fallait synthétiser et dire des choses exactes, puisque j’ai trouvé nombre d’éléments contradictoires. J’ai terminé par rédiger « Broadway de nos jours », le quatorzième, après les Tony Awards. J’étais un peu à sec alors je suis parti à New York pour trouver l’ultime inspiration. J’ai eu envie de parler de la formation, à quel point ces Américains sont forts, et parler des trois grands succès actuels : Hamilton, Hello Dolly! et Dear Evan Hansen, des comédies musicales qui m’ont plu. J’ai profité de ce séjour pour aller voir… les archives de la Shubert Organization qui m’ont été ouvertes grâce au directeur qui avait apprécié mon premier livre. Je leur suis vraiment reconnaissant de m’avoir permis d’accéder à cette mine de renseignements, d’obtenir quelques photos dont ils m’ont offert les droits. Le Théâtre du Châtelet, la fille de Frank Loesser, celle d’Irving Berlin, m’ont également offerts les droits de photos. Je suis vraiment très touché par leurs gestes.
Avez-vous fait des découvertes ?
Si je n’ai rien appris sur l’histoire de la comédie musicale, que je connais sur le bout des doigts grâce à l’énorme travail entrepris pour mon livre précédent, j’ai beaucoup appris sur l’histoire des Etats-Unis, la guerre du Vietnam que j’ai dû résumer, l’histoire du téléphone ou de la télévision dans ce pays, puisque tous ces éléments ont une influence sur le genre. J’ai également appris sur la biographie de Frank Loesser, ce qui a donné un nouvel éclairage sur ses comédies musicales.
Pourquoi l’idée des cinq chansons favorites ?
C’est un plaisir que je me suis fait en demandant aux personnes que je connais de Broadway de me donner leurs cinq titres favoris. Une manière de les intégrer dans ce livre. Cela permet aussi de mieux les connaître. Cela m’a touché qu’ils me répondent spontanément. Stephen Sondheim a refusé d’y participer car il avait peur de blesser des gens. La présidente de la Broadway League m’avait dit : « je ne peux pas aller là dedans ». J’ai tout de même insisté par courriel, elle me les a envoyées. La liste de Chita Rivera, je l’ai reçue la veille de l’impression. Mon seul regret est de ne pas avoir celle de Lee Blakeley. Je l’aimais tellement ; il n’a pas eu le temps de me répondre, emporté par la maladie. C’est une grande perte pour le théâtre musical.
Qu’est-ce qui prime pour qu’une comédie musicale soit réussie ?
L’incontournable c’est l’émotion : joie, tristesse, beauté… Il est possible de les ressentir par le biais du livret, des chansons, des chorégraphies. Quand tout se mêle et que l’émotion naît de tout cela, c’est plus que gagné ! Certains spectacles froids, comme Spiderman, ne peuvent fonctionner. Personnellement, j’adore pleurer au spectacle, comme ce fut le cas pour Dear Evan Hansen ou Come From Away. Quelque chose s’est passé entre l’œuvre et moi.
Quels sont vos projets ?
Ecrire de nouveau des livres ! Et, comme je l’évoquais précédemment, ce livre doit donner naissance à un documentaire pour la télévision. J’y travaille ardemment.
Lire notre critique de Hello, Broadway !