Hervé Devolder, compositeur au service du récit

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Après Les Fiancés de Loches et Chance !, deux succès moliérisés, Hervé Devolder nous parle de son nouveau spectacle, La Crème de Normandie.

Mile­na Marinel­li et vous-même êtes parte­naires d’écriture pour La Crème de Nor­mandie. Com­ment le pro­jet a‑t-il démar­ré ? 

L’idée vient de Mile­na, qui était allée voir une expo­si­tion sur les con­di­tions de tra­vail des femmes dans les maisons clos­es au début du XXe siè­cle. Nous avons tous deux été frap­pés par leur con­traste de vie. Elles tra­vail­laient dans des lieux au con­fort lux­ueux, mais elles vivaient dans une posi­tion sociale proche de zéro. Cette ambiva­lence nous a séduits, il y avait ici matière à composer.

Vous avez der­rière vous une dizaine de pièces musi­cales. Vous n’êtes jamais à court d’inspiration…

J’ai de la chance : pour l’instant, non (rires). Les idées jail­lis­sent. Je tra­vaille en ce moment à la pré­pa­ra­tion d’une pièce musi­cale entière­ment chan­tée, comme l’était Chance ! (Molière du meilleur spec­ta­cle musi­cal en 2019). 

Pourquoi entière­ment chan­tée ? 

Le sujet se prête à la forme. 

Vous êtes à la fois auteur et com­pos­i­teur. Com­ment trou­vez-vous l’équilibre entre le texte et la chan­son ? 

Je n’y pense pas vrai­ment. J’essaie tou­jours de com­pos­er pour servir le réc­it. Les mélodies sont calées sur les émo­tions des per­son­nages. Je ne suis donc pas tou­jours dans une recherche du beau. Dans La Crème de Nor­mandie, quand un per­son­nage chante « ça pue, ça pue, ça pue », ce n’est pas très joli… mais c’est vrai. Sa sit­u­a­tion per­son­nelle lui fait ressen­tir cela. L’enjeu est de rester dans l’âme du per­son­nage en se rap­pelant que l’on peut faire du beau… mais pas trop. 

Dans  La Crème de Nor­mandie, les per­son­nages chantent avec un lan­gage qui leur est pro­pre. Est-ce volon­taire ? 

Oui, j’essaie d’être vig­i­lant s’agis­sant du vocab­u­laire ou des champs lex­i­caux util­isés. Un per­son­nage ne par­lera pas de la même façon en fonc­tion de tout un tas de paramètres soci­aux. C’est pareil dans les chan­sons. Mais si je suis très hon­nête, il y a quand même un cer­tain plaisir à faire des vers, donc je m’affranchis par­fois mod­éré­ment de cette règle.

Bien qu’ancré dans le théâtre français, votre œuvre présente des codes pop­u­lar­isés par le genre de la comédie musi­cale anglo-sax­onne (reprise de thèmes, seg­way, chan­sons dia­loguées). Allez-vous voir ce qui se passe sur les scènes à l’étranger ? 

D’abord je ne vois pas vrai­ment ça comme des codes, mais plutôt comme des règles du jeu. Et bien sûr, je vais voir beau­coup de spec­ta­cles à l’étranger, mais je n’ai pas de spec­ta­cle « préféré ». J’aime aller voir de tout : du théâtre clas­sique, des pièces dans la tra­di­tion du boule­vard, des comédies musicales…

Quand vous écrivez, quelle est la pro­por­tion de textes qui n’est finale­ment pas util­isée ? 

Mon expéri­ence m’a appris à ne pas être radin. Encore une fois, le tout est de servir le réc­it. Lorsqu’on écrit, il y a une ver­sion 1, puis une ver­sion 2… et vous, vous avez vu la ver­sion 29. Entre-temps beau­coup de choses ont bougé. L’histoire évolue, les enjeux se peaufinent, si une chan­son ou une scène n’est plus néces­saire, on l’enlève… tout sim­ple­ment. Je dirais qu’il y a env­i­ron une dizaine de chan­sons ou scènes qui ont été retirées. 

Vous allez les réu­tilis­er ? 

Non. Elles ont été com­posées pour un moment du réc­it en par­ti­c­uli­er. Elles ne peu­vent pas vivre en dehors de cet instant. 

Dans quelles mesures les coûts de pro­duc­tion (décors, cos­tumes, effets spé­ci­aux) influ­en­cent votre écri­t­ure ? 

Pen­dant l’écriture, je n’y pense pas, pour deux raisons. Pre­mière­ment, imag­i­nons que l’on souhaite écrire une pièce qui se passe dans un taxi… il faut donc un véhicule sur scène. Mais en suiv­ant le fil des idées, la voiture nous embar­que dans une série de scènes si belles que l’on prend con­science que nous n’avons plus besoin du taxi… Si l’on s’était restreint à l’écriture — à cause des coûts de décors -, on ne serait jamais arrivé à cette idée for­mi­da­ble. Sec­on­de­ment, j’ai écris une pièce dans laque­lle un per­son­nage s’envole en héli­cop­tère. Il fal­lait donc un héli­cop­tère… Après un peu de réflex­ions, en faisant tomber une corde, en plaçant un ven­ti­la­teur dans les rideaux et en faisant clig­not­er de rouge un pro­jecteur, le tour était joué ; notre héli­cop­tère ne nous a pas coûté grand-chose (rires). 

Est-ce qu’avoir reçu un Molière en 2019 facilite la pro­duc­tion de nou­veaux pro­jets ? 

Ce n’est pas nuis­i­ble, mais ça ne facilite pas tout du jour au lendemain.

Dans La Crème de Nor­mandie, une des comé­di­ennes-chanteuses , Mar­i­anne Devos, est aus­si vio­loniste. Ce n’est pas trop dif­fi­cile à trou­ver ? 

Si, très (rires). Mar­i­anne est for­mi­da­ble. On se croise en coulisse pen­dant le spec­ta­cle. Elle court sans cesse entre le plateau et l’orchestre pour, soit inter­préter son per­son­nage, soit jouer avec les musi­ciens. Notons que, si un comé­di­en doit appren­dre le piano ou la gui­tare pour une scène, il peut s’y met­tre trois mois avant et se débrouiller. Le vio­lon c’est dif­férent. On ne peut pas trich­er… ça s’entend tout de suite… et ce n’est agréable pour per­son­ne (rires). 

La Crème de Nor­mandie se joue encore jusqu’au dimanche 18 sep­tem­bre, au Théâtre Le Ranelagh (75016). Réservez en cli­quant ici. 

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