Sans renier la dimension politique de ses deux précédents ouvrages lyriques, Nixon in China (1985–87) et The Death of Klinghoffer (1990–91), John Adams combine avec I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky… le drame social – l’action se situe de nos jours à Los Angeles, avec sept personnages, tous jeunes et d’origines différentes (Noirs, Blancs, Asiatiques et Hispaniques), dont les destins vont basculer à la suite d’un séisme – et une histoire d’amour, projetée dans le tourbillon d’une fiction romanesque à l’aune de la tradition européenne.
Notre avis : Avec I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky, le compositeur d’opéras John Adams a concrétisé son souhait d’explorer un registre proche de la comédie musicale. Une des caractéristiques de l’œuvre est d’être difficile à rattacher à un genre spécifique. Pas tout à fait un opéra moderne, pas vraiment un musical façon Broadway, le terme d’opéra rock peut donner un aperçu synthétique du format de l’œuvre, la quasi-totalité des textes étant chantée. Ce spectacle atypique de John Adams divise d’ailleurs les admirateurs de l’auteur de Nixon in China.
Le titre I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky (« Je regardais au plafond et soudain j’ai vu le ciel ») s’inspire d’une phrase prononcée par une habitante de Los Angeles à l’issue du tremblement de terre de 1994, son toit ayant littéralement… disparu. L’œuvre présente le parcours de sept jeunes gens peu avant le séisme et l’impact que cet événement aura sur leurs vies. Cette version coréalisée par l’Opéra de Lyon et par le Théâtre de la Croix-Rousse a été confiée au metteur en scène d’origine roumaine Eugen Jebeleanu. Il signe ici sa première incursion dans le théâtre musical et s’empare de l’œuvre avec un regard critique sur la société actuelle, américaine ou non. Les personnages ont des profils différents : hispaniques, afro-américains, homosexuels, coureurs de jupons… Dérives policières, racisme, violences sexistes, regard sur sa sexualité et celle des autres, plusieurs thèmes demeurent d’actualité vingt-cinq ans après la création du spectacle… Précisons toutefois que, malgré les thèmes abordés, l’humour et une énergie positive sont régulièrement présents.
L’arrivée dans la salle est marquante. Le décor principal est structuré en deux niveaux. À l’étage, trois pièces de couleurs distinctes sont représentées : un salon, une chambre, des toilettes. Ces pièces changeront de statut au fil des événements. Au niveau inférieur, l’orchestre est à vue. Deux grands symboles sont répartis de chaque côté de la scène au-dessus de rangées de sièges : à gauche, une croix (et une église), à droite, un drapeau américain (et un tribunal). Cette scénographie permet d’animer de façon dynamique les différents tableaux. Certaines tranches de vie se déroulent pendant l’action principale et permettent d’en découvrir un peu plus sur les personnages qui ne chantent pas. L’action se déplace avec fluidité entre les différentes parties de la scène.
Les musiciens, en jeans et tee-shirts, jouent une partition oscillant entre différents registres, dont la soul, la pop, le jazz, les ballades. Cette variété a de quoi déconcerter ceux qui seraient en quête d’un opéra, mais elle a également de quoi séduire ceux qui apprécient d’autres genres. Le son des guitares, synthétiseurs, percussions et instruments à vent résonne agréablement dans le cadre d’une prestation live. Les jeunes interprètes engagés cette saison dans le Studio de l’Opéra de Lyon s’attaquent avec succès à un registre plutôt inhabituel pour eux. Très rapidement, ils démontrent qu’ils savent adapter leur chant et leur jeu, et c’est un plaisir d’entendre sur scène les titres créés par John Adams pour cette œuvre. C’est notamment le cas dans les chansons chantées en harmonie à plusieurs voix comme l’entêtante chanson-titre ou encore le drôle et coquin « Song About the Bad Boys and the News » interprété par le trio de personnages féminins.
L’accueil chaleureux accordé par le public lyonnais à cette œuvre originale peu connue du grand public est une récompense méritée par l’ensemble de la troupe.