Quelle est l’intrigue de ce spectacle au titre étrange : Mars-2037 ?
Titre « intrigant », oui … Mais la date n’est pas un hasard : la planète Mars est au plus proche de la Terre tous les deux ans et demi… et ce sera le cas en 2037 ! Pierre Guillois, auteur et metteur en scène, a imaginé l’histoire d’un vieux milliardaire ayant grandi dans les favelas au Brésil, dont l’ultime rêve, après une vie bien remplie, est de partir sur Mars pour y créer la première colonie humaine. Or il a une fille (Charlotte Macquardt) , très ennuyée par cette situation, et surtout par la perspective de voir la fortune familiale dilapidée. Elle le traite de vieillard sénile et parvient à le faire interner. Seulement, Pablo de Faïa – c’est le nom de cet octogénaire – avait déjà recruté une équipe d’astronautes pour ce voyage (Magali Léger, Marie Oppert, Elodie Pont, Pierre Samuel, Quentin Moriot) et ne compte pas se laisser faire. Que va-t-il bien pouvoir se passer, puisque… sans trop en dire, je peux vous assurer qu’il ne va pas rester enfermé longtemps ?
Vous incarnez ce personnage…
Oui et c’est bien la première fois, lors d’un casting, que l’on me dit que… je suis trop jeune pour un rôle ! Et j’ai bien failli d’ailleurs ne jamais interpréter Pablo, puisque lorsque j’ai entendu parler des premières auditions, mes obligations professionnelles m’ont empêché d’y participer. J’étais vraiment dépité car j’apprécie beaucoup l’univers drôle et très touchant de Pierre Guillois. J’avais adoré Le Gros, la Vache et le Mainate (complètement foutraque et délirant) et Bigre, découvert au Théâtre du Rond-Point, m’avait impressionné : c’était un spectacle muet avec trois artistes « visibles » et une armée de techniciens en coulisse qui œuvrait pour créer toutes les illusions scéniques. Bref… La chance a voulu que, à l’issue des premières auditions, il n’a pas trouvé son « vieux » , et lors de la seconde salve, plusieurs mois plus tard, j’ai pu me présenter. J’ai bossé comme un malade et, en faisant des recherches sur Internet pour mon texte d’audition, j’ai finalement mêlé des extraits du témoignage du premier touriste de l’espace, Dennis Tito, avec… Le roi se meurt de Ionesco, pour créer un personnage qui parlait à la fois de choses très techniques sur l’espace et de choses très humaines, face à la vieillesse… Pierre Guillois a été étonné et m’a dit : « Vous avez résumé la pièce en une minute ! » Pablo est un personnage riche (dans l’autre sens du terme !) : ce voyage fou est le rêve d’un vieil homme qui a tout vécu, s’est tout offert. Ce vœu est un peu son « inaccessible étoile », qu’il veut atteindre avant de mourir.
Quelles sont les inspirations de l’auteur ?
Il faudra le lui demander pour avoir une réponse complète. Il nous a confié s’être inspiré de ce premier touriste de l’espace qui a défrayé la chronique, ainsi que des annonces d’Elon Musk, qui promet des voyages dans l’espace très bientôt. Le personnage de la fille, quant à lui, entre en résonance avec l’affaire Bettencourt. Le réel est un bon moteur pour titiller l’imaginaire et bâtir une histoire fantastique qui se déroule dans un futur proche. Je ne peux m’empêcher de penser à Hergé qui a créé son voyage sur la Lune, à la fois drôle et poétique, mais très documenté et « réaliste », pourtant bien avant Apollo 11. Pierre nous a dit que ce projet est l’un des plus compliqués qu’il ait eu à mettre en scène en raison de l’imposante équipe technique qui œuvre en coulisse pour nous permettre d’accomplir ce voyage, en partie en apesanteur. Et ce que j’aime particulièrement dans son choix, c’est de créer la magie en utilisant toute une machinerie spécifique au théâtre. Aucune projection vidéo ni élément généré par ordinateur : tout est mécanique. Les techniciens sont artistes eux aussi, car ils nous font véritablement danser dans l’espace. Sans trop dévoiler les effets, les techniques pour créer cette apesanteur obligent à une complicité entre les chanteurs et les manipulateurs de l’ombre, qui est très belle. Eux doivent trouver le mouvement qui convient, qui créera l’illusion. Toute l’équipe, partageant la même recherche artistique, s’en est trouvée très soudée.
Mars-2037 est une comédie musicale. Parlez nous du travail de Nicolas Ducloux…
Il a composé une musique très inventive, alternant des mélodies simples et belles qui restent dans l’oreille et… des moments très compliqués de rythmes et d’harmonies qui nous a parfois contraints à réviser notre solfège ! Par certaines trouvailles, il parvient aussi à provoquer du « rire en musique ». Il a par exemple une façon de répéter des formules pour évoquer la sénilité, ou l’idée fixe d’un personnage, qui est franchement drôle. Et il a choisi une orchestration originale, composée d’une harpe, de synthés avec des sons d’orgue et de clavecin, d’un violoncelle et de percussions. De quoi donner des couleurs de timbres assez inattendues. Sa partition sonne aussi par moment très « musique de film », comme un hommage à tout notre imaginaire cinématographique. Vous aurez l’occasion d’en entendre un extrait sur France Musique, dans l’émission concert de 42e rue, le 14 décembre prochain.
Comment se sont passées les répétitions ?
Nous avons d’abord travaillé une semaine à la Maison des arts de Créteil en débutant de manière classique par des lectures. Sans la présence de la technique, nous nous sommes concentrés sur le travail théâtral, le jeu d’acteur et la direction musicale. Comme il est l’auteur de cette comédie musicale, Pierre a des idées très précises sur ce qu’il souhaite voir et entendre, et il sait très bien nous guider. Pour moi, Pablo a un petit côté capitaine Haddock dans On a marché sur la Lune : une sorte d’adulte-enfant qui peut passer de l’émerveillement puéril à la colère en deux secondes. L’équipe compte six rôles principaux et cinq instrumentistes, tous également acteurs-chanteurs. On pourrait croire que c’est une petite équipe… Mais, lorsque nous sommes arrivés à la scène nationale du Volcan, au Havre, nous avons tout de suite pris conscience qu’on allait aussi – et tant mieux – travailler avec une armada de techniciens, magiciens, manipulateurs, marionnettistes, en coulisse. Nous avons pu répéter alors quasiment un mois sur scène, dans les décors ; mon dos s’en souvient encore ! En effet les rôles sont très physiques, entre autres parce qu’il faut donner l’impression de ce voyage en apesanteur. Comme je suis le doyen de la troupe, même si je n’ai pas l’âge du rôle, rappelons-le, j’ai plus morflé que les petits jeunes. J’admire la concentration, la bonne humeur permanente de Pierre et Nicolas qui avaient un immense vaisseau à diriger, de 9 heures à 23 heures non stop, tous les jours sauf le dimanche (et encore…). Les comédiens, nous n’arrivions qu’en début d’après-midi, mais Pierre devait régler, le matin, les très nombreux défis techniques. Humainement ce fut très chouette de travailler avec cet homme à la fois calme et respectueux dans la gestion d’équipe, mais vraie pile électrique, bouillonnant d’idées, plein d’humour… et qui ne devait, à mon avis, pas dormir beaucoup !
Quel impact la crise sanitaire a‑t-elle eu sur le spectacle ?
Nous étions en pleine répétition quand le confinement a été annoncé. Par conséquent les premières représentations se sont muées en répétitions finales. Nous avons fait une sorte de première devant une petite partie de l’équipe administrative du Volcan. En tout cas le bébé existe, nous sommes allés au bout de la création, ce qui est une sorte de chance dans la malchance. Et nous avons toujours été très sérieux avec la gestion des gestes barrières. Par exemple Pierre n’a jamais quitté son masque, et nous, nous l’enlevions uniquement pour jouer. Personne n’a déclaré la maladie, ce qui est aussi une chance. Bien entendu les inconnues auxquelles nous sommes confrontés ne permettent pas une visibilité à court ni moyen termes. Toutefois j’ai bon espoir que les représentations prévues à Créteil puis à Rennes en janvier aient lieu. Une cinquantaine de dates en tournée sont programmées jusqu’à juin 2021 : cette perspective nous a consolés en fin de résidence. L’équipe du Havre a reporté le spectacle à la saison prochaine.
Quels sont vos projets ?
J’avoue que ce deuxième confinement provoque une grande tristesse, j’ai le sentiment d’accuser le coup plus violemment que lors du premier. Tous les artistes, techniciens, tous ceux qui travaillent sur des projets qui se voient annulés ou reportés… oui, ça fait mal. Mais allons de l’avant. A l’Opéra de Bordeaux, le spectacle autour de Brel/Barbara que je mettais en scène avec l’Ensemble AEDES est pour l’heure reporté. Pour le printemps, je prépare une nouvelle création lyrique à destination du jeune public, avec ma Compagnie Orphée, qui se jouera à l’Opéra de Saint-Étienne: Petit, moyen, grand, et le Fantôme de l’Opéra. Si l’ombre de Gaston Leroux plane, le fantôme en question est métaphorique : le spectacle parle aux enfants de nos angoisses, de nos émotions refoulées… et de « résilience ». Et actuellement je travaille avec les Voice Messengers, un ensemble de jazz vocal, qui vient récemment de chanter aux côtés de Natalie Dessay et pour une création de Vladimir Cosma. Je réalise la mise en scène de leur spectacle qui sera donné dans une nouvelle salle parisienne – le 360 Music Factory – à l’occasion de la sortie de leur album en janvier. Il s’agit de reprises arrangées pour leurs six voix par le regretté Thierry Lalo, qui a créé cet ensemble. Ils sont accompagnés d’un trio jazz, augmenté pour l’occasion d’invités prestigieux. Bien entendu on y entend des extraits de comédies musicales. Enfin je continue ma collaboration avec le Créa d’Aulnay-sous-Bois, avec une nouvelle création réunissant 40 enfants qui jouent, chantent et dansent sur le thème du joueur de flûte de Hamelin. Ce sera pour octobre 2021. Et je continue d’enseigner avec bonheur au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris avec, cette année, la mise en scène de l’un des concerts lyriques des étudiants. Au passage, je dois dire que cette jeune génération d’artistes lyriques se montre aussi très ouverte à la comédie musicale. Beaucoup des étudiants ont pu découvrir – entre autres – les œuvres de Sondheim données au Châtelet, et s’intéressent également aux adaptations récentes de musicals au cinéma. Quant aux étudiants de la filière jazz, la question ne se pose pas !