La programmation de la deuxième saison du Châtelet, depuis sa réouverture à la suite d’importants travaux et la mise en place d’une nouvelle direction, sera à l’image de la première : éclectique.
C’est à Pantin, aux Magasins généraux, que Thomas Lauriot Dit Prevost et Ruth McKenzie, respectivement directeur général et directrice artistique de l’établissement, ont dévoilé la prochaine saison. Notons le nouveau credo : « Un grand théâtre pour les Grands Parisiens. » Entendre par là : non pas les Parisiens de plus d’1m80, mais les habitants de Paris et du Grand Paris. Et l’ouverture vers les villes de banlieue est une réalité, notamment avec le travail qu’Abd Al Malik a initié et poursuit avec les jeunes de Seine-Saint-Denis. À ce titre, la reprise des Justes, spectacle à la mise en scène engagée, se veut un prolongement de ce travail d’ouverture — le puissant texte de Camus étant de nature à provoquer des réflexions chez tous les publics, y compris ceux des jeunes de banlieue.
Les nostalgiques de l’époque pas si éloignée où les comédies musicales et les opérettes s’enchaînaient vont sans doute continuer de devoir aller s’abreuver ailleurs. Seule la reprise de 42nd Street — créée in loco lors de la saison 2016–2017, dernier musical avant la fermeture pour travaux — pourra éventuellement les séduire… surtout que les détenteurs de billets pour le spectacle auront la possibilité, avant la représentation, de s’initier aux claquettes grâce à des cours dispensés par Victor Cuno, incontournable du genre. De quoi donc tester des éléments de chorégraphie avant de les admirer sur scène. Afin de présenter cette reprise, Rachel Stanley, fabuleuse mère de Fanny Brice dans Funny Girl, est venue interpréter un medley des airs de ce musical.
Rachel nous confie : « J’ai un lien particulier avec 42nd Street. En effet, en sortant de l’école, ce fut mon premier contrat. J’avais 18 ans et c’était à la suite d’une audition monstre pour Peggy Sawyer. Un nombre de postulants incroyables… j’étais stupéfaite d’avoir été choisie. Avec cette production, c’est comme si une boucle se bouclait. Cette fois, je serai Dorothy Brock ! C’est une vedette sur le déclin qui vit un voyage au travers de cette histoire… une amoureuse, terrifiée par la vie qui avance. Ce musical est particulier tant par son succès que par ce qu’il raconte sur les coulisses de Broadway… sans parler de l’ouverture du spectacle, telle que chorégraphiée par Gower Champion… l’une des plus belles jamais vues. Hélas, dans ce nouveau rôle, je ne danse plus, je laisse cela aux jeunes ! Toutefois, je ne vous cache pas que, après Funny Girl, je suis ravie de revenir dans votre ville, je vais vraiment devenir une Parisienne pour de bon ! Et le Châtelet, rendez-vous compte… J’ai vraiment beaucoup de chance de jouer dans ce spectacle après Marigny, où j’ai vécu tellement de superbes moments. Je prends le musical comme une thérapie. On ne sauve pas des vies, mais on apporte du plaisir aux gens, et c’est important dans les temps troublés. Vous voyez aujourd’hui… c’est l’anniversaire de la mort de ma mère. Interpréter ce medley de 42nd Street prend également un autre sens pour moi. Ma mère aurait adoré être artiste, si seulement on l’avais laissée libre… Alors je pense très fort à elle et, tout à l’heure, j’ai chanté à sa mémoire, en étant joyeuse sur scène pour elle, comme pour lui dire : “Merci, je ne t’oublie pas.” Ce sera une belle expérience. Je ne réfléchis pas trop à comment aborder le rôle, puisque j’attends de la collaboration avec le metteur en scène et avec mes partenaires de trouver correctement le personnage. » Et lorsqu’on lui demande quel air de comédie musicale l’aide à tenir lors de moments difficiles : « Je répondrai sans hésiter : “There’s No Business Like Show Business”. C’est un peu un hymne pour notre métier et chaque parole résonne très fort en moi. »
La production itinérante, mise en scène par Katie Mitchell, de Lessons in Love and Violence, le formidable opéra de George Benjamin créé en 2018 qui raconte la chute du roi Édouard II d’Angleterre, aura l’honneur d’être dirigée par le compositeur.
On surveillera l’arrivée de Mort à Venise, non pas l’opéra de Benjamin Britten, mais une production néerlandaise de théâtre d’après le roman de Thomas Mann accompagné de musiques signées Richard Strauss , Claudio Monteverdi , Arnold Schönberg , Anton Webern , Jean-Sébastien Bach , Nico Muhl, mise en scène par Ivo van Hove — dont on peut découvrir depuis quelques semaines la nouvelle et radicale vision de West Side Story au Broadway Theatre de New York.
La magnifique production, elle aussi itinérante, mise en scène par Robert Lepage, toute en ombres chinoises et marionnettes, du Rossignol et autres fables sur les musiques d’Igor Stravinsky sera également à l’affiche.
Enfin, une Passion selon saint Jean, pilier du répertoire de Jean-Sébastien Bach, mise scène par le sulfureux Calixto Bieito, pourrait, à l’instar du Saül présenté cette saison, se révéler un heureux mélange des genres.
À côté de concerts, de soirées de ballets et de créations dans le domaine des musiques du monde, on note la reprise de Perle noire : méditations pour Joséphine que les spectateurs pourront déjà découvrir en avril 2020.
Pour présenter cette future reprise, du 22 au 31 mai 2021, venus directement de New York pour donner à entendre l’univers musical de cette œuvre inspirée de la vie de Joséphine Baker, la violoniste Jennifer Curtis et le saxophoniste Ryan Muncy s’accordent à dire qu’il est essentiel de « garder l’intégrité du sens de ses chansons et, plus largement, de ce qu’elle fut dans la vie dans toute sa complexité ».
« L’approche du spectacle vise aussi comment Joséphine Baker fut et est encore perçue dans notre pays. Nous avons interprété une version revisitée de plusieurs airs, qui ne sont pas forcément les plus connus en France comme “Bye Bye Blackbird”. Avec la musique d’aujourd’hui nous faisons revivre cette femme exceptionnelle. » Ryan ajoute : « La musique a une tonalité très blues, ce qui prend tout son sens pour Tyshawn Sorey, la compositrice puisque c’est ce qu’elle connaît le mieux. » Jennifer complète : « Le blues vient de l’époque de l’esclavage et, comme vous le savez, les origines de Joséphine sont liées à cela. Ce sera un hommage à ses ancêtres, à la souffrance endurée par eux… et par elle. Nous explorons en profondeur la chanson populaire de cette époque, mais par le biais de notre interprétation, en relisant ses airs via notre prisme. » Ryan : « La complexité de vivre en Amérique à cette époque, le racisme dans ce pays, qui perdure encore sous une autre forme, nous motive pour cet hommage. À partir de ce qui s’est passé durant ces années, dans la manière dont l’Amérique ne l’a jamais reconnue à sa juste valeur, cela me touche particulièrement de faire ce spectacle autour d’elle. Cela m’interroge dans mon propre rapport à la musique. Le racisme, le sexisme, l’ont atteinte. Ce sont des thèmes qui, hélas résonnent encore aujourd’hui. » Ryan indique : « Un autre élément qui nous stimule est que Tyshawn, à partir d’une base écrite, nous laisse une bonne part d’improvisation. Nous devons donc nous écouter et jouer véritablement en communion. Le spectacle a cinq ans et chaque représentation est un réel défi. La fluidité entre les musiciens n’a donc fait que grandir et nous sommes impatients de vous faire découvrir ce spectacle au Châtelet. »
Éclectique, on vous disait ! La programmation complète est disponible sur le site du Châtelet.