La nouvelle, annoncée hier, a fait l’effet d’une bombe : Le Fantôme de l’Opéra, la pièce emblématique de Broadway à l’affiche depuis le 26 janvier 1988, va fermer ses portes le 18 février prochain après avoir donné plus de 13 000 représentations — un record jamais égalé.
Inspirée du roman écrit en 1910 par Gaston Leroux, la comédie musicale créée par Andrew Lloyd Webber et Richard Stilgoe sur une musique de Lloyd Webber et des paroles de Charles Hart, pour l’actrice Sarah Brightman, à l’époque mariée au compositeur, avait débuté à Londres deux ans plus tôt avant de traverser l’Atlantique pour conquérir Broadway dans une mise en scène étincelante signée Harold Prince.
Depuis, elle était devenue la pièce emblématique et incontournable pour toute personne désireuse de voir ce que Broadway avait de mieux à offrir et jouait pratiquement à guichets fermés devant un public ébahi par la richesse de sa production et son histoire. Celle d’une jeune soprano de l’Opéra de Paris, obsédée par le mystérieux fantôme, incarné par Michael Crawford, qui hante l’endroit et tombe amoureux d’elle. Elle allait remporter le Tony de la meilleure comédie musicale de l’année. Son succès allait en faire une œuvre mondialement connue et reprise dans de nombreux pays.
The Phantom of the Opera, telle qu’elle était connue en anglais, allait jouer sans interruptions pendant des années devant des foules toujours avides de mystère et d’esprit romantique, dépassant en longévité — et de loin — les œuvres les plus célèbres présentées à Broadway et était devenue la « must-see » comédie musicale pour tous ceux attirés par ce pôle théâtral unique en son genre.
L’épidémie du coronavirus allait cependant stopper ses représentations le 12 mars 2020, à l’instar de tous les autres théâtres, avant de les reprendre le 22 octobre 2021. La rupture avait forcé plus de 60 000 artistes, musiciens, techniciens, agents de presse et autres employés des théâtres de Broadway à rester sur la touche et on attendait que cette reprise permette notamment aux œuvres les plus marquantes de reprendre leur souffle. Mais le retour à la normale ne devait pas se faire avec l’aisance que les producteurs de Broadway avaient anticipée.
En effet, la situation est beaucoup plus complexe et fragile qu’on ne le pensait. Il faut plus de 13 à 15 millions de dollars pour monter une comédie musicale à Broadway (cela implique les salaires, l’entretien des costumes et des décors, les répétitions, la location des théâtres, les efforts publicitaires et autres dépenses parfois imprévues), et pour rester à l’affiche, toute œuvre, quelle qu’elle soit, doit au moins attirer une foule représentant 75 % à 80 % de la capacité totale du théâtre qui l’accueille.
Dès la reprise des spectacles à Broadway, on s’est rendu compte que seuls les gros succès et les nouveautés les plus alléchantes pouvaient à la rigueur faire face à ces difficultés de remplissage. Et encore… Même des œuvres aussi connues que Tina, The Tina Turner Musical ou The Music Man — cette dernière qui est à l’affiche depuis peu de temps — ont vu leurs capacités décroître rapidement. De nombreux spectateurs étant sans doute anxieux de se retrouver au milieu de foules parmi lesquelles pouvaient se trouver de possibles porteurs de germes, même si le port d’un masque protecteur est demeuré obligatoire jusqu’au milieu de l’été.
Le Fantôme de l’Opéra est la première victime parmi les grands succès de Broadway, même si d’autres tels que Le Roi Lion (créée en octobre 1997) ou Chicago (en novembre 1996) continuent de jouer pratiquement à guichets fermés. Toutefois, il est certain que la pandémie continue de faire des dégâts et on a le droit de se demander si dans les prochains mois elle ne fera pas d’autres victimes, les spectateurs potentiels boudant les salles de spectacles pour rester calfeutrés chez eux à regarder sur Netflix ou Disney+ certaines de leurs comédies musicales préférées dans le calme de leurs foyers plutôt que de s’exposer à une nouvelle reprise du coronavirus.