Léovanie Raud, à la scène comme à l'écran

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Léovanie Raud, on peut vous entendre actuellement au cinéma puisque vous êtes la voix française, chantée et parlée, de Mary Poppins dans Le retour de Mary Poppins. Comment est-ce arrivé ?
J'ai commencé le doublage il y a quatre ans, après La Belle et la Bête. J'avais envie d'un nouveau challenge et de me remettre en danger dans un milieu que je ne connaissais pas. J'ai eu la chance que ça aille relativement vite tout en continuant la comédie musicale. En janvier 2018, Claire Guyot, directrice artistique et comédienne, me propose de doubler une bande annonce. Quand elle m'a dit que c'était Mary Poppins, j'ai cru que j'allais tomber à la renverse. Faire la bande annonce ne veut pas dire faire le film ; les essais sont arrivés ensuite, au mois de juin. Les essais en doublage, c'est particulier car on a aucun matériel en amont, que ce soit en jeu ou en chant. On découvre tout sur place, il faut vite s'adapter. A ça s'ajoute le stress de l'audition et le fait que ce rôle me tenait à cœur : il y a quatre ans, je faisais partie des personnes en lice pour jouer le rôle pour la production Stage Entertainment à Mogador, qui ne s'est malheureusement pas faite. Donc il y avait beaucoup d'émotion sur ces premiers tours. Le dernier essai a eu lieu début août et j'ai eu la réponse à la fin du mois : les Américains et les Français avaient choisi ma voix. Mais... ils peuvent changer d'avis en cours de route, y compris une fois qu'on a déjà tout enregistré donc la pression est restée jusqu'au mois de novembre où j'ai eu une validation définitive.

Que représentait ce rôle pour vous ?
Je n'ai pas de rôle rêvé mais Mary Poppins est un rôle qui s'est présenté à moi il y a cinq ans quand Stage a voulu le monter. J'ai travaillé comme une dingue pour ces auditions et quand ça ne s'est pas fait, ça a été une déception, évidemment. Le fait que ce personnage revienne dans ma vie, sous une autre forme mais tout aussi magnifique, c'était fou ! Et donc c'était encore plus motivant. Ça m'a permis de boucler une boucle, c'est une histoire qui se finit bien. !

Quels ont été les challenges et les plaisirs de cette expérience ?
Le challenge, c'est que l’enregistrement a été très court : quatre jours pour enregistrer les chansons en n'ayant aucune partition en amont. On passe huit heures dans un studio, c'est un travail de très grande concentration. Pour le jeu, le challenge est de tout enregistrer seule, sans mes partenaires, sur un temps très court également. Tout est au millimètre, on peut réenregistrer la même phrase des dizaines de fois. Néanmoins, ça reste court et quand on sait que la voix va rester fixée pour le cinéma, les DVD, etc, on aimerait pouvoir y passer plus de temps. Mais j'adore le doublage, cette adrénaline. Et puis, être la voix d'une héroïne Disney, c'est un rêve de petite fille qui se réalise.

Aujourd'hui, vous revenez dans Chance au Théâtre La Bruyère. Pouvez-vous nous parler de votre histoire avec ce spectacle ?
Je suis arrivée à Paris en 2000 et j'ai vu ce spectacle en 2001. J'étais encore à l'école à l'époque et je me suis dit qu'un jour, je ferais ce spectacle. En 2006, Hervé Devolder m'a appelée pour le rôle de Kate... mais je voulais faire Agnès car je me sentais plus proche de ce personnage. Il m'a donc fait passer des essais sur Agnès et m'a validée. Je me suis éclatée à jouer ce bijou. Et aujourd'hui, je m'amuse autant, voire plus, avec plus de confiance et d'assurance, d'autant plus que maintenant, j'ai l'âge du rôle ! Ce n'est que du plaisir.

Vous êtes également à l'origine de la structure Les Ateliers du Libre Artiste. Pouvez-vous nous en parler ?

C'est une structure d'accompagnement et de training des artistes interprètes (comédiens, chanteurs, danseurs, musiciens, etc) professionnels ou dans une démarche professionnalisante. L'idée a émergé de plusieurs constats. Le premier est que dans les écoles artistiques, les jeunes sont formés techniquement à chanter, danser, jouer... mais que font-ils en sortant de l'école ? Quelle structure peut les accompagner dans leurs questions d'après, telles que l'intermittence, les auditions, etc ? Également, pour la génération d'artistes au dessus de la mienne, il n'existait pas d'écoles de théâtre musical par exemple, celles-ci étant relativement récentes. Nombreux se sont donc concentrés sur une seule discipline artistique et ont envie aujourd'hui de s'ouvrir à d'autres. Ils ne savent pas trop où aller, notamment pour le chant. Les cours particuliers sont possibles mais c'est une démarche solitaire et il est important à un moment de se confronter au regard des autres. Nos métiers sont aussi paradoxalement les plus riches de rencontres, mais les plus solitaires. Enfin, l'artiste est un sportif de haut niveau. Même en période d'inactivité professionnelle, il se doit de rester dans une dynamique de travail, performant.
En juillet 2017, j'ai donc écrit le projet des Ateliers du Libre Artiste. Mes amis Justine Nouveau (chorégraphe et danseuse) et David Jean (chanteur et coach vocal) m'ont suivie dans cette initiative. L'association a ouvert son premier atelier en janvier 2018, l'équipe s'est agrandie depuis, et les projets fusent. Notre mission est de mettre tout en œuvre pour combler les manques que peut ressentir l'artiste interprète, que ce soit au niveau informatif, administratif, ou artistique ; de lui apporter des réponses, des formations de qualité et à prix raisonnables ; d'accompagner des prises de risques, des changements de cap, de mettre en lien les personnes qui peuvent s'entraider. Par exemple, nous avons un atelier de chant hebdomadaire où les chanteurs peuvent venir entretenir leur instrument, et les danseurs ou comédiens découvrir leurs capacités ; également, un atelier de danse chaque mardi pour les chanteurs-comédiens qui n’ont pas de bases de danse. Chacun.e vient y travailler, y découvrir des choses, tout en restant en lien avec d'autres artistes.
J'accorde beaucoup de temps et d'énergie à l'association, mais c'est un projet fabuleux qui donne un sens à ce que j'ai reçu et reçois toujours en tant qu'artiste. Je pense que les expériences, les savoir-faire, les talents, doivent être partagés pour s'élever, tous ensemble.
A terme, nous espérons avec une structure physique pour accueillir tout ça, et plus encore...

Le retour de Mary Poppins, en salles depuis le 19 décembre 2019
Chance, à partir du 31 janvier 2019 au Théâtre La Bruyère
Les Ateliers du Libre Artiste