Louis Langrée, Guillaume Gallienne et Clairemarie Osta conjuguent les arts scéniques au service de ces deux chefs‑d’œuvre inspirés du XVIIIe siècle galant, dans un spectacle qui célèbre la liberté des genres et la fécondité de l’esprit comique.
Une fois n’est pas coutume, toutes les filles sont amoureuses de Polichinelle : il doit donc se débarrasser des jaloux tout en sauvant sa propre idylle. C’est le contraire pour Concepción, épouse de l’horloger de Tolède, qui est affligée d’amants aussi décevants que son mari.
Ravel, que Stravinsky surnommait « l’horloger suisse », créa à l’Opéra-Comique son premier opus lyrique, une comédie musicale magnifiant les paroles et la mécanique du théâtre, juste avant d’aborder sa collaboration avec les Ballets russes. C’est pour ceux-ci qu’après-guerre, Stravinsky accepta de tremper son inspiration dans le théâtre bouffe de Pergolèse : créé à l’Opéra, son ballet Pulcinella inaugura la période néo-classique de sa production.
Notre avis : L’Heure espagnole de Maurice Ravel étant une œuvre de courte durée, celle-ci se trouve inévitablement couplée avec une autre afin de présenter un spectacle complet .
L’Opéra-Comique nous propose un mariage inédit en l’associant à Pulcinella, ballet en un acte sur une musique de Stravinsky (inspirée par Pergolèse) et dans une mise en scène de Guillaume Gallienne.
Le décor unique surréaliste – très inspiré par le style du peintre Italien Giorgio De Chirico – sert judicieusement les deux intrigues à première vue sans rapport.
Nous comprendrons rapidement que le lien se fait par les intrigues amoureuses inversées des deux histoires. Polichinelle, dont toutes les filles sont amoureuses, doit se débarrasser des jaloux tout en sauvant sa propre idylle tandis que Concepción de son côté doit choisir un amant parmi les prétendants qui, dans l’ensemble, ne valent pas mieux que son mari.
Le ballet Pulcinella dansé par le Suédois Oscar Salomonsson nous permet d’admirer une fois encore la gracieuse étoile de l’Opéra de Paris Alice Renavand, qui fit tout récemment ses adieux à la « Grande Maison » de la danse, entourée par quatre autres interprètes (deux danseuses ainsi que deux danseurs). Ils forment tous les deux un très gracieux couple d’amoureux dont on sent la forte attirance.
L’exiguïté de la scène de Favart ne facilite nullement leurs déplacements ; nous les sentons calculer minutieusement chacun de leurs pas, très bridés par l’impressionnant mais non moins joli décor signé Sylvie Olivé.
Le support vocal des trois chanteurs est à louer ; nous passons un bon moment musical et chorégraphique en leur compagnie.
Nous n’oublions évidemment pas une autre grande figure de la danse, Clairemarie Osta, qui a eu la charge de régler ce petit monde au millimètre près.!
L’Heure espagnole arrive en seconde partie avec son cortège de bonne humeur.
Rien d’étonnant à cela car on imagine facilement la jubilation qu’a pu ressentir Ravel en mettant en musique l’acte joyeux écrit par Franc-Nohain.
Transposition de l’intrigue dans une Espagne d’opérette, il fut séduit par l’implacable mécanique horlogère qui conduit les quatre personnages masculins à convoiter la belle Concepción dans un esprit assez grivois, disons-le, bien loin de celui du musicien ! Il s’en est néanmoins amusé tout en nous divertissant.
On retrouve la malicieuse Stéphanie d’Oustrac dans une composition pas si éloignée de celle de La Périchole qu’elle interpréta sur cette même scène il y a deux ans. Sa voix chaude semble idéale pour le rôle.
Elle rayonne dans cet emploi de coquette ; ses soupirants, valeurs sûres du chant français (Philippe Talbot, Jean-Sébastien Bou, Nicolas Cavallier, Benoît Rameau),
virevoltent autour d’elle avec panache et nous livrent une impeccable leçon de chant et de comédie.
Louis Langrée conduit avec fougue l’Orchestre des Champs-Elysées ; le trio qu’il forme avec Guillaume Gallienne et Clairemarie Osta est donné gagnant à en juger par l’accueil chaleureux du public qui leur a été réservé ce soir-là.
Une mention spéciale est décernée à John Torres qui a su si joliment éclairer le spectacle.