Il vient tout juste d’avoir 25 ans et s’est pourtant déjà fait un nom dans le théâtre musical… Cubanista, We Will Rock You, Raffaële Lucania est un chorégraphe qui monte. Pour Regard en Coulisse, il a accepté de revenir sur ses expériences et d’évoquer son travail.
Raffaële, pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?
Je suis originaire de Belgique. Passionné de danse, j’ai suivi, de 14 à 18 ans, l’équivalent du « sport études » français : une formation pluridisciplinaire intensive, spécialisée dans la danse, classique et contemporaine. Et en parallèle, je travaillais le hip-hop, le modern jazz… J’avais prévenu mes parents : « Quoi qu’il arrive, après mon bac, je pars à Paris et je danserai. » C’est ce qui s’est passé ! Tout est ensuite allé très vite : je suis entré à l’Académie Internationale de la Danse, ai intégré leur compagnie, le Jeune Ballet Européen. Et alors que j’étais toujours apprenti, je suis parti en tournée avec Robin des Bois. J’avais tout juste 18 ans ! Après, ce furent Mistinguett au Casino de Paris, Peter Pan en Belgique, Les Trois Mousquetaires au Palais des Sports puis en tournée, Dirty Dancing… Tout s’est enchaîné non-stop.
Depuis, on a retrouvé votre nom sur We Will Rock You, Cubanista au Casino Barrière de Lille… Comment passe-t-on de danseur à chorégraphe ?
J’ai toujours voulu être chorégraphe ! C’était mon but ultime. J’ai beaucoup d’imagination, j’aime créer, et j’ai besoin de l’extérioriser. C’est même quasi permanent… Écrire, concevoir, inventer ! Et bien sûr, j’aime aussi diriger, le rapport avec les autres. Tout a commencé lorsque j’étais à l’A.I.D. : j’avais monté une sorte de petite compagnie. Ma meilleure amie avait un théâtre à Limoges, mis à notre disposition, cela m’a permis de tester là-bas mes créations. On a même fait une mini-tournée dans la région avec un spectacle que j’avais conçu sur Édith Piaf. Mais mes véritables débuts, c’est à Disneyland Paris. Le parc cherche régulièrement des chorégraphes pour se constituer un genre de vivier. J’ai passé une audition et malgré mes 22 ans, j’ai été pris. J’étais le plus jeune, évidemment ! La direction m’a dit : « On fera sûrement appel à vous, mais ne soyez pas pressé ! » Un mois plus tard, on me rappelait : j’avais été choisi pour m’occuper de la parade de Noël ! C’était à l’automne 2017. Jusqu’à cette année encore, c’était « ma » parade qui traversait le parc !
Comment cela s’est-il passé concrètement ?
Pour être franc, je ne savais pas trop où je mettais les pieds ! Et ce fut incroyable. J’avais 96 personnes par parade. Plus précisément, trois « casts » de 96, chacun réparti en sept unités. Ce qui veut dire sept thèmes différents, sept musiques donc sept chorégraphies ! Auxquelles s’ajoutent celles des personnages sur les chars. Il a fallu dix jours de création et de préproduction avec mes capitaines, puis un mois de répétitions dans trois studios différents. Énormément de boulot mais une super expérience.
Comment abordez-vous votre travail ?
J’aime beaucoup travailler en lien avec le metteur en scène. J’échange énormément. Je lui demande ses intentions, ce qu’il veut exprimer. Par exemple, sur We Will Rock You, avec Ned (Grujic, N.D.L .R.), nous avons détaillé musique par musique, tableau par tableau, ce qu’il voulait raconter, ce qu’il souhaitait que chaque scène exprime. Après, c’est à moi de créer. Sur We Will justement, ce fut à la fois extra et compliqué : extra car j’avais carte blanche, tout était à inventer ; mais compliqué, car le livret est relativement simple et il était difficile de s’y appuyer. Je me suis donc amusé à créer des personnages, à leur attribuer des gestuelles. Ainsi pour « les Yuppies » qui n’ont pas d’attitude particulière à la base. Comme à Disney, où le but est de faire rêver, la gestuelle était primordiale. En revanche, sur Cubanista, un spectacle plus terre à terre, j’ai privilégié ambiance salsa et danses latines. En fait, il faut toujours transmettre une émotion par une figure. À moi de la trouver. Je suis au service du spectacle.
Vous notez, vous griffonnez ?
Je dessine beaucoup sur mon carnet… Je fais beaucoup de croix ! Avec les positions, des blocs d’enchaînements et, visuellement, je vois si ça marche. Je découpe aussi les musiques, énormément. Si quelqu’un lit mon carnet, il ne comprendra rien ! Moi je me comprends !
Quelles sont vos influences ?
J’avais beaucoup aimé le travail de Giuliano Peparini sur 1789 : Les Amants de la Bastille. Ce qu’il avait fait en termes de visuel. Mais mes influences viennent principalement de mes expériences de danseur. J’en ai gardé ce que j’aimais. Sur Robin ou Les Trois Mousquetaires, c’était street-jazz, approche au sol, avec Yaman Okur, des choses plutôt abstraites. J’ai d’ailleurs énormément appris sur Robin. J’étais swing, je changeais régulièrement de place selon les soirs. Et chaque tableau était très différent. Sur Dirty Dancing, j’ai appris les portés. Sur Alors on danse ?, le spectacle de Chris Marques, les danses de salon. J’ajoute enfin, sur Mistinguett, l’influence jazz et surtout la mise en scène, grâce à François Chouquet. Il est incroyable. Moi qui n’avais jamais pris de cours de comédie, il m’a énormément appris sur l’acting : comment jouer, comment exister sur un plateau… C’était d’ailleurs un spectacle de grande qualité. Tout cela m’a enrichi.
Cependant, pour être honnête, je n’aime pas trop m’inspirer du travail des autres, j’ai même du mal à regarder ce qu’ils font ! Pas du tout par jalousie, mais j’aurais trop peur de les plagier ! Et de casser ma créativité. Mais attention je ne ferme pas les yeux quand je vais voir un spectacle ! (rires)
Comment éviter de se répéter ?
C’était dur dans We Will Rock You car les « méchants » reviennent à cinq reprises. Je ne voulais surtout pas que ce soit tout le temps la même chose, avec ces huit danseurs. J’ai donc gardé la gestuelle, mais en essayant à chaque fois de raconter quelque chose de différent. Je pense notamment au premier tableau, « Killer Queen » (chanté par Ana Ka), qui s’enchaînait avec « Play the Game », un discours autoritaire. Si pour l’ouverture, les figures étaient nobles, aériennes, plus en hauteur, j’ai choisi ensuite une tout autre approche, afin de symboliser cette ambiance plus lourde. La gestuelle est devenue plus animale, plus fermée, plus dure, et les mouvements beaucoup plus près du sol. Tout en faisant avancer l’histoire, il fallait une autre énergie à apporter.
Est-ce frustrant de danser sur un spectacle que vous n’avez pas chorégraphié ?
Cela dépend de qui dirige ! (éclat de rire). Sur Stories, par exemple, Romain Rachline sait exactement ce qu’il veut, tout est propre et clair. Je n’ai pas à me poser de questions. Là où c’est parfois plus compliqué pour moi, c’est quand la direction artistique est face à une impasse ou une problématique artistique. Mes réflexes de chorégraphe prennent le dessus et j’ai envie de donner mon avis. Mais ce n’est pas mon rôle. Je sers autre chose. Je sais faire la part des choses et rester à ma place quand ce n’est pas mon projet ! J’avoue que cela fait du bien de ne pas gérer, de ne pas avoir les responsabilités. Tu apprends tellement de choses. Qui me serviront aussi ! Et puis moi qui aime rigoler et délirer, tu ne peux pas toujours le faire quand tu es chorégraphe !
On vous a retrouvé il y a quelques semaines à l’affiche de Stories. Quels sont les autres projets que vous pouvez annoncer pour ces prochains mois ?
Comme danseur, je repartirai à l’automne prochain avec Alors on danse ? de Chris Marques. Nous tournons partout en France avec ce spectacle formidable. Chris Marques est adorable. C’est un type en or. Et le show est formidable.
Par ailleurs, je vais m’occuper des chorégraphies des futurs clips d’Ana Ka (vue dans « The Voice », Priscilla, folle du désert et We Will Rock You). Elle sortira en effet prochainement un album, et nous allons travailler ensemble. Il y a Stories, qui a remporté un succès au Casino de Paris, sous la houlette de Romain Rachline. Enfin, je vais renouveler notre duo avec Alexis Mériaux — lui à la mise en scène, moi aux chorégraphies — pour le grand concert du Chœur de Pierre au Cirque d’Hiver. Après L’Atelier de l’étrange l’an dernier, le show du chœur de Pierre Babolat s’intitulera cette année Sea You There! J’ai adoré travailler avec ces 150 choristes. Amateurs, ils ont une véritable innocence, et une vraie motivation. Ils ne sont jamais blasés.
Qu’il y ait une ou cent personnes sur scène, je prends plaisir à partager ma passion et mes univers. Comme lorsque je danse. À chaque fois, on raconte quelque chose. Et alors une histoire commence…