Le titre de cette comédie musicale pourrait prêter à confusion. En effet « curve » en anglais peut signifier la silhouette ou la forme physique d’une femme dans un sens un peu « sexy », surtout quand « real women » peut également se traduire par « vraies femmes ». Or le sujet de cette œuvre qui vient de faire ses premiers pas à Broadway n’a rien à voir avec tout cela, même si les actrices en scène témoignent d’un certain embonpoint, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas séduisantes.

En réalité, le sujet de cette œuvre, inspirée d’une comédie qui avait fait ses preuves en 1990 avant d’être portée à l’écran en 2002, met en scène un couple d’immigrés mexicains, Carmen et Raul, et leurs deux filles, Estela et Ana, qui se sont installés clandestinement dans un quartier latino de Los Angeles bien connu, Boyle Heights. À l’abri des enquêtes susceptibles de les renvoyer dans leur bercail, Carmen, couturière de son état, a conseillé à Estela de prendre en charge un atelier mis à leur disposition par une autre Mexicaine haut placée, Mrs. Wright, où elles travaillent à créer des vêtements seyants et riches en couleurs, avec l’aide de cinq autres couturières également immigrées et qui ont intérêt à mener une existence cachée.

Entre-temps, Ana, qui a fait des études sérieuses, attend de pouvoir les poursuivre dans une université de choix, la Columbia University à New York, et passe son temps à faire des reportages pour une gazette locale, ce qui devrait lui permettre de réaliser son rêve de devenir journaliste. C’est là qu’elle fait la connaissance de Henry, un autre journaliste en herbe qui tente, dans un premier temps, de repousser Ana pour s'emparer de ses reportages avant de tomber amoureux d’elle – et elle de lui.

C’est alors que Mrs. Wright demande à ses couturières d’occasion de confectionner deux cents robes en l’espace de trois semaines, date limite après laquelle, si elle n’est pas satisfaite, elle ira ailleurs. Il n’en faut pas plus pour qu’Estela et ses ouvrières se lancent dans une course folle contre la montre pour satisfaire cette demande inespérée qui devrait leur rapporter un cachet assez important. Bien qu’elle n’ait aucune connaissance dans ce domaine, sa sœur Ana se joint bientôt à elles en attendant d’annoncer à sa mère, quand le moment sera venu, qu’elle veut aller à New York.

Trois semaines plus tard, Mrs. Wright vient prendre possession de ses deux cents costumes, lesquels ont été réalisés in extremis mais dans les temps. Pourtant, quand Estela lui demande de bien vouloir les payer, elle et les autres couturières, Mrs. Wright les ignore totalement, sachant qu’elles ne pourront pas porter plainte auprès des autorités du fait de leur présence illégale. Mais Ana intervient et lui déclare qu’elle est en train de faire un reportage sur l’atelier clandestin pour son journal et que si Mrs. Wright ne paie pas les couturières, elle parlera d’elle en termes désobligeants dans son article. Il n’en faut pas plus pour qu’Estela soit payée, tandis qu’Ana annonce enfin à sa mère son intention d’aller poursuivre ses études à Columbia.

Si cette comédie musicale démarre un peu lentement, elle gagne rapidement un rythme échevelé grâce d’abord à la mise en scène et à la chorégraphie éclatantes de Sergio Trujillo, qui donne à l’ensemble beaucoup d’allant. À cela s’ajoutent les nombreuses chansons créées par Joy Huerta et Benjamin Velez sur des tempos qui souvent empruntent aux rythmes mexicains et dont beaucoup se révèlent très ingénieuses et attirantes comme « If I Were a Bird », « De Nada », « Oye, Muchacha » « Adios Andres », « Life Is Like a Dance » et Daydream », toutes aussi convaincantes les unes que les autres, qu’elles soient interprétées en anglais ou en espagnol. Mais le clou de cette sélection demeure la chanson-titre, au cours de laquelle les six ouvrières de l’atelier et Ana enlèvent leurs habits pour révéler que, même quand elles sont vues en sous-vêtements, real women have curves (les vraies femmes sont séduisantes).

La distribution, qui regroupe plusieurs actrices faisant leurs premiers pas à Broadway, est à la hauteur du spectacle. Tatiana Cordoba mène le jeu avec vivacité dans le rôle d’Ana, secondée allègrement par Florencia Cuenca dans celui d’Estela, ainsi que Justina Machado sous les traits de Carmen, et Jennifer Sanchez, Carla Jimenez, Shelby Acosta, Sandra Valls et Aline Mayagoitia, les cinq ouvrières.
Tout dans cette comédie musicale déborde de lumière et d’élan, et notamment les costumes de Wilberth Gonzalez et Paloma Young, les éclairages vibrants de Natasha Katz et les décors pleins de couleurs d’Arnulfo Maldonado. Il en ressort un spectacle parfois délirant mais solidement étayé, et fort intéressant. La présidence états-unienne actuelle n’apprécierait sans doute pas, mais les spectateurs n’y trouveront rien à redire tant ils seront vivement séduits par cette production pleine de vie.