She Loves Me

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Signature Theatre  – Arlington, Viriginia.
Du 2 mars au 24 avril 2022.
Renseignements sur le site du théâtre.

La comédie musi­cale est belle et bien la sig­na­ture du Sig­na­ture The­atre. En 2009, il rem­porte d’ailleurs un Tony Award, non pas pour l’une de ses pro­duc­tions, mais bien en tant qu’in­sti­tu­tion : le Region­al The­atre Tony Award récom­pense les théâtres régionaux, c’est-à-dire les étab­lisse­ments pro­fes­sion­nels en dehors de New York (il y eut cepen­dant une excep­tion en 2014). Et pas de doute que le Sig­na­ture The­atre, situé dans le comté d’Arlington, à quelques min­utes seule­ment de Wash­ing­ton, mérite ce prix et un petit détour ! La rédac­tion de Regard en Coulisse s’y est ren­due pour vous.

Le Sig­na­ture The­atre est impor­tant dans le paysage de la comédie musi­cale aux États-Unis. Grâce à sa pro­gram­ma­tion auda­cieuse entre revivals et créa­tions, il fait vivre et pro­gress­er l’écosystème du musi­cal en dehors de Broad­way. Il abrite surtout le plus grand pro­gramme de bourse de théâtre musi­cal aux États-Unis, le Amer­i­can Musi­cal Voic­es Project. Con­stru­it à par­tir de la dona­tion d’un mil­lion de dol­lars par la Shen Fam­i­ly Foun­da­tion en 2007, ce pro­gramme s’ar­tic­ule autour de plusieurs prix :
— le Ini­tial Musi­cal The­ater Com­pos­er Grants, qui récom­pense des com­pos­i­teurs mais finance aus­si des créa­tions qui sont ensuite mis­es à l’af­fiche du théâtre la sai­son suivante ;
— le Musi­cal The­ater Lead­er­ship Awards, qui récom­pense des per­son­nes pour leur influ­ence et leur con­tri­bu­tion au développe­ment du théâtre musi­cal contemporain.
— Enfin, Next Gen­er­a­tion, dernier volet mis en place, vise à met­tre en valeur des com­pos­i­teurs émergents.

Ce sys­tème per­met de faire vivre la créa­tion et a déjà récom­pen­sé Michael John LaChiusa (The Wild Par­ty), Jea­nine Tesori (Fun Home, Shrek The Musi­cal), ou encore Audra McDonald.

Haut lieu du musi­cal, le Sig­na­ture The­atre a donc, depuis son ouver­ture en 1989, accu­mulé les pro­duc­tions à suc­cès. Même les plus grands noms y ont présen­té des œuvres : James Lap­ine, John Kan­der et Fred Ebb, Ter­rence McNal­ly… Mais c’est surtout avec Stephen Sond­heim que le théâtre a tis­sé une rela­tion toute par­ti­c­ulière, en pro­duisant trente de ses comédies musi­cales, revues et con­certs – c’est plus que tout autre théâtre pro­fes­sion­nel du pays. C’est d’ailleurs avec ce com­pos­i­teur qu’il ouvre sa deux­ième sai­son, en 1991, en pro­gram­mant une pro­duc­tion de Sweeney Todd qui fait par­ler d’elle. Depuis, les suc­cès se suc­cè­dent : de Into the Woods à Dream­girls, en pas­sant par West Side Sto­ry ou encore Les Mis­érables et Miss Saigon.

Au début du mois d’avril, nous avons eu la chance d’assister à leur pro­duc­tion de She Loves Me, musi­cal dont le livret fut écrit en 1963 par Joe Mas­teroff avec des paroles de Shel­don Har­nick et une musique de Jer­ry Bock. Cette créa­tion est adap­tée de la pièce de Mik­los Las­z­lo, Par­fumerie (1937), dont l’intrigue tourne autour d’un cou­ple d’employés qui ne cessent de se chamailler sans se ren­dre compte que c’est l’un avec l’autre qu’ils entre­ti­en­nent une rela­tion épis­to­laire amoureuse et anonyme. Voir notre Dossier sur cette œuvre.

Bock et Har­nick en font un musi­cal on ne peut plus clas­sique avec la typ­ique trame nar­ra­tive évolu­ant autour de deux cou­ples : l’un léger et amu­sant, l’autre plus pro­fond et cen­tral. Comme dans de nom­breux musi­cals de l’âge d’or, les pro­tag­o­nistes du cou­ple dit sérieux, ici des col­lègues rivaux dans une petite bou­tique de par­fums, vont finale­ment fon­dre l’un pour l’autre, à l’in­star de la fameuse « Vanil­la Ice Cream ». Cette romance s’en­toure de per­son­nages satel­lites au fort poten­tiel comique qui tinte le tout d’humour et de légèreté voire de dés­in­vol­ture. Cette intrigue si élé­men­taire des années 30 a inspiré de nom­breuses adap­ta­tions autres que ce musi­cal : vous avez sûre­ment recon­nu le scé­nario de You’ve Got Mail (Vous avez un mes­sage), où Tom Han­ks et Meg Ryan se prê­tent au jeu du « Je t’aime, moi non plus » trans­posé dans le monde de la librairie à l’époque des débuts d’Internet. On se sou­vient égale­ment qu’en 2010 la pièce musi­cale avait été adap­tée en français au Théâtre de Paris sous le titre Ren­dez-vous.

©Christo­pher Mueller

Au Sig­na­ture, la mise en scène au cordeau de Matthew Gar­diner et les bril­lantes choré­gra­phies de Kel­ly Cran­dall d’Am­boise font à nou­veau de cette œuvre un suc­cès. Le pub­lic est rep­longé dans ce char­mant clas­sique du Gold­en Age améri­cain et est invité à redé­cou­vrir une pièce de prime abord très sim­ple mais qui est aus­si par­faite­ment con­stru­ite, écrite et com­posée. Immergé dans une ambiance roman­tique presque suran­née, scan­dée de plaisan­ter­ies pleines d’esprit qui provo­quent tou­jours le rire du public.

©Christo­pher Mueller

La qual­ité de cette pro­duc­tion n’a rien à envi­er aux grands spec­ta­cles de Broad­way, et c’est sans doute parce que l’on ressent à tout moment l’in­vestisse­ment de chaque mem­bre de l’équipe au ser­vice d’une créa­tiv­ité débor­dante. Bien qu’à plus petite échelle en com­para­i­son des bud­gets new-yorkais, la représen­ta­tion ne déçoit pas les espérances du pub­lic : tout le monde en sort ravi. Sans oubli­er que ce cadre plus intimiste pos­sède un énorme avan­tage : placé vrai­ment plus proche de la scène, il est facile de con­tem­pler le vis­age des comé­di­ens, de suiv­re leurs expres­sions et de prof­iter pleine­ment de leur jeu.

Tous les rôles sont, de plus, par­faite­ment dis­tribués et les artistes sont impres­sion­nants de tal­ent. Du cal­i­bre de Broad­way ! Notam­ment Ali Ewoldt, qui a inter­prété Cosette (Les Mis­érables) et Chris­tine (The Phan­tom of the Opera) à Broad­way justement.

L’in­vestisse­ment physique et la force de propo­si­tion des comé­di­ens font de ces rôles quelque peu stéréo­typés (la jeune ingénue cré­d­ule et pos­i­tive, le trente­naire céli­bataire et mal­adroit, la sul­fureuse cro­queuse d’hommes aux accents comiques, etc.) des per­son­nages plus nuancés et plus com­plex­es. Se détache en par­ti­c­uli­er la per­for­mance d’Ali Ewoldt, qui incar­ne une char­mante Amalia, pétil­lante, con­fi­ante, pleine d’espoir et chan­tant avec brio de sa voix de sopra­no qua­si opéra­tique la note de clô­ture tant atten­due de « Vanil­la Ice Cream ». Mais il faut aus­si men­tion­ner Maria Riz­zo, qui campe une Ilona Rit­ter plus qu’amusante et décom­plexée, ain­si que Bob­by Smith en Ladislav Sipos dévoué à son patron et à sa famille : un mon­sieur Tout-le-Monde qui a un charme fou.

La par­ti­tion qui peut sem­bler vieil­lotte, tout en valses, bal­lades roman­tiques et duos amoureux ou comiques, regorge en vérité de per­les et de titres adorés que nous sommes heureux de pou­voir écouter et redé­cou­vrir, portés ici par un jeu si frais que chaque ligne sem­ble nou­velle, pronon­cée et enten­due pour la pre­mière fois.

L’ensem­ble est aus­si très bien dirigé, liant et ponc­tu­ant la soirée de moments choré­graphiés intel­li­gents et dynamiques, moquant par exem­ple le chaos semé dans un restau­rant par un serveur mal­adroit ou bien la frénésie des achats de Noël de dernière minute.

Lee Sav­age a conçu un décor qui s’ouvre – dans un effet de sur­prise qui ne manque pas de provo­quer les applaud­isse­ments du pub­lic – comme un écrin sur une bou­tique aux couleurs bon­bon. Il en tire encore de mul­ti­ples pos­si­bil­ités, trans­for­mant les fla­cons de par­fum dis­posés sur une étagère en un éta­lage de bouteilles d’alcool dans un bar. À la fois déco­ratif et fonc­tion­nel, le décor placé sur une tour­nette per­met aus­si bien d’exposer des espaces publics, comme le joli mag­a­sin de par­fums ou un restau­rant, que de créer des espaces plus intimes comme l’arrière-boutique, un apparte­ment ou une cham­bre d’hôpital, où les per­son­nages peu­vent se retrou­ver ou se con­fron­ter, et ain­si tiss­er des liens plus forts.

©Christo­pher Mueller

Le Sig­na­ture The­atre rend donc hom­mage à cette pièce char­mante et sophis­tiquée en pro­duisant un spec­ta­cle riche des mêmes attrib­uts. Si vous en avez assez de pay­er plus de cent dol­lars pour être au dernier rang d’une mez­za­nine à Broad­way, le Sig­na­ture The­atre est fait pour vous ! En plus d’as­sis­ter à des représen­ta­tions de grande qual­ité, vous con­tribuerez à financer une insti­tu­tion aux pro­jets ambitieux et féconds.

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