Inspirée du roman éponyme de S.E. Hinton publié en 1967 et de son adaptation au cinéma réalisée par Francis Ford Coppola en 1983, la nouvelle comédie musicale The Outsiders est une révélation.
Elle met en scène deux groupes de jeunes, les Greasers, laissés pour compte, et les Socs, d’un niveau social plus élevé, qui se disputent non pas le même territoire mais leur position dans la société.
Revue et adaptée par Adam Rapp et Justin Levine – ce dernier également auteur des chansons avec Jonathan Clay et Zach Chance du groupe texan Jamestown Revival –, la pièce évoque irrésistiblement West Side Story, le spectacle créé en 1957 par Leonard Bernstein et Stephen Sondheim et mis en scène par Jerome Robbins. Comme c’était déjà le cas dans cette œuvre iconique, elle oppose deux gangs, mais ici, l’un est issu des milieux ouvriers tandis que l’autre affiche sa supériorité dans le domaine social et intellectuel. Il n’empêche : la rivalité qui les oppose permet à l’action de prendre toute la mesure du conflit qui existe entre ceux qui ont accès à une éducation solide, une position de choix dans la société et un avenir garanti, et ceux pour qui le futur est aussi terne que leur propre existence, les outsiders du titre.
Ponyboy (Brody Grant), un jeune adolescent qui rêve de devenir un héros comme l’acteur Paul Newman, dont il admire les films, vit avec ses deux frères un peu plus âgés, Darrel (Brent Comer) et Sodapop (Jason Schmidt), depuis que leurs parents sont morts dans un accident. Il appartient à un groupe d’autres adolescents comme lui, sans grand espoir de réussir dans la vie, qui, en raison de leurs cheveux mal peignés, ont été baptisés les « Greasers » par un autre groupe, les « Socs », qui se targuent de leur position dans la société bien au-dessus de celle des malheureux qui traînent dans les rues, et dont le chef de file est Bob, arrogant et sûr de son avenir.
Quand, au cours d’une rencontre inopinée, Ponyboy et son meilleur copain, Johnny, font la connaissance de Cherry (Emma Pittman), la petite amie de Bob, il n’en faut pas plus à ce dernier pour vouloir remettre son rival à sa place, mais Johnny prend la défense de Ponyboy et tue Bob. Avec l’aide d’un autre copain, Two-Bit (Daryl Tofa), Ponyboy va se cacher dans une église désaffectée pour échapper aux Socs, qui veulent venger Bob, et à la police qui le recherche. Johnny les rejoint mais alors qu’ils s’apprêtent à rentrer chez eux, un incendie se déclenche dans l’église et menace un groupe d’enfants venus la visiter. Ponyboy et Johnny les sauvent, mais une poutre endommagée tombe sur Johnny ; grièvement blessé, il meurt à l’hôpital.
Déprimé par tout ce qui s’est passé et se sentant grandement responsable, Ponyboy est encouragé par ses frères à reprendre le dessus et à surmonter cette épreuve. Ils sont secondés par Cherry qui est opposée à la rivalité entre les deux gangs et à l’attitude de Bob à l’égard de Ponyboy, à qui elle vient dire adieu.
Enthousiasmant dans son traitement et son expression, le spectacle se révèle prenant et passionnant, en dépit de certains moments moins convaincants à refléter les sentiments des personnages. Mais il faut reconnaître que les acteurs, dont certains font leurs premiers pas à Broadway, se montrent toujours à la hauteur de leurs talents professionnels, tout en donnant l’impression d’être encore des adolescents.
En tête de liste, Brody Grant donne à Ponyboy la profondeur recherchée d’un jeune féru de connaissances qui dépassent l’entendement de ses copains (il lit Autant en emporte le vent et cite des poèmes de Robert Frost) ; parmi ceux qui l’entourent, Sky Lakota-Lynch se distingue dans le rôle de Johnny, ainsi que Daryl Tofa sous les traits de Two-Bit. Dans le rôle de Bob, Kevin William Paul montre beaucoup d’assurance et est souvent bien secondé par Emma Pittman (Cherry) à ses côtés. Parmi les autres acteurs dont les talents sont également d’un niveau très professionnel, Brent Comer et Jason Schmidt donnent aussi le relief nécessaire aux frères de Ponyboy dans leurs courtes interventions.
Mais ce qui frappe le plus dans cette production pleine de rebondissements, c’est le réalisme apporté aux effets scéniques créés par Jeremy Chernick et Lillis Meeh – un orage qui inonde la scène et les acteurs, un incendie qui se répand dans les confins de l’église en feu — ainsi que la scénographie sobre de Amp et Tatiana Kahvegian.
Quant aux chansons composées par Jonathan Clay et Zach Chance du groupe Jamestown Revival et Justin Levine, elles accrochent les oreilles et donnent au spectacle une solidité musicale et théâtrale qui lui sied. La chorégraphie des frères Kupperman, Rick et Jeff, qui s’inspire du travail du légendaire Jerome Robbins tout en s’éloignant des visions fréquentes à Broadway, est souvent stupéfiante avec ses mouvements et inventions souvent empruntés aux vidéos de rock, le tout sous le contrôle du metteur en scène Danya Taymor.
Tous ces éléments font de The Outsiders un spectacle qui tient bien la route et est très bien agencé du début jusqu’au rideau final.