Mais quelle Comédie !

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Comédie-Française – Salle Richelieu – Place Colette, 75001 Paris.
Du 23 mai au 21 juillet 2024.
Renseignements et réservations sur le site de la Comédie-Française.

La Comédie-Française fait son show !

Tel pour­rait être le sous-titre de ce spec­ta­cle imag­iné par Serge Bag­das­sar­i­an et Mari­na Hands comme une ode à la Troupe, à la joie de se retrou­ver, de retrou­ver le pub­lic au sor­tir de la crise san­i­taire qui nous avait séparés en 2020. Entre Broad­way et cabaret, on y danse, on y chante et on se laisse porter, de rires en larmes, par ce spec­ta­cle musi­cal fes­tif, con­stru­it autour des artistes qui sont le cœur de notre Maison.

« Nous avons rêvé Mais quelle Comédie ! dans la con­ti­nu­ité de La Comédie con­tin­ue !, notre Web TV créée lors du con­fine­ment, déclar­ent Serge Bag­das­sar­i­an et Mari­na Hands. Au-delà de la richesse de notre Réper­toire et de la mul­ti­plic­ité de nos aven­tures théâ­trales, se sont révélés à cette occa­sion nos sou­venirs, nos petits mon­des intérieurs, nos his­toires d’enfants et de futurs acteurs et actri­ces, nos désirs, nos frus­tra­tions, nos achève­ments et nos crashs… Nos rit­uels, notre appétit com­mun. Un peu comme si la Comédie-Française s’était regardée dans le miroir à tra­vers les lentilles élec­tron­iques de nos tablettes, télé­phones mobiles et ordi­na­teurs. C’est pré­cisé­ment ce que nous voulions retrouver.Nous avons pen­sé ce spec­ta­cle en numéros d’ensembles choré­graphiés et en duos ou solos avec des chan­sons, des textes ou des témoignages emprun­tés au réper­toire que nous aimons. Le rap­port au pub­lic, le rap­port au plateau, le rap­port à ce méti­er, il s’agissait pour nous de ren­dre compte de cet éclec­tisme, de cette diver­sité. Plus que jamais, nous sommes fidèles à la devise de la Maison­simul et sin­gulis (être ensem­ble et être soi-même). »

Notre avis paru lors de la créa­tion en octo­bre 2021 : Ce spec­ta­cle a été pen­sé pour redonner le sourire, pour célébr­er joyeuse­ment la réu­nion de la Troupe de la Comédie-Française, qui, comme beau­coup d’artistes, s’est retrou­vée trop longtemps privée de son mode d’expression, et d’un pub­lic en manque de vibra­tions et avide de renouer avec des sen­sa­tions vitales. Objec­tif pleine­ment atteint !

Conçu comme une mise en abyme, Mais quelle Comédie ! met en scène une galerie de comé­di­ens du Français tels qu’ils sont, ensem­ble au ser­vice de l’art et cha­cun avec sa per­son­nal­ité, ses forces, ses envies et ses fragilités. Le jeune pre­mier pos­tule pour inté­gr­er la fameuse insti­tu­tion, le bon à tout faire de l’équipe depuis vingt-cinq ans aimerait plus de recon­nais­sance, le comique de la bande regrette qu’on ne lui ait jamais don­né de tragédie à jouer, un autre fait part de ses angoiss­es à l’idée de mémoris­er de longs textes, une autre encore, vis­i­ble­ment délais­sée par son amant, s’échauffe la voix avant d’enchaîner trois représen­ta­tions dans la même journée, tan­dis que sa col­lègue a du mal à con­cili­er son agen­da pro­fes­sion­nel avec sa vie de famille… Et tous livrent des anec­dotes tru­cu­lentes et des témoignages touchants sur la Mai­son qui les accueille. En solo – mais les autres ne sont jamais loin – ou réu­nis dans des ensem­bles de taille vari­able, ils offrent près de deux heures d’un grand show à numéros qui puise ses formes dans le music-hall, la comédie musi­cale améri­caine, la chan­son française, le cirque, le clown, le stand-up, le cabaret burlesque…

Le ton est don­né dès le lever de rideau : une entrée en fan­fare sur « Any­thing Goes » chan­té et dan­sé à la façon de Broad­way par toute la Troupe, à l’issue de laque­lle Serge Bag­das­sar­i­an, co-con­cep­teur de la soirée et maître de céré­monie ubuesque, tient à pré­cis­er qu’il s’agissait là de ce qu’il y a de mieux dans le spec­ta­cle et que c’est pour cela qu’ils ont décidé de com­mencer avec ! Beau­coup d’autodérision donc. La reprise en décalé de stan­dards sul­fureux fait égale­ment mouche, comme faire chanter le « Cell Block Tan­go » de Chica­go par des grandes héroïnes (poten­tielle­ment) meur­trières du théâtre clas­sique, ou faire se tré­mouss­er mal­adroite­ment les mâles de la Troupe sur « Big Spender ».

Le rythme ne retombe jamais grâce aux sketch­es de tran­si­tion. Entre plusieurs numéros franche­ment hila­rants – Serge Bag­das­sar­i­an, encore lui, en plein délire dans une reprise d’« Avant de nous dire adieu » accom­pa­g­née par un chœur antique ; un numéro de voy­ance dirigé avec beau­coup de sar­casme par l’ir­ré­sistible Mon­sieur Loy­al de Noam Mor­gen­sztern, que l’on retrou­ve en pianiste dom­i­na­teur accom­pa­g­nant une Anne Kessler fluette et soumise pour un « Si, maman si » drôle­ment défor­mé –, la poésie, la grâce et la mélan­col­ie trou­vent égale­ment une place de choix : un « Mon truc en plumes » par une domp­teuse de luci­oles dans un tableau d’une beauté à couper le souf­fle, un « The Last Good­bye » glaçant qui vous prend aux tripes…

Devant tant de savoir-faire et de maîtrise, sub­jugué – par exem­ple – par l’évidence avec laque­lle Salomé Benchi­mol s’empare dia­ble­ment de « Avec son tra la la » ou par le trou­ble jeté par un Gaël Kamilin­di trav­es­ti croo­nant un « I Go to Sleep » boulever­sant, on est plus cir­con­spect par cer­tains choix dans la liste musi­cale. Sous pré­texte de clins d’œil à des mon­u­ments d’outre-Atlan­tique, fal­lait-il pour­tant oser au pre­mier degré « Don’t Rain on My Parade » sans les qual­ités vocales d’une bel­teuse ou recon­stituer la scène « Broad­way Melody Bal­let » de Chan­tons sous la pluie sans l’hypersensualité choré­graphique d’une Cyd Charisse – même si la suave Mari­na Hands, co-con­cep­trice de la soirée, ne démérite pas ? Surtout que les atouts et la spé­ci­ficité du spec­ta­cle sont à goûter ailleurs, notam­ment dans la per­ti­nence avec laque­lle le réper­toire d’un théâtre exigeant éti­queté Comédie-Française s’invite mali­cieuse­ment dans cette atmo­sphère décon­trac­tée. Car on savoure sans retenue d’entendre « Hope­less­ly Devot­ed to You » après quelques répliques au lance-pierre des Damnés, des Con­tes du chat per­ché ou de Lucrèce Bor­gia – Elsa Lep­oivre sur­voltée ! –, ou un bout de mono­logue d’Un tramway nom­mé Désir précé­dant un émou­vant « Je veux mourir sur scène ».

Tout le tra­vail tech­nique est à louer : cos­tumes étince­lants, maquil­lages de luxe, scéno­gra­phie flu­ide et grandiose… Et il faut soulign­er avant tout l’immense qual­ité de l’arrangement orches­tral par Vin­cent Leterme et Benoît Urbain ain­si que du jeu des sept artistes musi­ciens présents sur scène, qui insuf­flent les couleurs et le swing indis­pens­ables à une ambiance de fête, jusqu’au final explosif qui nous invite à « tou­jours regarder la vie du bon côté ».

Un diver­tisse­ment haut de gamme, vif, pétil­lant, drôle, intel­li­gent, qui vient bril­lam­ment mar­quer nos radieuses retrou­vailles avec toutes ces formes du spec­ta­cle vivant que nous aimons tant.

 

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