Il peut sembler curieux de voir une comédie musicale centrée sur un personnage aussi peu attrayant que Tammy Faye, une évangéliste qui connut son heure de gloire dans les années 1970 et 1980, quand elle créa avec son mari, Jim Bakker, un programme de télévision religieux, « The PTL Club », qui attira des millions de téléspectateurs. Un mélange d’humour et de religion, de variété et de défense sociale, l’émission diffusée chaque semaine sur la chaîne TNT récolta au plus fort de sa popularité 120 millions de dollars par an – des dons que les deux hôtes s’empressèrent de dépenser pour leurs propres besoins personnels et pour la création d’un parc de divertissements dans le style de Disneyland mais sur des thèmes religieux.
Au cours de leur programme hebdomadaire, Jim et Tammy invitaient d’autres évangélistes, des célébrités et des sommités, comme Ronald Reagan ou Larry Flint – l’éditeur du magazine porno Hustler. Tammy, la véritable vedette de l’émission, était admirée aussi bien pour ses chansons, son attitude candide envers tout un chacun, ses conseils sur la religion catholique que pour ses extravagances, ses maquillages et ses séances émotionnelles de pleurs à l’écran qui secouaient les spectateurs. Elle soutenait la cause des homosexuels et prit leur défense auprès d’autres évangélistes pendant la crise du sida.
Quand Jim fut accusé d’avoir violé une admiratrice, Tammy demeura à ses côtés, jusqu’au jour où le gouvernement intervint et accusa son mari d’avoir payé sa victime pour qu’elle reste silencieuse puis, enquêtant davantage sur ses activités, découvrit des fraudes fiscales qui lui valurent une sentence de quarante-cinq ans en prison. L’émission fut déprogrammée et Tammy, restée seule et sans le sou après le paiement des impôts au gouvernement, épousa le directeur d’un centre immobilier, qui devait être également accusé de fraude fiscale. Elle décéda en 2007 d’un cancer.
Même si la figure de Tammy n’est pas recommandable, son aspect tout à fait hors du commun explique sans doute qu’elle soit devenue le sujet d’une comédie musicale. James Graham, célèbre librettiste anglais, s’y attacha, suivi bientôt par Elton John, l’un des grands noms de la musique populaire et théâtrale. Tammy Faye, qui résulta de cette collaboration, fut créé à Londres le 13 octobre 2022 au Théâtre Almeida dans une mise en scène de Rupert Goold et une chorégraphie de Lynne Page. Le rôle principal de Tammy Faye était tenu par Katie Brayben, qui fut récompensée du Laurence Olivier Award de la meilleure actrice dans une comédie musicale. La pièce resta à l’affiche jusqu’au 2 décembre.
On peut se demander pourquoi, étant donné cette courte carrière à Londres, la comédie musicale Tammy arrive à Broadway. Certes, la présence de Katie Brayben est une raison valable. Nouvelle venue à New York, l’actrice, dotée d’une voix puissante qui porte et n’est pas sans rappeler par moments le style de Dolly Parton, est un joyau remarquable. Mais c’est bien là le seul élément solide de cette comédie musicale. Malheureusement, les chansons d’Elton John – sur des paroles de Jake Shears, chef de file du groupe musical Scissor Sisters –, ne sont pas à l’exemple des partitions qu’il a composées pour d’autres œuvres mémorables telles que The Lion King ou Aida.
Si l’action reste fidèle à son sujet, cette histoire d’une pseudo-évangéliste à la télévision profitant des donations de ses multiples adorateurs n’est guère intéressante, surtout dans le traitement qu’en fait James Graham. La production elle-même, avec les décors succincts créés par Bubby Christie, les costumes ternes de Katrina Lindsay, la chorégraphie sans relief de Lynne Page et la mise en scène froide et sans grande valeur de Rupert Goold, n’est pas à la hauteur de ce que l’on est en droit d’attendre d’une œuvre théâtrale à Broadway.
Dans le marasme qui en découle, deux acteurs de premier plan, déjà admirés plusieurs fois à Broadway, Christian Borle (Something Rotten, Some Like It Hot, Falsettos) et Michael Cerveris (très remarqué dans Assassins et le premier Tommy dans The Who’s Tommy), semblent totalement perdus sous les traits de Jim Bakker et Jerry Falwell, un autre évangéliste. On ne peut qu’éprouver de la sympathie pour eux.
Célébrer une artiste connue pour ses fraudes fiscales ne semble pas une raison pour en faire une comédie musicale, du moins à Broadway. Il est vrai que Tammy Faye ne méritait sans doute pas plus que ce qui nous est offert.