Les Corps incorruptibles

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Théâtre de la Bastille – 76, rue de la Roquette, 75011 Paris.
Du 5 au 15 novembre 2025.. Relâche du 9 au 11 novembre.
Pour en savoir plus, cliquez ici.

Forte de son expérience dans une entreprise de pompes funèbres et de thanatopraxie, Aurélia Lüscher questionne avec malice la tendance de notre société à vouloir dissimuler la mort. Depuis les années soixante, l'hôpital et les services funéraires ont comme dépossédé les familles des soins apportés aux défunt·es. Comment pouvons-nous reprendre la main, retrouver de la poésie dans les funérailles et nous réapproprier ces rituels ?
Au cours de cette performance plastique et théâtrale, l’organique prend le pas sur le médical, et la scène glisse de l'univers clinique à l'atelier de céramiste. En moulant des éléments dans l’argile – une matière qui, non cuite, peut être réutilisée quasiment à l'infini –, Aurélia Lüscher cherche à nous réconcilier avec le cycle biologique de la vie : si toute chose a une fin, retourner à la terre, c’est aussi continuer la chaîne du vivant. Une tentative délicate de réenchanter la mort.
Christophe Pineau

Notre avis (représentation du 7 novembre 2025) : Nous serions tenté d’écrire : Aurélia Lüscher, la mort lui va si bien ! Loin d’être une provocation, comprenez cette affirmation comme une invitation à découvrir un spectacle remarquable qui ose affronter un sujet souvent qualifié de tabou : la mort. La jeune comédienne, à la diction irréprochable, conte avec une espièglerie toute contenue son histoire ou plutôt son rapport à la mort. Nous découvrons ainsi que c’est après avoir vu une momie que les interrogations se sont faites jour ; le décès de sa grand-mère représenta un tournant puisque, n’ayant pas eu de réponse quant à la destinée de la dépouille, elle décida de faire un stage aux pompes funèbres. En interview elle indique d’ailleurs qu’elle aurait pu y embrasser une carrière si un clin d’œil du destin ne l’avait propulsée dans le monde du théâtre puisqu’elle fut admise dans une école, mettant en pause son appétence pour la mort et repoussant ses initiatives liées au monde funéraire...

... jusqu’à 2024, lorsqu’elle crée ces Corps incorruptibles, spectacle qu’il vous est donc donné de voir au Théâtre de la Bastille. Dans une scénographie finement pensée, le décor s’achevant sous les yeux des spectateurs qui s’installent dans la salle, la représentation convoque les souvenirs de l’auteure en se basant notamment sur les échanges réels qu’elle eut avec sa mère, enregistrés et diffusés durant la représentation, lui demandant de lui rappeler à quand remontaient les premiers contacts de sa fille avec la mort. Il est aussi question des interrogations nourries par sa mère quant à son intérêt pour le monde funéraire, avant qu’une intimité plus grande nous soit dévoilée sur la destination de sa dépouille, rappelant qu’en France seules l’inhumation et la crémation sont permises. À ce titre intervient une entrevue entre la comédienne et Jean-Pierre Sueur, ancien sénateur qui fit voter divers textes au sujet de la mort. Un récit fortement documenté, donc, ce qui lui confère une force particulière.

L’artiste choisit de doubler sa performance d’une création en argile, qui se compose, se décompose, se recompose sous nos yeux et enfin s’achève d’une manière saisissante que nous ne dévoilerons pas ici. Là encore une brillante idée. Madonna et sa « Material Girl » sont convoquées, de même que quelques autres chansons qui trouvent leur place de la manière la plus logique qui soit. Là encore, nous ne divulgâcherons rien. Épaulée par Xulia Rey Ramos, sa mère Nadia Skrobeck-Lüscher et aussi la chienne Ponyo (qui jappe opportunément lors des applaudissements nourris), la comédienne convainc l’air de rien, fait passer nombre de messages importants. Vous aurez compris que cette chronique ne peut que vous inciter à mettre de côté d’éventuelles appréhensions sur la mort : si elle trône en majesté dans ce spectacle fin, drôle et touchant, elle ne demande qu’à être considérée et regardée. Un spectacle qui, en quelque sorte, embaume la vie.

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