Barbara, l’exposition

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Aucun doute : c’est l’amour de Bar­bara qui prési­da à la con­cep­tion de cette expo­si­tion. Clé­men­tine Déroudille, sa com­mis­saire, s’y con­naît en chan­son française puisqu’elle s’est occupée en 2011 du par­cours hom­mage à Brassens. L’événe­ment est d’im­por­tance : c’est la pre­mière fois que la Phil­har­monie rend hom­mage à une femme et le lieu se situe pile où se trou­vait le chapiteau des célèbres con­certs de 1981 qui mar­quèrent un tour­nant dans la vie de l’artiste, boulever­sée par cette belle his­toire d’amour que lui déclar­ent des généra­tions de spec­ta­teurs fervents.

La chanteuse Bar­bara sur scène, 1965 © Stan Wiez­ni­ak

Cette « plus belle his­toire d’amour », juste­ment : c’est ce titre dif­fusé dans la pre­mière salle qui invite le spec­ta­teur à pénétr­er dans l’ex­po­si­tion. Il est accom­pa­g­né d’une pho­to de Bar­bara, sen­suelle et déter­minée, les bras ten­dus. Superbe pho­to du fidèle Jean-Pierre Leloir (que l’on apercevra dans l’ex­po­si­tion lors d’une séance dro­la­tique avec l’artiste). Bar­bara accueille cha­cun d’en­tre nous, les ten­tures de velours, récur­rents dans toute l’ex­po­si­tion, sem­blent bruiss­er de sa présence dis­crète et attentive.

Un par­cours, conçu par Chris­t­ian Mar­ti et Antoine Fontaine, per­met de vis­iter les divers­es épo­ques que vécu la vedette. Un décor de wag­on sym­bol­ise les errances d’une enfance sou­vent mal­menée, avec une carte de France punaisée de tous les lieux où la petite Monique Serf vécu (à com­mencer par le 6, rue Nol­let, Paris 17ème où elle vécut peu de temps après sa nais­sance au 6, rue Brochant).

le mas­caron du 6, rue Nol­let

Des pho­tos de ses par­ents et l’une de son père (fig­ure dra­ma­tique s’il en est) voisi­nent celles de sa pro­fesseure de chant, Mme Thomas Dusséqué en 1945, qui l’emmena applaudir Edith Piaf.

Une fort belle salle évoque la jeunesse en Bel­gique. Des pho­tos per­son­nelles, un film muet tourné en extérieur où elle appa­rait hilare aux côté de sa pianiste, côtoient des sou­venirs publics, tels ses pre­mières affich­es et son pre­mier — et unique — 78 tours. Les deux scéno­graphes se sont par­faite­ment bien imprégnés de l’u­nivers de Bar­bara, ils per­me­t­tent d’évoluer dans un espace théâ­tral d’une élé­gance racée. Sen­sa­tion ren­for­cée avec l’évo­ca­tion de l’Ecluse où il est pos­si­ble de s’asseoir afin de regarder des extraits de « la chanteuse de minu­it ». Un parte­nar­i­at avec l’I­NA a per­mis l’u­til­i­sa­tion de nom­breux extraits de films et d’émis­sions, à com­mencer par les incon­tourn­ables Dis­co­ra­ma de Denise Glaz­er, qui fut séduite par la chanteuse en la décou­vrant dans cet est­a­minet où elle chan­tait à quelques cen­timètres des spec­ta­teurs. Plus le vis­i­teur avance dans l’ex­po­si­tion, plus les allées s’a­gran­dis­sent. Sans doute pour sym­bol­is­er le suc­cès et la recon­nais­sance, de plus en plus grande, de Barbara.

De comédie musi­cale il en est bien enten­du ques­tion. A peine sor­tie de l’enfance elle fait de la fig­u­ra­tion dans Vio­lettes impéri­ales à Mogador (où elle revien­dra chanter 40 ans plus tard). Elle était la plus jeune et avait pour surnom Bam­bi. Puis en 1960 elle joue dans une comédie musi­cale de Willemetz : Le jeu de dames. Après avoir fait ses adieux au tour de chant en 1969 elle se lance dans une œuvre musi­cale écrite par Remo For­lani : Madame, une « comédie avec des chan­sons » comme indiqué sur l’affiche.

Photo de promotion de "Madame" ©Pierre Dawlat
Pho­to de pro­mo­tion de « Madame » ©Pierre Dawlat

Des pho­tos, la pochette du disque, un extrait d’émis­sion évo­quent ce qui fut un échec. Bar­bara y incar­nait une ten­an­cière de bor­del en Afrique équa­to­ri­ale, il y était ques­tion d’hommes qui passent, de meurtres… Notons que ce fut la pre­mière appari­tion sur scène du rock­ing chair, acces­soire emblé­ma­tique. Bar­bara n’avait peur de rien, elle suiv­ait sa pas­sion et ses envies pour aboutir, bien des années plus tard, à Lily Pas­sion, où elle partage l’af­fiche avec Gérard Depar­dieu. Ce long proces­sus de mat­u­ra­tion (plus de 6 ans et… 42 ver­sions) fut mar­qué de rup­tures, à com­mencer par celle avec l’ac­com­pa­g­na­teur de tou­jours : Roland Romanel­li. Dans le spec­ta­cle elle est Lily la chanteuse, Depar­dieu un assas­sin qui la suit à la trace. Des 22 chan­sons ini­tiales, seules 12 furent util­isées au final. Des man­u­scrits orig­in­aux, des chan­sons coupées, sont présen­tés dans la salle con­sacrée à cette comédie/tragédie musicale.

Bien enten­du le théâtre musi­cal ne con­stitue pas la majeure par­tie de l’œuvre de Bar­bara. Les évo­ca­tions des pre­miers grands suc­cès, du doute, de la quête tou­jours inas­sou­vie : tout est pal­pa­ble dans cette expo­si­tion. Lire des paroles de chan­sons annotées par l’artiste, con­tem­pler des pho­tos par­fois rares, s’é­mou­voir devant les dessins que Luc Simon, amoureux farouche, fit durant une tournée… Tout ici invite à se sou­venir avec une belle émo­tion en décou­vrant les cos­tumes de scène, que per­son­ne n’avait le droit de touch­er, vête­ments déi­fiés. Emo­tion, mais aus­si mal­ice. Car la longue dame brune avait un sens de l’hu­mour aigu­isé, une répar­tie extra­or­di­naire. Un extrait du superbe doc­u­men­taire de Gérard Verges (disponible dans une ver­sion restau­rée dans le dou­ble DVD réal­isé pour l’oc­ca­sion) en atteste.

"Le voyage de Barbara" croqué par Luc Simon ©collection particulière
« Le voy­age de Bar­bara » cro­qué par Luc Simon ©col­lec­tion particulière

Des lieux emblé­ma­tiques comme Göt­tin­gen, les voy­ages : New York, le Japon, des thèmes comme le ciné­ma où sont évo­qués, par le biais de pro­jec­tions sophis­tiquées, Frantz, le film de Jacques Brel, mais aus­si L’oiseau rare de Jean-Claude Bri­aly (la « une » d’I­ci Paris l’an­nonçait comme futur mar­ié de Bar­bara !), et quelques extraits d’émis­sions des Car­pen­tier : duo avec John­ny Hal­ly­day, Claude Nougaro…

Le dernier tiers de ce par­cours s’ou­vre sur l’évo­ca­tion de la mai­son de Pré­cy, le refuge, son jardin, le tri­cot (Bar­bara s’y était mise bien avant, mais elle réal­isa parait-il des écharpes informes, des pulls trop grands qu’elle offrit à ses équipes). Ne loupez pas le répon­deur, dis­simulé dans un coin, où l’on peut enten­dre de nom­breux mes­sages lais­sés par Bar­bara. De nou­veau l’é­mo­tion cueille le promeneur devant cette voix, ce phrasé si par­ti­c­uli­er et le con­tenu, sou­vent hila­rants de ces mes­sages. Quelle belle idée ! En marge de Pré­cy sont évo­qués les derniers con­certs et, dis­crète­ment mais avec force, les com­bats que Bar­bara mena. Con­tre le sida, bien enten­du, avec un échange de fax poignant avec Act Up. Un film con­signe les pro­pos du Dr Pialoux, avec qui elle visi­ta les pris­ons. Nous la voyons d’ailleurs chanter pour des pris­on­nières, s’en­quérir de la san­té d’un enfant qu’elle tient sur ses genoux. Elle aimait « vig­iler », rester à l’é­coute, aider. Alors l’artiste juchée dans sa tour d’ivoire : à d’autres… Voilà bien une des forces de cette expo­si­tion : évo­quer tous les vis­ages de cette artiste, 20 ans après sa disparition.

"Le voyage de Barbara" croqué par Luc Simon ©collection particulière
« Le voy­age de Bar­bara » cro­qué par Luc Simon ©col­lec­tion particulière

Le lieu ne se prête guère à une nos­tal­gie lar­moy­ante. Si les pianos de Bar­bara sont présents, l’un d’en­tre eux, instal­lé sur une scène, sera util­isé régulière­ment par des musi­ciens et chanteurs qui vien­dront inter­préter, revis­iter, le réper­toire emblé­ma­tique de la chanteuse. De « Nantes » à « Hop là », de « Pré­cy jardin » à « Dis, quand revien­dras-tu », une infinité de possibles.

Alors que les jour­nal­istes étaient par­tis depuis un moment, j’ai eu la pos­si­bil­ité de revis­iter l’exposition seul… Une nou­velle approche, une émo­tion renou­velée. Le fan­tôme de Bar­bara était bien présent. N’hésitez pas à lui envoy­er un télé­gramme, ils sont à dis­po­si­tion, non loin de la « une » de Libéra­tion infor­mant de sa dis­pari­tion. Si l’exposition accueille le vis­i­teur avec Bar­bara bras ouverts, ten­dus vers son pub­lic, elle se clôt avec une pho­to de salut, de remer­ciement. C’est donc le cœur ser­ré, mais heureux de tous ces sou­venirs mag­nifique­ment ravivés, que l’on quitte, presque à regret, cette superbe exposition.

« Et pour cet amour là, mer­ci et cha­peau bas ».

Elément de scénographie
Elé­ment de scénographie

Le lien vers le site de l’ex­po­si­tion.