Rencontre avec Didier Bailly, compositeur de la nouvelle création musicale de la Huchette.

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D’où vient l’idée de ce nou­veau spectacle ?

Franck Desmedt, le directeur du théâtre de la Huchette, et Hélène Cohen, met­teur en scène de « Huck­le­ber­ry » cher­chaient depuis plusieurs mois une idée pour un prochain musi­cal d’été. Hélène avait pro­posé une autre œuvre de Mark Twain qui n’a pas été retenue, mais l’auteur a sus­cité de l’intérêt et par­ti­c­ulière­ment « Les aven­tures d’Huckleberry Finn ».

Quels ont été les défis à relever ?

Franck aime à dire qu’il faut créer des spec­ta­cles qui, logique­ment, ne pour­raient pas être joués à la Huchette sur son petit plateau de 4m sur 6. Là, excusez du peu : deux fugi­tifs s’embarquent sur un radeau et descen­dent le Mis­sis­sipi. Ils sont pris dans l’orage, échap­pent à une mai­son flot­tante qui som­bre, sont séparés par le brouil­lard, leur radeau est coupé en deux par un vapeur…et je pour­rais con­tin­uer. Il a fal­lu trou­ver dif­férents moyens théâ­traux, visuels et sonores comme il n’y en avait encore jamais eu à la Huchette pour met­tre en scène ces aven­tures mou­ve­men­tées. Un autre défi que nous n’avions pas prévu aura été de trou­ver le comé­di­en chanteur pour incar­n­er Jim, l’esclave en fuite. Nous cher­chions un homme d’au moins 40 ans car il y a une rela­tion père-fils qui s’installe entre les deux pro­tag­o­nistes. Nous avons vu de bons comé­di­ens mais qui n’avaient pas une assez solide for­ma­tion de chanteur. Ceux qui chan­taient vrai­ment étaient trop jeunes. Nous étions prêts à renon­cer quand nous avons audi­tion­né Joël O’Congha qui reve­nait d’une longue tournée en Chine avec « Autant en emporte le vent » et qui a comblé nos désirs. Pour Huck, la ques­tion s’est posée de savoir si on prendrait un comé­di­en ou une comé­di­enne. Finale­ment, dans la mesure où Huck­le­ber­ry a 14 ans, il aurait fal­lu engager un enfant, c’est à dire en fait 3 car la lég­is­la­tion ne per­met pas de faire jouer un enfant tous les jours. C’était trop com­pliqué. Quant aux jeunes hommes, ils fai­saient tout de suite adultes. Alors nous avons engagé une toute jeune comé­di­enne, Mor­gane L’Hostis qui nous rav­it et que beau­coup de gens du pub­lic pren­nent pour un garçon.

Quelles ont été vos influ­ences ou inspi­ra­tion pour com­pos­er la partition ?

J’ai écouté des enreg­istrements anciens de negro spir­i­tu­als et puis j’ai oublié ce que j’avais enten­du. J’ai lais­sé mon incon­scient et mon imag­i­na­tion aller au fil du Mississipi. 

Pourquoi ne pas avoir de musi­cien sur scène ?

Vous dire que ça me fait plaisir serait men­tir ! Mais nous avions l’obligation de n’employer que 3 comé­di­ens. Au départ, nous pen­sions trou­ver des artistes instru­men­tistes mais les dif­fi­cultés pour trou­ver la dis­tri­b­u­tion, par­ti­c­ulière­ment Jim, nous ont fait renon­cer. Et puis impos­si­ble de pos­er un piano sur le plateau avec tout ce qui s’y passe. Le troisième comé­di­en, Alain Payen, aurait pu être gui­tariste mais il a telle­ment de choses à faire entre les manip­u­la­tions, les change­ments de cos­tume, les dif­férents per­son­nages à inter­préter que lui faire accom­pa­g­n­er les chan­sons aurait été insur­montable. En plus, je n’avais pas envie d’avoir seule­ment une gui­tare. Je suis pianiste, j’aime bien quand il y a un peu plus de notes et d’harmonie. Avec Fred Fres­son qui a réal­isé les enreg­istrements et les effets sonores, nous avons voulu garder le côté « piano » de l’accompagnement mais en y ajoutant par­fois des touch­es de couleur : il y a du vio­lon, de la gui­tare acous­tique, de la gui­tare élec­trique, de la bat­terie. Mais je ne voulais pas, sous pré­texte d’avoir une musique enreg­istrée, que celle-ci soit trop orchestrée, avec des tapis de vio­lons comme je l’entends souvent.

Com­ment voyez-vous l’évolution du théâtre musi­cal en France ?

Voilà une ques­tion à laque­lle je ne sais quoi répon­dre. Ce que je vois, c’est qu’il y a davan­tage de jeunes qui se for­ment à la comédie musi­cale. Mais pour quel réper­toire ? On a tou­jours ten­dance chez nous à associ­er le spec­ta­cle musi­cal et le sim­ple diver­tisse­ment. C’est aus­si l’avis des pro­fes­sion­nels, voir en cela la dernière Céré­monie des Molières qui se moquait assez mal­adroite­ment des comédies musi­cales. J’ose espér­er que dans les prochaines années, il sera pos­si­ble de décou­vrir davan­tage de créa­tions français­es avec une vraie ambi­tion dramatique.