La chanson « The Impossible Dream / Rêver un impossible rêve » est devenue, dès sa création en 1965, un standard international repris par Frank Sinatra, Elvis Presley, Diana Ross ou Ken Boothe. Son adaptation par Jacques Brel en 1968 en fera un succès francophone interprété par Julien Clerc, Johnny Hallyday, Maurane, Jean Piat ou encore José van Dam.
Jacques Brel aimait tant la comédie musicale de Dale Wasserman, Mitch Leigh et Joe Darion qu’il obtint les droits pour traduire, adapter et interpréter en français ce spectacle autour de Don Quichotte, le héros légendaire de Cervantès, personnage auquel il s’identifiait très fort. Cinquante ans plus tard la production de Michael De Cock et Junior Mthombeni est une ode à Brel et à Bruxelles, à l’imagination, à la poésie et aux impossibles rêves dont cette époque a tant besoin.
En cellule, Cervantès attend son audience devant l’Inquisition. Il présente aux prisonniers sa défense, à la façon une pièce de théâtre, dans un simulacre de procès. Il y incarne Alonso Quijana, un homme qui a mis de côté sa propre réalité pour devenir Don Quichotte de la Mancha. Aidé par son écuyer Sancho Pança, il tente d’éviter son ennemi mortel, l’Enchanteur. Déterminé à défendre tout ce qui est bon et juste à un moment où les chances sont contre lui, Quichotte s’arme d’un courage sans limite et nous sommes tous obligés de suivre son étoile inaccessible. Rejoignez Don Quichotte alors qu’il poursuit son rêve impossible, celui de poursuivre la belle princesse Dulcinée – et quelques moulins à vent.
Notre avis : Commençons par la fin… Soit une bonne partie de la troupe les larmes aux yeux face à une salle, certes remplie avec une jauge à 35 %, qui applaudit. De belles retrouvailles qui ne peuvent que toucher. Cette sensation ineffable a tellement manqué ! En raison des programmations et déprogrammations, nous pouvons imaginer l’état émotionnel de la troupe… Car si nous avons la chance que l’État aide financièrement le monde du spectacle, il est des sensations, découragements, qui ne peuvent être tempérés intégralement par de l’argent. Plaisir, donc, de la troupe et de l’équipe du Châtelet d’accueillir les spectateurs dans la salle par la présentation des différents artistes qui composent la distribution de L’Homme de la Mancha. En effet, sur un écran géant qui fera partie intégrante de la scénographie, en gros plan chacun se présente et, pour faire écho à la chanson phare de la comédie musicale, évoque son plus grand rêve, sa quête personnelle.
Les metteurs en scène ont choisi de conserver la trame narrative de l’œuvre, soit Cervantes qui, durant un procès, fait interpréter les rôles qu’il a en tête par les membres de ce tribunal, sorte de cour des miracles faisant, dans cette distribution, la part belle à la diversité. Cervantes est personnifié en vieil homme, mais aussi en parallèle en jeune auteur intrépide qui endosse les habits de Don Quichotte. L’orchestre magnifie la partition de Mitch Leigh, ménageant de splendides moments d’émotion. La scénographie flirte avec la modernité, des images d’immeubles en pleine démolition projetées sur l’écran résonnent avec le décor composé de tôles, de chaises en plastique. Des caméras soulignent de temps en temps l’action en filmant en direct les protagonistes, sans pour autant parvenir à régler le souci inhérent à ce dispositif : le synchronisme. En effet l’image projetée a un petit retard, ce qui donne une sensation bizarre, comme si les chanteurs loupaient leurs synchros. Ce qui est un peu ennuyeux dans le cas d’un musical… Une bonne idée consiste à ponctuer le spectacle de citations de Cervantes, qui apparaissent sur cet écran et font écho avec l’action. L’une d’elle – « Vivre fou et mourir sage » – résume non seulement le spectacle, mais aussi la raison d’être de l’Acteur… Brel (qui, rappelons-le, n’est pas l’auteur de cette comédie musicale, mais l’adaptateur, comme l’indique Patrick Niedo dans le programme de salle), trouve en Filip Jordens un successeur qui tente un mimétisme total. Junior Akwety, en Sancho Pança, plus libre dans son interprétation, se révèle très convaincant, tout comme Ana Naqe qui campe une Dulcinea toute en bravache vulnérabilité. La chanteuse était souffrante, il faut croire que la magie de la scène a opéré car sa prestation fut ovationnée. De belles voix, pour le moins hétérogènes, et de belles présences scéniques pour cette adaptation qui, même si elle souffre de certaines longueurs, permet de retrouver enfin un chemin séduisant vers la comédie musicale.