« J’aime bien le mot rencontre. »
Un studio, l’ORTF des années soixante, un piano, deux chaises. L’intervieweuse élégante, talons chics et argentés, pantalon crème et cintré, poursuit sur quinze ans un entretien avec Véronika, d’abord icône des yé-yé, interprète folk à la française, bientôt star oubliée. Un pianiste les accompagne et enchante chaque rendez-vous. Trois clowns délicats partent à l’aventure de la France de Barbara et de Marie Laforêt, de la guerre d’Algérie, des droits des femmes et de Mai-68. Variété s’inspire des rencontres mythiques de Denise Glaser, animatrice de l’émission « Discorama », éjectée en 1975 par Giscard d’Estaing. C’est une rêverie heureuse dans les courants et l’histoire du pays, via un grand art en mode mineur et ses vedettes : la variété, populaire ou engagée, et les traces joyeuses qu’elle laisse dans les mémoires, éclats de bijoux indélébiles.
Notre avis : Pour qui n’a pas connu l’ère Glaser, Variété déploie le charme d’une époque révolue et sa séduction surannée. Dans les décennies 60 et 70, à des années-lumière de la télé-réalité et de son indigence verbale qui s’imposeront plus tard, le « poste » proposait une langue châtiée, un rythme dans la diction, des échanges policés. Cette élégance, qui s’incarne aussi dans une féminité assumée et des tenues chic, sert de cadre à des entretiens – des « rencontres », préfère dire l’animatrice – avec une chanteuse, sorte d’hybride entre France Gall, Mireille Matthieu, Sheila, Françoise Hardy, Sylvie Vartan… mais les fantômes de Marie Laforêt et Barbara rôdent aussi. On suit l’évolution de cette jeune artiste de la génération yé-yé, depuis sa révélation au concours de l’Eurovision jusqu’à une douloureuse décadence, quinze années plus tard. Dans ces moments destinés à être diffusés, on parle musique, célébrité, carrière… Denise, par ses questions, mais aussi par ses silences, pousse son invitée à se livrer. Hors caméra, ce sont d’autres rendez-vous, d’autres émotions encore : entre l’interprète et son compositeur amoureux, entre la présentatrice et ses disques, entre la femme et son mal de vivre… Les événements de l’histoire d’alors s’invitent également, de loin : le souvenir de la Shoah, la guerre d’Algérie, Mai-68, l’élection de Giscard…
Au cours de cet arc narratif, de la première émission en 1959 jusqu’à la dernière en 1974, le public s’immerge confortablement dans l’intimité de personnages, certes révolus, mais dont on reconnaît aujourd’hui les avatars. Le spectacle ne cède pas à la nostalgie d’un « c’était mieux avant », mais propose plutôt un regard amusé, attendri et respectueux sur toute une production musicale que l’on qualifiera, selon le cas, de honteuse, de kitsch ou de culte, et une façon de considérer cet art de la variété – un synonyme de « bigarré », nous indique-t-on en début de spectacle.
L’humour absurde de plusieurs répliques parlées côtoie plaisamment la moquerie de chansons aux paroles volontairement ridicules, car, comme il est dit : « Ce ne sont pas les meilleures chansons qui nous racontent le mieux. » En revanche, certains moments pèchent par des dialogues un brin paresseux, une écriture moins rythmée, ou versent dans un délire fourre-tout un peu brouillon, et moins pertinent – on s’interroge, par exemple, sur le sens de convoquer un extrait sonore de la Tosca de Puccini.
Sur la scène, Sarah Le Picard, également l’auteure de la pièce, interprète intelligemment une Denise à la fois puissante et vulnérable, passionnée et résignée. Florent Hubert passe avec naturel de son tabouret de pianiste un rien soumis aux lumières qui récompensent le succès du compositeur transi. Et Anne-Lise Heimburger opère avec brio sa métamorphose, du papillon candide qui apprend à voler jusqu’à son pétage de plomb, les ailes brûlées.
Le spectacle se conclut en nous rappelant qu’un divertissement a pour objet de détourner notre esprit. De fait, en ravivant un héritage artistique et en rappelant l’influence de toute une époque, Variété offre une plongée divertissante et pleine de charme dans la mémoire collective. Il interroge aussi : à quoi ne faut-il pas penser ?