Notre avis : Même aux États-Unis, pour beaucoup, le nom de Ntozake Shanghe ne signifie pas grand-chose. C’est pourtant celui d’une femme de lettres qui s’est distinguée en écrivant des livres pour enfants, des romans pour adultes, des pièces de théâtre, des poèmes et d’autres écrits, notamment des essais. Elle était née Linda Williams en 1948 dans une famille noire aisée, et avait adopté son nouveau nom de la culture Xhosa en Afrique : N’tozake signifie « celle qui arrive avec ses propres affaires » et Shange « celle qui marche avec les lions ». Après une longue carrière, elle devait disparaître en 2018.
Féministe convaincue qui avait connu une enfance difficile durant laquelle elle avait été exposée du fait de sa race à des brimades continues, surtout au lycée, et deux mariages désastreux, son véritable titre de gloire est une pièce qui mêle poèmes et danses, au titre pour le moins curieux : for colored girls who have considered suicide/when the rainbow is enuf (Pour les filles noires qui ont envisagé le suicide / Quand un arc-en-ciel suffit), dont la première à Broadway eut lieu en septembre 1976. À ce jour, la pièce, qui devait rester deux ans à l’affiche, demeure la seule œuvre théâtrale de longue durée écrite par un auteur américain de souche africaine et la première à tendance féministe à être jouée à Broadway.
For Colored Girls, décrit par son auteur comme un « choreopoem » ou poème chorégraphié, met en scène sept – comme les couleurs de l’arc-en-ciel – femmes noires simplement identifiées en fonction des vêtements qu’elles portent : la Femme en rouge, la Femme en bleu, la Femme en violet, la Femme en jaune, la Femme en vert, la Femme en marron et la Femme en orange. Au cours de la pièce présentée sans entracte, elles racontent, chacune à son tour mais également ensemble et dans une façon de parler qui reflète les milieux sociaux dans lesquels elles évoluent, ce qu’elles ont connu : les oppressions, le racisme, les commentaires désobligeants, les attaques sexuelles…
Même si a priori le sujet peut sembler pesant pour une pièce de théâtre, il n’en est rien car c’est en fait une œuvre prenante dont le texte consiste en des monologues aussi joyeux que sérieux. Ces monologues poétiques sont souvent agrémentés de danses sinueuses réglées par la chorégraphe Camille A. Brown, qui a également assuré la mise en scène, sur une musique originale et un tantinet primaire composée par Martha Redbone et Aaron Whitby et interprétée par un trio musical composé d’un synthétiseur, une batterie et une basse électrique.
Il faut reconnaître que le spectacle, qui dure environ quatre-vingts minutes, est prenant. Les sept actrices qui sont sur scène sont tellement vraisemblables qu’on oublie presque que ce sont des comédiennes. Mais ce qui retient surtout l’attention, c’est que toute l’équipe technique responsable de cette reprise est composée de femmes. C‘est la deuxième fois cette saison que cela se produit, puisque Six, qui avait fait ses débuts en septembre dernier, était également le produit d’une équipe féminine. Le fait est d’autant plus remarquable que jusqu’à maintenant, même si elles jouaient des rôles importants en scène et en coulisse, les femmes n’étaient pas représentées dans de nombreuses branches des productions théâtrales. Rien que cela donne à Broadway une nouvelle attitude et un brin de fraîcheur…