Opprimé par le fleuriste qui l’emploie, Seymour cultive en secret une plante exotique et puante qu’il a baptisée du prénom de sa jolie collègue. Aussitôt dévoilée à la boutique, la verte Audrey attire une clientèle croissante et procure à Seymour une flatteuse célébrité. Problème : l’étrange végétal s’avère carnivore…
Le film américain de 1960, signé Roger Corman, est une comédie d’horreur dont le succès inspira à deux collaborateurs des Studios Disney, l’auteur Howard Ashman et le compositeur Alan Menken, la comédie musicale Little Shop of Horrors. Créée en 1982 à Broadway (Off-Broadway), elle a gardé l’affiche pendant cinq ans d’affilée et à son tour inspiré un film musical à Frank Oz, en 1986.
Cette production imaginée par Maxime Pascal, et mise en scène par Valérie Lesort et Christian Hecq, poursuit la tradition de la comédie musicale, dans une version française d’Alain Marcel, et à grand renfort de surprises scéniques. Les artistes de la Nouvelle Troupe sauront faire hurler de rire et d’horreur le public de la salle Favart, dans un spectacle déjanté et familial.
Notre avis : Avant de travailler ensemble pour les studios Disney (La Petite Sirène, La Belle et la Bête, ainsi qu’une partie d’Aladdin) le duo Howard Ashman (parolier) et Alan Menken (compositeur) avait créé La Petite Boutique des horreurs, inspirée d’un film éponyme des années 60, dans une petite salle à New York en 1982 avec seulement trois musiciens. Le spectacle s’est joué dans divers théâtres pendant plus de cinq ans et a été adapté au cinéma par Frank Oz en 1986. Quarante ans après sa création en Off-Off-Broadway, et plusieurs reprises à Londres et à New York, la comédie musicale fait ses débuts à l’Opéra Comique. Sans prendre une ride, cette fable grand-guignolesque et décalée déborde d’inventivité et de drôlerie.
La traduction et l’adaptation par Alain Marcel, qui avait déjà proposé une version française en 1986 jouée au Théâtre Libertaire à Paris (actuel Déjazet), est remarquable ; elle évite la vulgarité tout en conservant le côté irrévérencieux et kitsch de la version originale. La mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq fourmille d’idées et de trouvailles visuelles pour assurer une narration fluide sans aucune baisse de régime. Du quartier lugubre à l’évolution de la plante, tout est savamment illustré et réglé dans les moindres détails. La partition musicale a été réorchestrée par Arthur Lavandier pour un effectif plus important qu’à la création (le plus important à ce jour pour cette œuvre) mais, à la demande d’Alan Menken, il a pris soin de garder le côté intimiste d’une petite formation pour rester plus proches des « petites gens » dont parle le spectacle. Le résultat est formidable et l’orchestre dirigé par Maxime Pascal fait très bien ressortir l’aspect jazz band voulu par le compositeur.
Les chanteurs sont tous parfaits dans leurs rôles. Ils interprètent des personnages stéréotypés, ils osent aller au bout de la caricature pour notre plus grand bonheur, sans jamais tomber dans l’hystérie. Marc Mauillon excelle en Seymour timide et naïf, et forme avec Judith Fa (Audrey) un couple tendre et touchant. Damien Bigourdan s’en donne à cœur joie et prend un malin plaisir à persécuter Seymour ou Audrey dans chacun de ses multiples rôles, tout comme Lionel Peintre (Monsieur Mushnik) qui joue à fond la carte du rustre. Le trio aux notes gospel formé par Sofia Mountassir, Laura Nanou et Anissa Brahmi est très uni. Traité comme un chœur antique qui commente l’action (principe qu’Alan Menken reprendra dans le dessin animé Hercule), il apporte beaucoup de rythme et d’énergie. La grande qualité du casting se ressent autant dans l’homogénéité théâtrale que vocale malgré les origines diverses (lyrique, comédie musicale, théâtre) des différents interprètes.
Mais si bien entourée qu’elle le soit, la réussite ne serait pas la même sans une plante aussi expressive. Créée par Carole Allemand et manipulée avec précision par Sami Adjali, elle évolue au fil du spectacle en faisant ressentir dans tout son corps chacun de ses sentiments. Pour finir de lui donner vie, Daniel Njo Lobé lui prête sa voix avec malice et révèle grâce à elle un talent de chanteur insoupçonné.
Cette première comédie musicale à l’Opéra Comique est une grande réussite et nous espérons que la programmation audacieuse de cette maison n’en restera pas à un coup d’essai.
Pour ma part, j’aurais juré avoir vu la version de 1986 au Théâtre de la Porte Saint Martin.