Même pour la majorité des spectateurs américains, le titre de cette nouvelle comédie musicale peut sembler un peu obscur. En effet, il est dérivé de l’opération qui consiste à préparer un épi de maïs que l’on s’apprête à consommer, en enlevant les feuilles et les barbes qui l’entourent.
Aucun rapport, bien sûr, avec le sujet de la pièce, sauf que celle-ci a lieu dans les confins d’un État éloigné des centres urbains et intellectuellement cultivés, entre des gens dont le trait essentiel est un humour terre-à-terre, un peu lourdaud mais bon vivant et qui provoque le rire. Parce que l’action se passe la plupart du temps en ras de campagne dans des champs de maïs (corn en anglais), l’occasion était trop belle pour les auteurs du livret et des chansons qui se sont embarqués sans scrupule dans un style corny (« ridicule ou légèrement stupide ») qui est devenu la ligne conductrice des dialogues pour la plupart branchés sur des jeux de mots à double sens.
Maizy, une fille simple et directe, fiancée à Beau, un cultivateur de maïs, décide d’aller chercher du soutien hors de Cob County, un coin du Texas entouré de champs de maïs qui dépérissent par manque d’eau, en dépit du fait que sa cousine et meilleure amie, Lulu, lui fait remarquer que « personne ne quitte Cob County ». Peu importe, après une dispute avec Beau qui jette un froid entre eux, Maizy s’en va et échoue à Tampa, en Floride, où elle fait la connaissance de Gordy, qui lui dit soigner les cors [au pied] (corn en anglais). En réalité, ce Gordy est un charlatan qui a emprunté des milliers de dollars à des gangsters et qui se trouve maintenant dans une impasse.
Quand Maizy lui donne comme garantie de paiement un bracelet fait de pierres précieuses extraites des rochers qui entourent Cob County, Gordy voit là une occasion de faire fortune et de se débarrasser de ses créditeurs. Il fait du charme à Maizy et accepte de la suivre au Texas. Une fois arrivé, il découvre la raison pour laquelle les champs de maïs s’appauvrissent : la terre sur laquelle ils poussent est pleine de ces roches qui se gorgent d’eau tandis que le sol reste aride. Lulu découvre alors la vraie nature de Gordy, mais il tombe amoureux d’elle, tandis que Maizy retourne vers Beau qui l’épouse.
Comme on le voit, le sujet lui-même est relativement simple. Mais l’auteur du livret, Robert Horn, déjà connu pour avoir transcrit le sujet du film Tootsie pour une comédie musicale à succès présentée à Broadway il y a quelques années, ne s’est guère embarrassé de subtilité. Il a tout simplement conçu une histoire délibérément délirante, truffée de reparties amusantes, des commentaires sans lien avec le sujet mais qui provoquent l’hilarité, et des jeux de mots qui font mouche. Il est fortement aidé par les morceaux musicaux créés pour cette occasion par Brandy Clark et Shane McAnally, deux compositeurs de chansons de style country bien connus à Nashville, qui s’en donnent à cœur joie et qui ajoutent à l’histoire une musique qui ne frappe pas par son originalité mais qui reste bien dans le ton de cette comédie musicale un peu déjantée.
Les acteurs choisis pour cette production, de par leurs personnalités, instillent beaucoup d’humour, et notamment Kevin Cahoon, qui donne au personnage de Peanut, le frère de Beau et son conseiller, un caractère très spécial avec des remarques hors du sujet qui rappellent des comédiens repérés dans des rôles secondaires dans certains westerns des années 40 et 50 – par exemple : « Si vous pétez quand quelqu’un vous étreint, cela lui donne l’impression qu’il est costaud. » ou encore « Si tu es saoul quand on prend ta photo pour ton permis de conduire, tu auras l’air normal quand on t’arrêtera. »
Dans le même ton, Lulu, interprétée par Alex Newell, une excellente actrice déjà remarquée dans Once on This Island en 2017, fait valoir ses droits de femme libre en déclarant sans ambiguïté : « Le seul homme qui m’intéresse est celui qui m’apporte une glace et un verre de bourbon quand je suis dans mon lit, et qui ferme la porte… une fois qu’il est ressorti. » ou en chantant dans « Independently Owned », l’une des chansons-clés de cette œuvre : « On ne comprend pas que je puisse dormir seule. Je n’ai pas besoin d’un homme et de ses flatteries. J’ai un épi de maïs et des piles. »
Dans le rôle de Maizy, Caroline Innerbichler, nouvelle venue à Broadway, se révèle une nymphe pleine de talent, tandis que John Behlmann, autre transfuge de Tootsie, lui donne la réplique sous les traits de Gordy, et Andrew Durand incarne Beau avec allant et conviction.
Le décor imaginé par Scott Pask – une grange – suffit amplement pour abriter cette œuvre sans prétention, tandis que les costumes de Tilly Grimes restent bien dans le ton de la pièce. Les musiciens au nombre de cinq sous la direction de Jason Howland offrent une prestation en totale adéquation avec la tonalité générale.
Mais ce qui frappe surtout dans cette comédie musicale sans grande ambition, c’est la simplicité de sa présentation et le ton joyeux qui en émane. On rit parfois sans bien comprendre, d’autant plus que les acteurs adoptent un accent très campagnard pour dire leurs répliques. On admire leur jeu, on réagit positivement aux chansons pleines d’entrain et, en fin de compte, on sort de ce spectacle enchanté et quelque peu… éspathé !