À l’occasion de ses 15 ans, Le Soldat rose fait son grand retour sur scène dans une nouvelle mise en scène exceptionnelle au Grand Rex à l’automne 2023, et en tournée dans toute la France.
C’est l’histoire du petit Joseph, qui, lassé du monde des adultes, se réfugie dans un grand magasin pour vivre avec les jouets. Lorsque la nuit tombe, caché dans un rayon, il voit alors les jouets s’animer. Joseph va alors croiser plusieurs personnages qui l’observent avec étonnement. Un jouet sort du lot : le Soldat rose. Il est depuis de longues années dans le grand magasin, car personne ne veut de lui. Les garçons n’aiment pas sa couleur rose et les petites filles ne veulent pas d’un soldat. Joseph va vivre, le temps d’une nuit, une aventure extraordinaire à parcourir les rayons à la rencontre de tous ces personnages avec « ses yeux d’enfant ».
Notre avis : Depuis toutes ces années, Le Soldat rose reste un titre plutôt atypique dans l’univers des spectacles tous publics. À l’instar d’un opéra rock, ce conte musical est né sous la forme d’un album concept, paru en 2006, aux sonorités adultes signées Louis Chédid et aux paroles élaborées de Pierre-Dominique Burgaud – et illustré par Cyril Houplain. Sur scène, il devient un enchaînement de chansons entre lesquelles ont été insérés des dialogues à destination des enfants. Avec quelques écueils inhérents à ce type de genèse : le rythme perd ici ou là de la vigueur, notamment lorsque l’après-entracte s’ouvre sur deux titres lents voire tristes ; et la durée totale ressentie excède la réalité, la faute à un fil conducteur plutôt ténu, quand d’autres divertissements conçus pour les enfants multiplient les rebondissements ou s’apparentent à des enquêtes, des chasses au trésor…
Ici, la découverte du monde par le petit Joseph, son voyage, se fait dans le huis clos d’un grand magasin fermé pendant la nuit. Quel pur bonheur pour cet enfant, qui s’est caché au rayon des jouets parce qu’il trouve que « le monde des grands est trop petit » et qu’il « manque de poésie » ! Les tableaux se succèdent : chacun des jouets en rayon s’anime, se présente, se raconte comme pour ouvrir la conscience de l’enfant à un sentiment, une valeur de la vie, une réalité. Et parfois de la façon la plus crue, comme en témoignent les paroles de « Made in Asia » qui rappellent que les jolies poupées ont été fabriquées par des « enfants qui travaillent jour et nuit à l’usine » et cousues « par une petite fille qui n’a que la rue pour famille à l’âge où l’on est porcelaine » et qui « ne pleure même plus malgré ses doigts qui saignent ». D’ailleurs, d’autres paroles, sans être à ce point lugubres, puisent dans un registre d’habitude réservé aux plus grands : le Gardien de nuit « garde un revolver jusque dans [sa] baignoire », le Soldat rose demande qu’on mette « tous [ses] bisous dans des colis humanitaires » après avoir multiplié les rimes en ose : « névrose, ankylose, sclérose, psychose, ecchymoses… » Plus accessibles à tous les âges, quelques allusions à l’écologie pointent leur nez. Et on salue ce qui transparaît du titre emblématique, à savoir une ode à la différence, à l’instar de ce Soldat rose dont personne ne veut, qui reste invendu en rayon, car trop rose pour les garçons et trop soldat pour les filles. De là, la question du genre s’invite aussi : dans cette mise en scène, Cousin Puzzle fleure bon les deux sexes, mais, assez curieusement, la bande des jouets se moquera gentiment de la poltronnerie d’un des leurs, le super-héros, en lui scandant qu’il est « un jouet de filles » ; et ils nous rappellent aussi, un peu plus tard en chanson, qu’« il n’y a pas plus réconfortant qu’un papa, une maman »… Atypique, disions-nous ! Mais, au fond, on ne s’attarde guère sur ces considérations de spectateur adulte qui ne font que passer et se laissent balayer par le tourbillon du divertissement vu par des yeux d’enfant. Et c’est l’amour qui triomphera !
Le spacieux plateau du Grand Rex permet à une somptueuse scénographie très colorée de s’épanouir et de briller de milles feux. De magnifiques costumes richement conçus contribuent à l’émerveillement et à la féerie qui dominent dans cette nouvelle mise en scène de Julien Alluguette. Les huit artistes, auxquels il faut ajouter la Voix du grand magasin de Céline Monsarrat – la voix française de Julia Roberts –, sont toutes et tous formidables et s’en donnent à cœur joie pour donner vie à leurs personnages : timbres, intonations, postures, énergie. Sans oublier ce qu’il faut de chorégraphies, signées Yohann Têté, pour offrir un régal de comédie musicale.
Visuellement très réussi, ce Soldat rose ravit les petits, qui rêvent de s’amuser avec des jouets grandeur nature, et les grands, qui se glissent dans des chansons toujours aussi agréables à écouter.