Jacques ne pourrait pas vous écrire ce résumé.
S’il le faisait, il commencerait par une citation de Jacques Tati. Puis, il se décrirait comme un jeune professeur retraité. La troisième phrase inverserait deux mots. La quatrième serait confuse, et la cinquième franchement illisible.
Jacques ne le sait pas encore, mais il est atteint d’une aphasie primaire progressive, maladie neurodégénérative rare, qui mène à une détérioration progressive de la connaissance des mots, de la syntaxe et de l’élocution. L’incapacité progressive de s’exprimer, et de comprendre.
Face à la maladie, c’est toute sa famille qui se réorganise.
Notre avis : Déjà présentée dans ce théâtre dissimulé dans une cour du XIe arrondissement de Paris, l’adaptation de Certains l’aiment chaud nous avait séduit. Dans un tout autre domaine, l’enthousiasme est identique pour cette œuvre originale et poignante, qui aborde un thème complexe : la maladie neurodégénérative de son personnage central qui perd peu à peu l’usage puis la compréhension des mots, et ses conséquences sur la vie familiale. Nicolas Porcher, l’auteur, s’est inspiré de son expérience personnelle et a su éviter tous les pièges grâce à une finesse d’écriture saisissante. La délicatesse de la mise en scène doublée d’une scénographie inspirée, qui sait tirer tous les atouts d’un plateau de taille modeste, participent de la réussite de l’entreprise.
Lorsque l’on parle de finesse d’écriture, cette dernière ne se limite pas au texte, mais bien aux manières de raconter, par segments, cette histoire. Ainsi, les passages composés de répliques alternent parfois avec des segments chantés. La musique n’est, de toute manière, jamais très loin des personnages puisque Nicolas Porcher, auteur et créateur sonore, accompagne les comédiens sur scène. Que ce soit par le biais d’un dan tranh, d’une guitare, d’un ordinateur ou de traitements de la voix amplifiée, cette présence discrète mais essentielle offre au spectateur une perception particulièrement riche de ce qui est conté. Le théâtre d’ombres se trouve convoqué le temps de cette très belle séquence contant cette fameuse histoire du Prince à la tête de coton, parfaite métaphore de ce que vivent les personnages de cette famille aimante, mais chamboulée par la maladie. La distribution, parfaite, nourrit de son talent cette pièce, lui offrant des contours délicats. Et Stéphane Ly-Cuong, qui fut rédacteur en chef de votre site favori et qui travaille sur la post-production de son très attendu long-métrage Dans la cuisine des Nguyễn, se révèle ici particulièrement convaincant dans le rôle de Jacques, atteint par cette terrible maladie. Et une fois encore, ne pensez pas que la pièce aura un effet anxiogène. C’est presque tout l’inverse puisqu’elle apporte, sans éluder les moments difficiles, des notes lumineuses à cette histoire.