Bad Cinderella

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Imperial Theatre – 249 West 45th Street, New York.
Previews à partir du 17 février 2023. Première le 23 mars 2023.
Renseignements sur le site du spectacle.

Au fil des siè­cles, Cen­drillon a con­nu bien des incar­na­tions et bien des déboires dans sa recherche du Prince Char­mant qui l’éloignerait de l’infâme marâtre dev­enue sa belle-mère et des deux filles de cette dernière qui ne pensent qu’à la traiter comme une moins-que-rien. Fort heureuse­ment, bien sûr, elle trou­ve un sou­tien et un récon­fort auprès de sa fée de Mar­raine, mais n’empêche…

Sans aller chercher de loin­tains antécé­dents, rap­pelons sim­ple­ment pour la forme que Cen­drillon devint l’héroïne du con­te rédigé par Charles Per­rault en 1697, qui allait lui con­fér­er une image impériss­able que beau­coup emprun­tèrent par la suite pour réarranger l’histoire à leur façon. Les frères Grimm se l’approprièrent peu après en la nom­mant Aschen­put­tel – c’est ain­si qu’elle est con­nue en Alle­magne, alors qu’en Ital­ie elle reste Cener­en­to­la, tan­dis que les Espag­nols l’ap­pel­lent Ceni­cien­ta. Mais l’histoire a fait son chemin dans pra­tique­ment tous les milieux artis­tiques du monde entier : danse, opéra, théâtre, film, télévi­sion, pein­tures, romans, dans des visions par­fois fort éloignées de l’histoire originelle.

Rodgers et Ham­mer­stein se sont sai­sis du sujet en 1957 pour en pro­pos­er une comédie musi­cale télévisée, qui fut vision­née par plus de 107 mil­lions de téléspec­ta­teurs, soit 60 % de la pop­u­la­tion améri­caine de l’époque. Ce suc­cès a valu à Richard Rodgers de déclar­er que si tous ces admi­ra­teurs avaient voulu voir le même spec­ta­cle sur une scène à Broad­way, dans une salle suff­isam­ment grande pour accom­mod­er cette foule, comme par exem­ple le Radio City Cen­ter d’une capac­ité de 3 000 places, cela aurait demandé plus de qua­tre-vingts ans au rythme de huit représen­ta­tions par semaine.

Cette ver­sion allait finale­ment être mon­tée à Broad­way en 2015 dans un scé­nario assez bis­cor­nu, puisque Cen­drillon allait devoir assis­ter à deux bals pour être remar­quée par le Prince Char­mant – une faible entorse en soi. D’autres créa­teurs ont aus­si prof­ité du con­te pour en don­ner leur pro­pre vision, notam­ment Stephen Sond­heim dans sa comédie musi­cale Into the Woods dans laque­lle Cen­drillon, une héroïne par­mi d’autres, quitte son Prince Char­mant, qu’elle accuse d’avoir été infidèle en rai­son de sa pas­sade avec la Femme du Boulanger.

Bad Cinderella ©Matthew Murphy et Evan Zimmerman
Bad Cin­derel­la ©Matthew Mur­phy et Evan Zimmerman

Il n’en fal­lait pas plus pour qu’un autre génie du théâtre musi­cal, Andrew Lloyd Web­ber, s’empare du mythe pour com­pos­er une œuvre à sa façon, Bad Cin­derel­la, qui vient de débar­quer à Broad­way après avoir con­nu un grand suc­cès à Londres.

Le titre en est un peu déroutant, car cette Cen­drillon n’est pas aus­si « mau­vaise » ni « vilaine » qu’il le sug­gère – d’ailleurs, lorsque le spec­ta­cle a été créé dans le West End, il s’ap­pelait tout sim­ple­ment Cin­derel­la ; l’ad­jec­tif n’a été apposé que pour sa venue à Broad­way. La marâtre et ses deux filles, prénom­mées ici Adèle et Marie, n’ont en effet pas trou­vé d’autre adjec­tif pour la qual­i­fi­er et ain­si s’en débar­rass­er. Là ne s’arrêtent pas les mod­i­fi­ca­tions à cette his­toire revue et cor­rigée par Emer­al Fen­nell, auteur du livret, et Alex­is Scheer qui en a réal­isé l’adaptation.

Si Cen­drillon épouse effec­tive­ment un prince, ce n’est pas celui qu’on croit… Dans le roy­aume de Belleville, le Prince Char­mant, seul pré­ten­dant au trône, a dis­paru depuis des années sans laiss­er de trace. Au vu de cette sit­u­a­tion, c’est son frère cadet, le prince Sebas­t­ian, un être un peu mièvre et sans grande enver­gue, ami depuis longtemps de Cen­drillon, qui est désigné par la Reine pour accéder au trône. Sebas­t­ian devra épouser la pre­mière des jeunes filles invitées à un bal qui l’embrassera sur le coup de minu­it. La belle-mère de Cen­drillon saisit l’oc­ca­sion pour pouss­er sa fille aînée, Adèle, à don­ner le bais­er de minu­it au mal­heureux Sebas­t­ian qui attendait en vain l’arrivée de Cen­drillon, retenue par ses pro­pres doutes sur la sincérité de son ami… Au moment où le mariage entre Sebas­t­ian et Adèle doit être con­sacré, le Prince Char­mant sur­git aux côtés de la per­son­ne qu’il a choisie pour partager sa vie, un jeune offici­er plein de fougue, et déclare à tous qu’il faut se « mari­er par amour » (« Mar­ry for Love »). Ce mariage est offi­cielle­ment célébré sur-le-champ, et Sebas­t­ian, main­tenant libéré de ses oblig­a­tions envers Adèle, peut courir à la recherche de Cen­drillon et l’épouser. Tout est bien qui finit bien.

Si le ton de cette his­toire peut paraître un brin déjan­té, ce qui fait aus­si l’attrait de cette pro­duc­tion ce sont les chan­sons créées par Andrew Lloyd Web­ber et son paroli­er David Zip­pel. Loin de ses œuvres plus sérieuses comme The Phan­tom of the Opera, Sun­set Boule­vard ou Aspects of Love, le com­pos­i­teur revient ici aux rythmes qui ont fait sa renom­mée et com­pose des airs agréables à écouter, enjôleurs à souhait et qui font mouche à chaque fois, comme « Easy to Be Me », « Only You, Lone­ly You » (qui n’est pas sans évo­quer l’une des chan­sons clés de son Starlight Express), « I Know I Have a Heart (Because You Broke It) » et «Far Too Late », par­mi tant d’autres dans une par­ti­tion qui con­tient près de 30 chansons.

La scéno­gra­phie, avec ses décors col­orés et ses éclairages étince­lants, les cos­tumes attrayants et l’énergie d’une dis­tri­b­u­tion qui compte pas moins de trente-trois par­tic­i­pants et dix-sept musi­ciens, ren­for­cent l’esprit de cette comédie musi­cale qui se veut joyeuse et exubérante. Sous la mise en scène soignée de Lau­rence Con­nor et la choré­gra­phie intel­li­gente de JoAnn M. Hunter, le résul­tat est plus que satisfaisant.

Dans les rôles prin­ci­paux, Linedy Genao, « la pre­mière actrice d’origine latine à tenir un pre­mier rôle dans une comédie musi­cale signée Andrew Lloyd Web­ber » (ses pro­pres mots), se révèle être une Cen­drillon au car­ac­tère bien trem­pé et à la puis­sance vocale qui donne à ses solos encore plus d’attrait. Sa marâtre, incar­née par Car­olee Carmel­lo, actrice bien con­nue à Broad­way pour son sérieux, se lance avec bon­heur dans la comédie avec des excès vocaux et une inter­pré­ta­tion qui déchaîne le rire, notam­ment lors d’une ren­con­tre hila­rante avec Grace McLean dans le rôle de la Reine. Les deux filles, Adèle et Marie, toutes deux aus­si stu­pides que drôles, sont jouées avec justesse par Sami Gayle et Mor­gan Hig­gins. Quant aux princes, Cameron Loy­al est mus­clé à souhait et doté d’un bary­ton qui lui sied par­faite­ment pour être un Prince Char­mant de pre­mière classe, tan­dis que Jor­dan Dob­son donne de Sebas­t­ian la par­faite image d’un pau­vre gars hors de la course qui parvient mal­gré tout à con­cré­tis­er le rêve de sa vie.

Tout cela pour dire qu’après tout Bad Cin­derel­la n’est pas aus­si mau­vaise qu’on pour­rait le croire.

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