Coups de roulis

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1946

Théâtre de l'Athénée–Louis-Jouvet – Sq. de l'Opéra–Louis-Jouvet, 75009 Paris.
Du 10 au 19 mars 2023.
Renseignements et réservations sur le site de l'Athénée.

Comme un chien dans un jeu de quille, ou plutôt comme un fonc­tion­naire sur un bateau. En allant inspecter le croiseur de guerre Le Mon­tesquieu, le haut-com­mis­saire Puy Pradal, accom­pa­g­né de sa fille Béa­trice, 20 ans, ne se doute pas que le coup de roulis for­tu­it occa­sion­né par sa présence va boule­vers­er les cœurs de tous les pro­tag­o­nistes. Sa fille se pique de deux marins, l’un jeune (Ker­mao), l’autre mûr (Gerville), et son père s’entiche au Caire d’une comé­di­enne dont on soupçonne qu’elle entre­tient une liai­son avec lui pour pou­voir entr­er à la Comédie-Française. Par-delà la farce, ce sont les trois âges de l’amour que cette opérette célèbre, et l’on en sort en se deman­dant si le plus vigoureux n’est pas celui des seniors…

Dernière œuvre du com­pos­i­teur André Mes­sager – et pas la moins vivante –, sur un livret de son com­plice Albert Willemetz, ce Coups de roulis adap­té d’un roman de Mau­rice Lar­rouy comp­ta dans sa dis­tri­b­u­tion à sa créa­tion, en 1928, un cer­tain Raimu. Il est aujourd’hui repris par la com­pag­nie des Friv­o­lités Parisi­ennes, qu’on avait pu voir la sai­son dernière à l’Athénée avec Là-haut de Mau­rice Yvain – une com­pag­nie qui exhume et mag­ni­fie depuis dix ans le réper­toire lyrique léger français. Pour cette pro­duc­tion, la mise en scène, con­fiée à Sol Espeche, s’inspire des telen­ov­e­las, envis­ageant les trois actes de l’opérette en autant d’épisodes de soap opera – tan­dis que la direc­tion musi­cale, con­fiée à la baguette mon­tante Alexan­dra Cravero, fait réson­ner, à tra­vers l’orchestre des Friv­o­lités, les airs et har­monies, légers et ciselés, d’André Messager.

Notre avis : Atten­tion, pré­parez-vous à vous embar­quer pour un oura­gan de drô­lerie, des tor­nades de rire ! On con­nais­sait le tal­ent des Friv­o­lités Parisi­ennes pour insuf­fler un nou­v­el élan à des opérettes qu’on penserait désuètes (Là-haut la sai­son dernière), on n’imag­i­nait pas que cette tra­ver­sée de la Méditer­ranée à bord du croiseur Le Mon­tesquieu nous ferait nous gon­do­l­er à ce point !

© Ray­naud Delage

Le livret d’Albert Willemetz réu­nit déjà tous les ingré­di­ents indis­pens­ables à la comédie haut de gamme : des sit­u­a­tions invraisem­blables, des per­son­nages tru­cu­lents, des répliques affûtées, des calem­bours bien placés, des rebondisse­ments absur­des… Le cœur de la jeune Béa­trice bal­ance entre un enseigne de vais­seau, du même âge qu’elle mais coureur de jupons, et le com­man­dant du navire, au tem­péra­ment ras­sur­ant mais dont les tem­pes sont déjà grison­nantes ; son père, un haut-com­mis­saire cen­sé con­trôler les dépens­es de la Marine, n’a vrai­ment pas le pied marin et tombe sous le charme d’une intri­g­ante et pulpeuse vedette égyp­ti­enne qui cherche à entr­er à la Comédie-Française… Et c’est tout naturelle­ment que la met­teure en scène Sol Espeche choisit de faire de cette extrav­a­gante épopée un soap opera en trois épisodes, savoureux croise­ment entre La croisière s’a­muse et Les Feux de l’amour. Le lever de rideau puis les tran­si­tions entre les actes sont autant d’oc­ca­sions de jouer à fond la carte de la par­o­die grâce à des génériques filmés désopi­lants ou des pub­lic­ités poilantes – sans oubli­er d’im­payables « Précédem­ment dans Coups de roulis… ». Cette plongée dans le pas­tiche fonc­tionne à mer­veille car elle est sans retenue mais sans excès non plus : les artistes don­nent ce qu’il faut de sur­jeu exacte­ment aux moments prop­ices pour créer le sec­ond degré qui fait s’esclaf­fer le public.

© Ray­naud Delage

De ces mêmes artistes, on admire égale­ment la vivac­ité, l’én­ergie dans les dia­logues par­lés, la car­ac­téri­sa­tion des per­son­nages, la finesse d’in­ter­pré­ta­tion, l’in­ten­sité dans les par­ties chan­tées – dans un français par­faite­ment com­préhen­si­ble sans sur­titres –, les tim­bres séduisants. Chacun.e, rôles prin­ci­paux comme sec­ondaires ou chœur des femmes, tient sa par­tie avec une grande maîtrise et une joie communicative.

© Ray­naud Delage

La par­ti­tion d’André Mes­sager – sa dernière, qui date de 1928 – offre d’en­traî­nantes mélodies, des airs sub­tils aux accents déli­cats, un brin de mélan­col­ie, des ensem­bles au tem­po enlevé, des duos lan­goureux ou élec­triques, des tonal­ités vague­ment ori­en­tales, des clins d’œil au siè­cle précé­dent – Offen­bach, le grand opéra à la française revu et détourné –, des rythmes chaloupés car­ac­téris­tiques des Années folles… Les Friv­o­lités Parisi­ennes, ici dirigées par Alexan­dra Cravero, voguent en mer con­nue, avec tou­jours une grâce et une ardeur qui met­tent la salle en liesse.

N’hésitez pas : mon­tez à bord sans atten­dre et lais­sez-vous chavir­er de rire par ces Coups de roulis !

 

 

 

 

 

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