Quand avez-vous rencontré Yvonne pour la première fois ?
En passant l’audition pour Cabaret jaune citron ! Avant même d’être choisie, je me souviens que j’étais très heureuse que ce personnage existe. Nous étions trois sur scène pour ce spectacle musical, ce rôle était assez fou. Au début du travail, Stéphane m’a mise en confiance. La lecture du livret m’a donné toutes les informations : tout m’a paru clair, logique et assez naturel, même si ce n’est pas ma culture. En effet, je ne suis pas d’origine vietnamienne, mais sud-coréenne. Yvonne m’est apparue haute en couleur, dynamique et définitivement attachante dès cette lecture.
Si l’on remonte à la création, nous n’avons que très peu joué, puisque Cabaret jaune citron était présenté pour cinq dates au XXe Théâtre, dans le cadre du festival Diva. Mais tout de suite, quelque chose de très fort s’est créé, et trouver un autre lieu pour nous accueillir indispensable ! Très rapidement, Yvonne a eu un impact direct sur ma vie personnelle, provoquant une envie de retour au source. Par conséquent, j’ai économisé pour me rendre à Séoul. Cette envie serait peut-être née spontanément, mais donner corps à Yvonne a assurément accéléré le processus. J’ai adoré ce rôle. Nous avons joué dans une petite salle, mais c’était tellement bien. Le souvenir principal que j’en garde est une joie de vivre partagée. Le personnage était sans doute un peu plus mordant que la version cinéma (qui, rappelons-le, n’est pas une adaptation du spectacle), même si les deux expériences ont en commun une atmosphère heureuse, remplie de bonnes ondes.
Aviez-vous connaissance du blog d’Yvonne sur Regard en Coulisse ?
Stéphane ne m’en a pas parlé tout de suite. Il m’a tout d’abord expliqué s’être inspiré de choses vécues ou entendues autour de lui pour créer Yvonne. Il avait d’ailleurs décidé d’en faire une femme, car cela lui offrait davantage de liberté. J’ai donc découvert dans un second temps le personnage du blog d’Yvonne, plus girly et avec une touche d’humour grinçante irrésistible. Quant on remonte à mes années d’étudiante en comédie musicale, je consultais régulièrement Regard en Coulisse et avais lu plusieurs de ses chroniques, ignorant le rôle qu’Yvonne aurait pour moi des années plus tard ! Avec une copine j’étais allée à la dernière édition du festival de comédie musicale de Béziers (organisé par Mathieu Gallou, ndlr). J’avais découvert La Jeune fille et la Tortue, un court-métrage de Stéphane. Entre Asiatiques, nous nous étions repérés, je l’avais salué sans oser aller lui parler. Lorsque j’ai passé l’audition, je savais donc qui il était. Je me souviens le bon feeling que j’avais eu avec lui et Christine. En sortant, les premiers flocons de neige sont tombés : j’ai pris cela comme un signe positif.

Comment avez-vous appris l’obtention du rôle au cinéma ?
Nous jouions encore Cabaret jaune citron en 2019 lorsque j’ai décidé de changer de carrière puisque, à l’instar d’Yvonne dans le film, je ne trouvais pas de rôle. Ainsi en 2016-2017 j’ai passé un CAP de cuisine et j'ai décidé de partir. Stéphane m’avait dit écrire un long-métrage, je lui avais soufflé que je serais super heureuse d’avoir un rôle, sans penser à Yvonne une seconde. J’ai vite trouvé du travail dans un restaurant et en cuisine, on ne chôme pas. Je n’ai pas pu me libérer pour le petit rôle qu’il voulait me confier dans son court-métrage Allée des Jasmins et j’en étais navrée. Pour le long-métrage, tout s’est déclenché à l’obtention de l’avance sur recettes du CNC. Je sortais du service après le déjeuner, il m’appelle pour m’informer de la bonne nouvelle (d’autant qu’il avait fait coup double, l’obtenant également pour son travail de co-auteur de Hiver à Sokcho) et de son intention de me confier le rôle d’Yvonne… S’il fallait encore boucler le financement, le film allait se faire dans moins de deux ans. J’ai accepté illico. Lorsque tout s’est précisé, le ventre noué, j’étais en poste et en ai parlé à mes supérieurs. J’étais de toute façon déterminée à faire le film. Mon patron et le chef de cuisine ont eu la gentillesse de m’octroyer un congé sans solde, assurant que mon poste m’attendrait. Ce fut un grand soulagement car j’étais vraiment à ma place dans ce restaurant. Depuis, d’ailleurs, je suis passée cheffe de cuisine !
Le tournage a donc eu lieu à l’automne 2024...
Toute la préparation a généré du stress pour moi, car j’étais désormais habituée à celui de la vie en cuisine, qui n’est pas mal non plus… J’ai toutefois eu du temps pour bien me préparer. Stéphane m’a accompagnée de la meilleure des façons, me redonnant confiance, me faisant travailler le jeu, me demandant de me remettre en forme pour refaire le grand écart, apprendre le roller. Pour le chant, je n’avais en fait jamais arrêter de le pratiquer, trouvant un partenaire idéal en un collègue serveur qui avait appris le piano au conservatoire. Ensemble nous composions de mini-spectacles que nous présentions à… la pâtissière du restaurant le mercredi lors de la coupure, notre but étant de ne pas la décevoir ! Nous piochions dans un répertoire très varié, selon l’inspiration du moment. Pour le film, Clovis Schneider a été super. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois, il m’a prêté du matériel pour que j’enregistre des segments (j’ai ainsi transformé une chambre d’ami en studio !), se basant sur ma tessiture pour arranger les morceaux. Puis est arrivé le tournage. Je sortais fatiguée de la saison estivale au restaurant, mais j’avais l’énergie nécessaire, bien décidée à ne pas tomber malade et assurer au maximum. J’étais en confiance avec Stéphane bien sûr, qui m’a assuré qu’il me dirait si quelque chose n’allait pas, et aussi parce que, grâce à l’équipe, je suis arrivée bien préparée.
Conservez-vous un souvenir particulier du tournage ?
Le premier jour nous avons tourné toutes les séquences au centre commercial, en roller. Ce fut un moyen idéal de rencontre l’équipe technique puisque j’étais seule comédienne pour ces plans, inquiète toutefois du défi que consistaient les rollers ! Je n’étais pas très à l’aise car ce sport, comme le ski, peut être dangereux pour les genoux et je devais danser dans de futures séquences. Quoi qu’il en soit, tout s’est bien passé et immédiatement un très bon feeling est passé avec cette équipe qui s’est révélée du tonnerre, à tel point que j’étais toujours présente sur le plateau, même quand je ne tournais pas, à m’initier aux différents corps de métier. J’ai fait des stages accélérés ! Durant les trente-trois jours de tournage, j’en ai vécu, de sacrés moments. Parfois le défi était la chorégraphie, parfois le jeu avec Anh Tran-Nghia qui interprète ma mère. Ce qui me frappe, c’est l’esprit de troupe de cette trentaine de personnes, cette envie, comme je l’avais vécue au théâtre, de faire des merveilles avec un budget limité, créer quelque chose de magique pour le public. Tout le monde était à l’écoute, avec l’envie de tout faire pour bien faire. Je me suis bien amusée également lors du flash d’Yvonne en Marie-Antoinette : une robe à corset et crinoline pour une comédienne asiatique, rendez-vous compte !

Un autre moment m’a également marqué : le tournage du rêve au théâtre Déjazet. Je ne me sentais pas totalement à l’aise dans la robe à paillettes ; nous tournons la séquence ; Céline Breuil-Japy, la scripte, vient me chercher pour que je regarde le rendu sur l’écran de contrôle ; j’avoue avoir ressenti une émotion comme rarement car… je me suis trouvée belle : le rêve d’Yvonne rejoignait alors celui de Clotilde. Très émue, j’ai appelé mon mari ce soir-là pour partager cette sensation assez incroyable.
Parlez-nous de l’accueil du film.
Je vais commencer par le mien… Durant le tournage, à moins que ce ne soit justifié pour des raisons techniques ou lorsque je porte une robe à paillettes, je n’ai jamais regardé le combo (l’écran de contrôle, ndlr). J’ai préféré découvrir le film monté, dans une version quasi définitive. On m’avait prévenue : ce n’est pas toujours facile de se voir à l’écran. Je me suis donc préparée au pire mais, dès les premières images, j’ai vu Yvonne et pas Clotilde, j’ai ressenti comme un soulagement. J’avais bien entendu entière confiance en Stéphane et, moi qui le suis rarement au quotidien, je suis fière du résultat. Je crois que, tous ensemble, nous avons fait un ovni… Toutes ces années de travail ont porté leurs fruits. Lors des diverses avant-premières dans toute la France avec tous les types de public, j’ai vu des gens contents, certains enthousiastes. Quel bonheur de vibrer avec eux, de partager nos émotions. Les témoignages des personnes asiatiques étaient également très touchants : nombreux étaient ravis de se voir représentés au cinéma avec ce film qui défend un sens artistique, moral voire politique. Un film sans tête d’affiche, un film généreux, qui invite. Un peu comme lorsque je suis en cuisine. Mon but est que les personnes passent un bon moment, voire un moment inoubliable.