Célébrée et appréciée dans le monde lyrique pour sa joie de vivre, sa générosité et son immense carrière de près de soixante années dans les grandes maisons d’opéra – notamment le Metropolitan de New York, où elle était une star, avec près de 700 représentations –, Rosalind Elias est décédée le 3 mai dernier à l’âge de 90 ans. En plus de chanter les rôles de premier plan habituellement confiés à une mezzo-soprano, elle avait créé, en 1958, celui d’Erika dans Vanessa de Samuel Barber, pour lequel elle avait demandé au compositeur de rajouter un solo, qui allait devenir un classique du répertoire, si touchant par la mélancolie qu’il dégage : « Must the Winter Come So Soon? ».
En 2011, quand son agent lui demande d’auditionner pour le bref mais poignant rôle d’Heidi Schiller dans Follies, elle ne connaît pas l’œuvre, mais elle adore l’univers de Sonhdeim, sa richesse, sa façon de combiner la musique et les mots. Elle n’hésite pas à le qualifier de génie. Et, surtout, elle a déjà incarné Mrs. Lovett dans Sweeney Todd en 1984 au New York State Theatre (production du New York City Opera) et Mrs. Armfeldt dans A Little Night Music à Honolulu en 2008 (production du Hawaii Opera Theater).
À quatre-vingts ans passés, elle se demande quel rôle peut encore convenir à ce stade. C’est la chanson « One More Kiss » qui la convainc de se lancer dans cette nouvelle aventure : une valse en forme d’adieu, un aveu d’amour. « Je sais que Stephen Sondheim a composé cette chanson en 1971, mais je jurerais, je sens qu’il l’a écrite pour moi. » À l’audition, avec ce titre, elle bouleverse le metteur en scène Eric Schaeffer. Et la voilà aux côtés des grands noms du musical – Bernadette Peters, Danny Burstein, Elaine Paige… – au Kennedy Center à Washington, dans un premier temps, et lorsque la production déménage au Marquis Theatre à l’été 2011, elle fait officiellement ses début à Braodway.
Chaque soir, après « One More Kiss », le public applaudit, ému par une voix que le temps n’a certes pas épargnée – comme celle du personnage –, mais qui reste chaleureuse et enveloppante. Stephen Sondheim écrit avoir été « charmé de voir son bonheur » et décrit son interprétation comme « touchante et merveilleuse ».
Pour se mettre dans le rôle, elle s’est créé toute une histoire. « Au début, j’avais imaginé Heidi comme une pauvre femme, pour qui la vie a mal tourné. Je me l’étais représentée avec, dans son placard, son costume de girl d’autrefois, la seule encore robe mettable pour la réunion des Follies. » Mais, lorsqu’à l’essayage du costume elle découvre une magnifique et élégante robe ornée de perles, elle doit changer son sous-texte : « Heidi a été une star des Follies, a eu plein d’amants, de diamants, mais ne s’est jamais mariée. Elle vit dans le Dakota et continue d’être invitée aux plus grands galas et aux plus prestigieuses soirées, parce qu’on se souvient de son nom. Mais elle s’y ennuie. » Avec « One More Kiss », Heidi rencontre le fantôme de son passé, sa jeunesse et sa gloire perdues. C’est son chant du cygne. « Mon amour, mon amant, donne-moi encore un baiser et ne regarde pas en arrière. »
« Je suis toujours sous le choc de Follies. On ne sait jamais ce qui vous attend au coin de la rue. C’est un baiser de plus qui m’a été donné. »