Hell’s Kitchen

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Sam S. Shubert Theatre – 225 West 44th Street, New York.
Première le 20 avril 2024.
Consultez le site du spectacle.

Cette nou­velle comédie musi­cale qui vient de faire ses pre­miers pas à Broad­way après un essai au Pub­lic The­ater off-Broad­way en novem­bre dernier nous arrive avec un pedi­gree qui n’est pas nég­lige­able. En effet, elle a été conçue par la chanteuse Ali­cia Keys qui en a écrit le livret avec Kristof­fer Diaz, final­iste du prix Pulitzer pour son drame The Elab­o­rate Entrance of Chad Deity en 2010, et qui s’est servie de plusieurs chan­sons qu’elle a écrites et ren­dues pop­u­laires, afin de don­ner à la pièce un relief encore plus impor­tant. Le résul­tat est un spec­ta­cle vague­ment auto­bi­ographique qui se dis­tingue par son style éton­nant et son traite­ment remarquable.

L’action se passe dans les années 1990 dans un quarti­er pop­u­laire de Man­hat­tan, Hell’s Kitchen, où Ali­cia Keys a effec­tive­ment passé quelques années de son enfance, à deux pas de Times Square et du cen­tre des théâtres de Broad­way. À l’époque, le quarti­er était très mal vu parce que c’était un endroit où les agres­sions dans les rues étaient un phénomène fréquent, et où les étab­lisse­ments sex­uels et les trans­ac­tions illicites de drogue étaient nom­breux. C’est là que vit Ali, 17 ans, l’héroïne de la pièce, avec sa mère, Jer­sey, jeune femme d’origine ital­i­enne, au 35e étage du Man­hat­tan Plaza, un immeu­ble con­nu dans le quarti­er, à l’époque un cen­tre d’accueil pour de nom­breux artistes ; son père, Davis, un Noir améri­cain, les a depuis longtemps aban­don­nées à leur pro­pre sort.

©Mark J. Franklin

Ali fait la con­nais­sance d’un jeune Noir plus âgé qu’elle, Knuck, bat­teur à ses heures (avec ses copains, il joue dans la rue et n’utilise pas un tam­bour mais un seau), qui s’est fait une car­rière en tant que net­toyeur de car­reaux dans le voisi­nage. Elle lui court après, surtout pour affirmer son indépen­dance vis-à-vis de sa mère qui essaie de con­trôler ses allées et venues. Elle y parvient dans une cer­taine mesure, mais quand Jer­sey décou­vre qu’Ali a passé une nuit avec Knuck, elle porte plainte et il est arrêté pour rela­tion avec une mineure.

©Mark J. Franklin

Ali et Jer­sey ont alors une dis­pute, d’au­tant plus que la mère a giflé sa fille en pub­lic. Ali décide de pren­dre ses cliques et ses claques et de se réfugi­er dans une autre pièce de leur immeu­ble, l’Ellington Room, un salon qui sert de salle de con­cert et dans laque­lle se trou­ve un piano. C’est là qu’elle fait la con­nais­sance d’une autre rési­dente, Miss Liza Jane, qui vient jouer de l’instrument tous les jours quand la salle n’est pas occupée.

D’abord tac­i­turne, Miss Jane s’habitue peu à peu à la présence d’Ali ; elle lui prodigue des con­seils pour résoudre le dif­férend qui l’oppose à sa mère et, recon­nais­sant en elle des qual­ités musi­cales que la jeune fille ne se con­naît pas encore, lui donne quelques leçons de piano. Entre-temps, Jer­sey, désem­parée, demande à Davis de con­va­in­cre Ali de revenir dans leur apparte­ment cepen­dant qu’elle vagabonde auprès de Knuck avec lequel elle essaie de renouer.

©Mark J. Franklin

La mort soudaine de Miss Jane va provo­quer le retour d’Ali auprès de Jer­sey, tan­dis que Davis se rap­proche de sa femme et de sa fille, même s’il con­tin­ue à vivre séparément.

Ce qui fait le grand intérêt de cette œuvre, out­re son sujet réal­iste traité avec beau­coup de finesse et de vérac­ité, c’est bien sûr sa col­lec­tion de chan­sons, dont « You Don’t Know My Name », « Gramer­cy Park », « Teenage Love Affair », « Girl on Fire », « Fallin’ » et « Like You’ll Nev­er See Me Again », qui ont con­nu le suc­cès et qui ont fait la répu­ta­tion d’Alicia Keys. Elles sont ici judi­cieuse­ment incor­porées à l’action pour lui don­ner l’allant néces­saire, et pas seule­ment en rai­son de leur pop­u­lar­ité. La chanteuse a égale­ment ajouté plusieurs nou­veaux titres, comme « Kalei­do­scope », « Love Looks Bet­ter », « Work on It » ou « Authors of For­ev­er », lesquels attireront égale­ment à coup sûr ses fans. Dans l’ensemble, la par­ti­tion s’insère presque naturelle­ment dans la trame et la rehausse ; elle offre aus­si plusieurs moments orches­traux qui don­nent l’oc­ca­sion aux acteurs de mon­tr­er qu’ils sont égale­ment et indu­bitable­ment d’ex­perts danseurs.

©Mark J. Franklin

Dans le rôle d’Ali, Gian­na Har­ris, qui rem­place la vedette Maleah Joi Moon pour les mat­inées, est remar­quable, tant dans son inter­pré­ta­tion que dans sa façon d’exprimer les sen­ti­ments con­tenus dans les airs à sa dis­po­si­tion, que ce soient des solos ou des chan­sons d’ensemble. À ses côtés, Jane Miland et Jack­ie Leon, respec­tive­ment dans les rôles de Tiny et de Jes­si­ca, amies d’Ali, sont aus­si excel­lentes dans leurs moments vocaux et dansants. Égale­ment fort impres­sion­nante dans le rôle de Jer­sey, Shoshana Bean, déjà remar­quée dans Mr. Sat­ur­day Night, Wait­ress et Wicked, est en pleine pos­ses­sion de ses moyens et les man­i­feste notam­ment dans les moments où elle est seule en scène. Sous les traits de Davis, Bran­don Vic­tor Dixon se mon­tre totale­ment à l’aise dans le rôle de ce car­ac­tère peu recom­mand­able mais toute­fois sym­pa­thique. Mais la palme d’interprétation revient sans con­teste à Kecia Lewis, émou­vante à l’extrême dans le rôle de Miss Liza Jane, avec une voix qui cou­vre plusieurs octaves et fait de « Per­fect Way to Die » un moment de choix, un show­stop­per comme il en existe peu.

La choré­gra­phie de Camille A. Brown, reposant sur les accents jazz, hip-hop et soft rock des chan­sons, illu­mine ces moments avec des mou­ve­ments syn­copés qui rap­pel­lent sou­vent les nom­breuses vidéos qui illus­trent les chan­sons à suc­cès actuelles, et entraîne sa nom­breuse com­pag­nie dans des dans­es qui provo­quent de mul­ti­ples réac­tions chez le pub­lic, totale­ment subjugué.

La mise en scène plus dis­crète de Michael Greif donne un relief dif­férent à l’ensemble et per­met aux acteurs et danseurs de se mon­tr­er sous un autre angle tout en man­i­fes­tant leurs mul­ti­ples tal­ents. Les décors de Robert Brill, agré­men­tés de plusieurs pro­jec­tions dues à Peter Nigri­ni, ajoutent leur pro­pre autonomie au spec­ta­cle. Le son est poussé à l’extrême par Gareth Owen et la direc­tion de Lily Ling donne à l’orchestre une occa­sion par­faite de met­tre en valeur la musique. De fait c’est par­fois un peu fort, mais c’est égale­ment formidable !

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