Une plongée dans la carrière et l’intimité de Michel Legrand, célèbre musicien de jazz et compositeur hors normes, qui a marqué l’histoire du cinéma.
Grâce à des archives et témoignages inédits, le film revient sur l’incroyable richesse d’une vie dédiée à la musique et le parcours d’un homme qui, jusqu’au bout, aura magistralement servi son art.
Notre avis : Avec son titre qui évoque un conte de fées, le documentaire montre, pendant presque deux heures, diverses facettes du compositeur et chef d’orchestre, dont les œuvres sont depuis longtemps gravées dans la mémoire collective. Difficile de le croire lorsqu’il répond à Jacques Chancel que la postérité « il s’en tamponne », tant l’homme a une très haute idée de lui-même ; il est bien plus intéressant de l’observer dans les moments de travail. Afin de ne pas verser dans l’hagiographie – écueil qui n’est toutefois pas totalement évité –, l’auteur montre quelques petites colères du maestro, notamment en Hongrie face à un orchestre qu’il juge désinvolte. Or cette représentation, dont il sera à juste titre fier, restera un très bon souvenir pour lui. La parole de Claude Lelouch se joint à celles de musiciens qui l’ont côtoyé : les envies de le molester face à ses sautes d’humeur et aux humiliations n’ont pas été rares. Toutefois, ils soulignent en cœur que le monstre sacré savait parfaitement se faire pardonner.
La forme du documentaire laisse un peu perplexe, le réalisateur semblant hésiter entre plusieurs axes. Le plus intéressant, qui n’est pas suivi de part en part, reste la relation qu’il a entretenue durant plusieurs années avec Michel Legrand, allant même jusqu’à préparer avec lui le montage des images de films qui serviront de support à son ultime concert à la Philharmonie de Paris en 2018. Sont abordées l’enfance – que le compositeur réécrira à l’envi – avec un père lâche et absent, et rapidement son ascension dans le monde de la musique – Nadia Boulanger refusa de lui délivrer son diplôme de manière à ce qu’il reste le plus longtemps possible avec elle. La rébellion également, puisque la découverte du jazz lui inspira de faire enrager sa mentor en interprétant des airs inspirés de ce mouvement musical, loin des préceptes classiques. Son envolée ensuite, son travail harassant avec les chanteurs dont il signe nombre d’arrangements, puis la consécration, tant en France qu’aux États-Unis. Est évoquée également, alors qu’il est en pleine gloire, la grave dépression dont il s’est fort heureusement remis. L’utilisation du « split screen » (plusieurs images se partagent l’écran) donne souvent du rythme au montage.
Des images d’archives retracent, tout au long de sa vie, passions et facéties. Ne fait-il pas installer une salle de montage 35 mm dans sa chambre pour être au plus près du film et de la composition ? Pour « rattraper son enfance », n’agit-il pas comme un gamin turbulent, en pilotant des avions et en ne rendant sa copie qu’au dernier moment ? Ne s’implique-t-il pas, comme jamais, dans la composition de Yentl, décrite par la fille de Jacques Canetti comme sa plus belle partition ? Sa force de vie provoque le respect et les ultimes images du concert à la Philharmonie, lorsqu’il sort de scène soutenu par son pianiste et par son chef d’orchestre, bouleversent (même s’il était inutile d’en faire un ralenti). Le film se compose, donc, d’éléments pris sur le vif mais aussi de bouts de témoignages d’innombrables intervenants, le principe retenu ici étant de présenter une phrase de l’un, une phrase de l’autre, sans laisser à une parole plus longue le temps de s’épanouir. Par ailleurs, souhaitons que divers problèmes techniques liés à l’image et au son soient résolus lorsque le film sortira : maestro Legrand n’aurait sans doute pas apprécié ce laisser-aller. Le fan de Legrand n’apprendra pas forcément grand-chose sur le musicien – sa collaboration avec Jacques Demy, par exemple, ayant déjà été largement documentée – mais il sera touché de voir cet homme bondissant, complexe, revivre, grâce à cette évocation respectueuse et presque amoureuse, sur un écran de cinéma.