Livret et musique : Andrew Lippa
Paroles : Marshall Brickman & Rick Elice
Décors : Massimiliano Merenda
Costumes : D’inzillo Sweet Mode Srl
Lumières : Maurizio Montobbio
Son : Armando Vertullo
Chorégraphe : Julia Ledl
Direction vocale et musicale : Raphael Sanchez
Metteur en scène : Ned Grujic
Avec : Guillaume Bouchède (Gomez Addams), Lucie Riedinger (Morticia Addams), Charlotte Hervieux (Mercredi Addams), Magali Guerrée (Pugsley Addams), Laurent Conoir (Fétide Addams), Stéphanie Gagneux (Grand Ma), Vincent Gilliéron (Lurch), Cyril Romoli (Malcolm Beineke), Dalia Constantin (Alice Beineke), Simon Gallant (Lucas Beineke)
Ensemble: Jean-Baptiste Darosey, Julie Costanza, Géraldine Deschenaux, Rosy Pollastro, Alexandre Bernot, Bart Aerts.
Résumé : Dans l’aile gauche d’une immense villa délabrée de style victorien vit une famille macabre et excentrique, la Famille Addams. La singulière Mercredi, princesse des ténèbres et fille aînée de la famille, est maintenant devenue une jeune fille ; et comme la plupart des jeunes filles, elle tombe amoureuse d’un garçon qui, aux yeux de sa famille, aurait tous les défauts : doux, gentil et… totalement ordinaire ! Effrayée par la réaction possible de sa mère, la mystérieuse et fascinante Morticia, Mercredi décide de confier le secret de son amour à son père Gomez Addams, forçant ce dernier à faire une chose qu’il n’a jamais faite de sa vie : ne pas révéler ce secret à sa Morticia chérie et adorée. Jusqu’au jour où… s’organise un dîner dans le manoir des Addams pour la présentation officielle du petit ami de Mercredi !
Notre avis : Écrit en 2017. De La Famille Addams, le grand public connait surtout les longs métrages des années 90. Des films au succès planétaire, popularisant cette tribu pour le moins particulière, d’inquiétants humains au teint blafard et de créatures improbables. Beaucoup ignorent que ce délicieux petit monde, vivant à l’ombre d’un cimetière, est né il y a près de cent ans, sous le crayon de Charles Addams dans les pages du New-Yorker. Série télévisée des années 60, The Addams Family est surtout devenue A musical comedy à Broadway, en 2010 signée du trio Andrew Lippa (paroles et musiques), Marshall Brickman et Rick Elice (Jersey Boys).
C’est cette version intégrale que le Palace propose depuis le 15 septembre au public français. Une adaptation absolument fidèle au show américain et dont seule la mise en scène a été entièrement revue et imaginée. On y retrouve avec plaisir cette famille absurde et attachante où les ancêtres ont deux têtes, où les enfants se torturent joyeusement et où la cave regorge d’instruments de supplice. Banal. S’amuser avec une arbalète, dormir dans un cercueil, ou élever un « iguane de compagnie », quoi de plus normal pour les Addams? Mais voilà que Mercredi est amoureuse et que deux familles n’ayant rien en commun vont se rencontrer. C’est le face à face entre deux mondes, entre deux philosophies de la vie, entre deux «normalités».
Disons-le simplement, cette Famille Addams « française » est un régal empoisonné, un grand moment de musique et de rires. Il faudrait d’ailleurs plutôt qualifier le show de « boulevard musical » tant l’écriture est celle d’une pièce et les répliques dignes d’un vaudeville. Ned Grujic, à qui l’on doit l’adaptation, a effectué un travail au cordeau, évitant de bâcler les textes et d’affadir les rimes. Il a fidèlement respecté l’âme théâtrale du spectacle, mais aussi sa structure artistique : Un grand numéro choral, réunissant la quasi-totalité des seize artistes, ouvre ainsi la soirée, dans la plus pure tradition de Broadway. « Pour être un Addams » convoque notamment les ancêtres, qui forment judicieusement l’ensemble tout au long du musical, mi morts-vivants, mi-anges-gardiens au service de l’Amour.
Autour d’un vaste et ingénieux décor mobile — le manoir familial, qui se déplace et s’ouvre au gré des scènes — la suite est une succession de hurlements de terreur ou de rire… Car La Famille Addams ne déroge pas à la règle du vaudeville, avec son lot de rebondissements, de secrets et de mensonges. Rien ne se passe évidemment comme prévu… et l’amour semble vaciller pour ces Roméo et Juliette au pays de Dracula. Leurs parents, que tout oppose, ne sortiraient pas eux-mêmes indemnes, s’ils ne finissaient par se remettre en question. Ce n’est plus macabre, c’est une leçon de vie !
Très swing, la musique est d’ailleurs enlevée, dynamique et particulièrement variée. On a peine à croire qu’un seul compositeur a commis tous les airs, tant leurs couleurs diffèrent. Castagnettes, trompettes et rythmes latinos rappellent l’Espagne de Gomez, mélodie pop et déchainée réunit les deux amoureux, et grands thèmes typiques de Broadway ponctuent l’intrigue.
Bien loin des tubes français marketés et facilement mémorisable auxquels le grand public a pu être habitués ces dernières années, ces airs prennent une évidente dimension supplémentaire par leurs interprètes. Et plus que les mélodies, c’est la distribution d’excellents artistes, dont la ressemblance est frappante avec les héros, qui fait la force de ce spectacle. Lucie Riedinger est une Morticia plus vraie que nature, Guillaume Bouchède (Gomez) est maitre dans le boulevard, Charlotte Hervieux (Mercredi) relève tous les défis vocaux du premier acte et Dalia Constantin est une formidable Alice Beineke. La palme de l’interprétation revient cependant à Vincent Gilliéron. Méconnaissable et saisissant en Lurch (le majordome), il offre pendant deux heures une prestation, uniquement composée d’expressions et de mimiques, absolument formidable. Leurs voix, leur jeu, le texte, et la puissance délirante de cette galerie de gentils doux-dingues rendent finalement inutiles tout effet superflu et on sait gré à Ned Grujic de n’avoir pas cédé à la mode des écrans plasmas et des projections vidéos.
Drôle, parsemée de clins d’œil (La Chose, le cousin Machin), et adaptée à tous les publics, La Famille Addams confinerait au parfait s’il l’on ne déplorait pas un manque de relief sur certaines scènes et quelques longueurs, une ou deux chansons assez inutiles brisant le rythme général. Les Français n’y sont semblent-ils pour rien, l’œuvre originale comportant ce même défaut. Reste cette leçon qui se dévoile progressivement, entre un tango et une pendaison par les pieds : Il n’y a rien de plus subjectif que la normalité, et les fous ne sont pas toujours ceux que l’on croit. A bon entendeur…