Légère, lubrique, carrément débauchée… On évitait Tante Caroline, on se pinçait le nez devant sa porte… jusqu’à ce qu’elle expire. Car miracle post mortem, “l’argent n’a plus d’odeur”, et une appétissante galette de 40 millions et des broutilles serait à se partager entre ses trois vertueuses nièces. Sauf que… il y a un hic, et une clause pernicieuse du testament va mettre à l’épreuve les voies impénétrables du seigneur et de ses ouailles.
Seul opéra achevé d’Albert Roussel, ce Testament scabreux de 1932 fut créé en tchèque à Olomouc – où il dérouta le public –, puis repris quelques années plus tard à l’Opéra-Comique – où quelques spectateurs écrivirent au ministre que soit retiré de l’affiche ce “spectacle déplacé”. Déplacé, vraiment ? Rien ne vieillit mieux que les immuables noirceurs testamentaires, où les histoires d’argent et de famille s’unissent souvent pour le pire. L’occasion pour le compositeur de concocter “une sorte d’opéra bouffe dont les personnages sont complètement grotesques et devraient être joués sans crainte d’exagérer leurs effets”, et que la jeune compagnie des Frivolités livre aujourd’hui aux turpitudes particulières du XXIe siècle.
Notre avis : Pour clore la saison après un The Importance of Being Earnest de haute volée, et en attendant la prochaine tout aussi alléchante, le théâtre de l’Athénée a choisi de présenter une pépite endormie, une de celles que les Folies Parisiennes savent si bien ressusciter. Une pépite faite du même or que celui que les héritières de feue Tante Caroline aimeraient empocher. Mais c’était compter sans une clause testamentaire, qu’aucune d’entre elles ne remplit, du moins pas encore ou du moins… (attention divulgâcheur !) pas à la connaissance des autres… Cette intrigue de boulevard permet de passer fort plaisamment en revue une galerie de personnages truculents : la religieuse visiblement coincée, la nymphomane et son falot de mari, la bourgeoise et son époux autoritaire ; auxquels s’ajoutent d’amoureux domestiques naïfs mais pas trop quand même, un docteur Patogène dont le patronyme dit tout, et un notaire du nom de Maître Corbeau, que le metteur en scène a voulu tenant dans son bec un mégot et revêtu d’un inusable imperméable beige, lui donnant ainsi une inquiétante allure de Columbo.
Depuis l’entrée des musiciens se recueillant gravement sur le cercueil de la tante, suivie d’une oraison funèbre enamourée dite par le chef d’orchestre lui-même, jusqu’au happy (mais pas pour tout le monde !) ending, en passant par les complots, les manipulations, les tentatives de soudoiement, les pillages à la dérobée, les empoignades de plus en plus musclées de cette famille de foldingues guidés par la cupidité, on se délecte de ce théâtre musical aux personnages grotesques, aux situations cocasses et burlesques, aux répliques caustiques qui font mouche et aux musiques si grinçantes et si ironiques, qui savent faire des clins d’œil amusés à d’autres pointures de l’opérette (Messager et Offenbach pour ne citer qu’eux) et offrir une belle place à des envolées plus lyriques, avec même ce petit brin d’émotion bienvenu dans les révélations finales.
Pour faire vivre cette satire universelle, où tout le monde en prend pour son grade – la famille, les médecins, la religion, les conventions d’une société étriquée… –, la mise en scène ne faiblit jamais et sait faire mousser ce qu’il faut d’ingrédients – sans jamais tomber dans la vulgarité – pour qu’enfle poco a poco crescendo cette névrose familiale.
L’orchestre soutient admirablement une distribution homogène d’artistes lyriques aux timbres bien caractérisés, toutes et tous très sollicité.es par un texte foisonnant et qui doivent enchaîner parties parlées et ensembles chantés dans un rythme effréné (dans ce contexte, on ose à peine mentionner quelques lignes vocales féminines qui auraient pu gagner en compréhensibilité).
Mission réussie haut la main donc pour cette résurrection, tant on rit et tant on est diverti par ce spectacle enlevé, drôle, caustique et charmant. À voir absolument (en famille ou pas !).