Le Vol du Boli

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Théâtre du Châtelet – Place du Châtelet, 75001 Paris.
Du 15 avril au 8 mai 2022.
Renseignements et réservations sur le site du Châtelet.

Une odyssée africaine. Créé en octo­bre 2020, Le Vol du Boli est né des mul­ti­ples voy­ages de Damon Albarn en Afrique et de sa ren­con­tre avec le met­teur en scène Abder­rah­mane Sis­sako. Porté par les voix et l’énergie des chanteurs, comé­di­ens, danseurs et musi­ciens africains et européens, ce spec­ta­cle est un hom­mage et un chant d’amour envers le con­ti­nent africain et son histoire.

©Thomas Amouroux

Notre avis : En 1931, d’une mis­sion ethno­graphique qui tra­ver­sait l’Afrique d’ouest en est, l’écrivain Michel Leiris rap­por­ta un Boli, qui se trou­ve aujour­d’hui exposé au musée du quai Bran­ly. Il se sen­tit hon­teux de son acte, car ce qui pou­vait pass­er pour le fait d’un sci­en­tifique épris de curiosité était bel et bien un vol. Et pas seule­ment d’un objet arti­sanal quel­conque. Car le Boli con­cen­tre en lui magie, spir­i­tu­al­ité et pou­voir intergénéra­tionnel. Ce vol, qui sym­bol­ise l’a­gres­sion et le sac­rilège du colonisa­teur et qui pré­cip­ite l’asservisse­ment d’un con­ti­nent africain dépouil­lé de sa force ances­trale, sert de point de départ à cette grande fresque musi­cale et choré­graphique qui, mal­gré la grav­ité du sujet, ne cherche pas à exal­ter la douleur d’une his­toire trag­ique ni à faire le procès de l’homme blanc.

©Thomas Amouroux

Le pil­lage des richess­es naturelles, l’érad­i­ca­tion des croy­ances autochtones, la traite négrière, l’ex­ploita­tion puis l’ex­ter­mi­na­tion des pop­u­la­tions, la réqui­si­tion puis le blanchi­ment des troupes colo­niales : d’un tableau à l’autre, les hor­reurs, les hontes du passé – du présent –, sont rap­pelées. Mais la nar­ra­tion sans arti­fice, le chant pro­fond, les paroles franch­es, les rythmes obsé­dants qui s’ac­célèrent jusqu’à l’ivresse, les mou­ve­ments exaltés, l’én­ergie des corps, la poésie des pro­jec­tions, instal­lent une dis­tance et trans­for­ment les sou­venirs insouten­ables en céré­mo­ni­al péné­trant, en rite libéra­teur. Plutôt que d’op­pos­er, il s’ag­it de sor­tir ensem­ble de l’om­bre, de rassem­bler dans la lumière, de célébr­er l’u­ni­ver­sal­ité et le métissage.

©Thomas Amouroux

Ce pari fou réus­sit parce qu’il est porté par une vision artis­tique intense et une inter­pré­ta­tion fan­tas­tique qui repose sur une admirable vital­ité de groupe. Aus­si faut-il saluer l’ensem­ble de la dis­tri­b­u­tion – comédien.nes, chanteur.ses, musicien.nes. Plus encore, la per­for­mance cor­porelle et choré­graphique de Thier­no Thioune est tout sim­ple­ment stupé­fi­ante tant elle traduit avec vérac­ité la var­iété des sit­u­a­tions endurées par tout un peu­ple. Quant à Fatouma­ta Diawara, elle impose sa présence et sa voix majestueuses. D’avoir inséré, au milieu d’un flot presque inin­ter­rompu d’har­monies et de rythmes typ­ique­ment africains, un chœur d’hommes a cap­pel­la aux sonorités qua­si gré­gori­ennes s’avère aus­si inat­ten­du qu’év­i­dent – preuve, s’il en fal­lait, de la per­méa­bil­ité et de la con­nivence des civilisations.

©Thomas Amouroux

Si le Boli dérobé par Michel Leiris est désor­mais enfer­mé dans la vit­rine d’un musée, ce spec­ta­cle témoigne mag­nifique­ment que son pou­voir con­tin­ue d’a­gir. Aus­si bien sur les créa­teurs de cet « opéra » tran­scul­turel, Damon Albarn et Abder­rah­mane Sis­sako, sans doute guidés par une force qui les tran­scende, que sur le pub­lic, vis­i­ble­ment trans­for­mé par cette odyssée qui nous inter­roge et pro­pose une réponse sen­sée à un prob­lème com­plexe à la fois his­torique et poli­tique. Les saluts fes­tifs remer­ciés par des spec­ta­teurs debout en dis­ent long sur l’ac­cord entre scène et salle, et on n’au­rait pas été éton­né de voir le Châtelet se méta­mor­phoser en piste de danse géante pour pro­longer la communion.

 

©Thomas Amouroux

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