Manon Taris, The music of her night

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Alors qu’elle s’apprête à remonter sur la scène du Her Majesty’s Theatre de Londres, Manon Taris a rencontré Regard en Coulisse. Évoquant Le Fantôme de l’Opéra, Mogador, son départ de Paris, sa nouvelle carrière outre-Manche, elle s’est confiée sans langue de bois.
Entretien exclusif avec la plus frenchie des artistes du West End.

Revenons d’abord à vos débuts. Quel est votre parcours ?
Arrivée à Paris à 18 ans, j’ai inté­gré l’institut Rick Odums, et leur cur­sus Comédie Musi­cale – Per­fom­ing Art. À l’issue de ma pre­mière année, j’ai tout de suite été engagée sur la tournée asi­a­tique du Petit Prince de Richard Coc­ciante et suis par­tie qua­tre mois en Asie. Ce pre­mier con­trat m’a pra­tique­ment tout appris. J’ai ter­miné ma deux­ième année, enchaî­nant avec Les Mis­érables à Lau­sanne en 2009. Dès lors, les con­trats se sont suc­cédé. J’ai ensuite prin­ci­pale­ment tra­vail­lé en province, dans des cabarets, ou au Mar­soul­lan – les prémices de Dou­ble D. En 2012, j’ai été engagée sur Sis­ter Act à Mogador puis ce furent évidem­ment La Belle et la Bête, Le Bal des vam­pires, Jules Verne, et il devait y avoir le Fan­tôme… (Le spec­ta­cle n’a pas vu le jour en rai­son d’un incendie à Mogador, N.D.L.R.)
Mes deux dernières années à Paris, j’étais égale­ment pro­fesseure de tech­nique vocale au Stu­dio inter­na­tion­al Van­i­na Mareschal, à l’EPCM et à l’AICOM.

Votre nom est indé­ni­able­ment asso­cié à Mogador…
Il faut savoir une chose : les mau­vais­es langues dis­ent qu’une fois ren­tré dans cette mai­son, tu peux y rester toute ta vie, c’est totale­ment faux. Pour une rai­son sim­ple : ce n’est jamais la pro­duc­tion française ou Stage France qui sélec­tionne les artistes. À chaque fois, des créat­ifs étrangers vien­nent audi­tion­ner et choisir les rôles. Stage France n’a pas son mot à dire. Ain­si, pour Sis­ter Act, une équipe hol­landaise est venue cast­er, pour La Belle et la Bête, ce furent des Améri­cains, pour le Bal, des Alle­mands, et pour le Fan­tôme, l’équipe de Broad­way. Comme tout le monde, j’ai passé les audi­tions. Et d’ailleurs, je n’ai pas été prise dans Cats, mal­gré ma can­di­da­ture (rires) !

Vous évo­quiez le Fan­tôme, est-ce un sujet tabou ?
Pas du tout. Cela restera une expéri­ence assez incroy­able. Je touchais du doigt le rêve qu’était ce show pour moi. Certes, il y a eu la décep­tion de ne pas obtenir le rôle de Chris­tine et surtout de l’annulation, mais aus­si l’immense cadeau de ren­con­tr­er mon idole absolue : Sier­ra Boggess, dont je devais être la dou­blure. La décou­vrir, la voir tra­vailler fut for­mi­da­ble. Elle est dev­enue, depuis, une de mes amies, qui compte énor­mé­ment pour moi. J’ajoute un immense regret : que la mer­veilleuse adap­ta­tion de Nico­las Engel n’ait pas été dévoilée. C’est ter­ri­ble car elle est sublime.

Et vous êtes par­tie à Londres…
J’ai emmé­nagé il y a deux ans, presque jour pour jour, en juin 2019. Après dix ans à Paris, j’avais besoin d’ouvrir mon champ d’horizon et de me chal­lenger. Pour être heureuse, il me faut de l’adrénaline, de l’extraordinaire dans ma vie ! Je fan­tas­mais l’idée d’avoir tout à prou­ver à nou­veau, et de sauter dans l’inconnu. C’est très facile de se con­forter dans ce qu’on a fait, de se repos­er sur ses acquis. Moi j’ai besoin d’aller de l’avant. Je ne suis pas seule­ment celle qui a joué Belle (rires). Ce qui compte pour moi n’est pas ce que j’ai fait, mais ce qui m’attend.
Lorsque j’ai choisi de par­tir, je n’avais aucune cer­ti­tude sur mon avenir. J’ai pris la déci­sion totale­ment dans le vide. Entre mon préavis et mon départ, la pro­duc­tion de Lon­dres m’a appelée et j’ai obtenu le Fan­tôme. Les planètes s’alignaient, me con­for­t­ant dans mon choix. Je suis arrivée en Angleterre le 20 juin 2019, le Fan­tôme débu­tait le 12 août. Le temps de m’installer, c’était parti !

Sans con­naitre personne ?
Absol­u­ment per­son­ne ! Voilà bien un chal­lenge qui me plai­sait. Je me suis retrou­vée au milieu d’une vaste troupe de 38 per­son­nes, avec la bar­rière de la langue, de la cul­ture… Il y avait des jours dif­fi­ciles ou j’étais un peu per­due, je ne sai­sis­sais pas tou­jours les blagues, j’étais totale­ment décalée, mais petit à petit, j’en ai fait une force. Être dif­férente par ma culture.

Juste­ment, com­ment vous êtes-vous préparée ?
J’avais un anglais très approx­i­matif. Je com­pre­nais la langue – à Mogador, on était sou­vent dirigés en anglais. Mais de là à le par­ler couram­ment et à jouer, c’était autre chose ! Avant de par­tir, j’ai pris des cours inten­sifs avec un coach bri­tan­nique. Le reste s’est fait en étant immergée et en tra­vail­lant avec des profs de dialecte.

Pourquoi vous ont-ils choisie ?
J’imagine que ce qui a fait la dif­férence est, sans doute, ma tech­nique clas­sique. J’ai pris des cours de lyrique toute ma jeunesse, même une fois arrivée à Paris. Lors des audi­tions, j’étais une des seules à arriv­er avec à la fois un back­ground de comédie musi­cale et cette tech­nique clas­sique néces­saire pour le Fan­tôme.

Et le Covid est arrivé… Que s’est-il passé pour vous ?
Nous avons joué de août 2019 jusqu’au 16 mars 2020. Comme en France, tout s’est arrêté brusque­ment pour les raisons que l’on sait. Je me suis retrou­vée clouée chez moi, sans activ­ité, blo­quée à l’étranger et loin de ma famille…
Mais surtout, il s’est passé un épisode incroy­able : en juin 2020, en plein con­fine­ment, la pro­duc­tion a annon­cé la fin du show et a licen­cié tout le monde. Tous corps de métiers con­fon­dus, artistes, cos­tu­miers, tech­ni­ciens… Ça a été ter­ri­ble. Des gens qui œuvraient sur le spec­ta­cle depuis la créa­tion, depuis 34 ans, ont été con­gédiés du jour au lende­main. Cela a provo­qué un tol­lé ici. Mon monde s’est effon­dré. J’avais l’impression de vivre un cauchemar, après l’épisode parisien… Il y avait un côté malé­dic­tion du Fan­tôme. En fait, au-delà des raisons finan­cières, il y avait la volon­té de Cameron Mack­in­tosh de recréer le show avec des éner­gies nou­velles, une nou­velle direc­tion, des change­ments au niveau des décors, une nou­velle dis­tri­b­u­tion… Sur le moment, ça a été un gros coup dur.
En jan­vi­er dernier, il y a eu un nou­veau cast­ing. J’ai ré-audi­tion­né et j’ai été réen­gagée. Mais, des 38 artistes de la troupe précé­dente, nous ne sommes que deux à avoir été repris !

Vous reprenez le même rôle ?
Oui. Je suis dans l’ensemble et je suis deux­ième dou­blure de Car­lot­ta. Cette hiérar­chie est extrême­ment respec­tée, c’est même une règle con­tractuelle. Je ne joue le rôle que si la tit­u­laire et la pre­mière dou­blure sont indisponibles. La grosse dif­fi­culté réside dans le fait que ce n’est que de la dernière minute ! On ne le sait jamais à l’avance. Lors de mon pre­mier con­trat, j’ai inter­prété Car­lot­ta seize représen­ta­tions en trois mois. En l’apprenant quelques heures avant, par­fois l’après-midi même. Encore un autre défi !

Quelles dif­férences voyez-vous entre jouer à Lon­dres et jouer en France ?
La plus grosse dif­férence peut-être, liée évidem­ment à la cul­ture anglo-sax­onne, tient au rythme. Par exem­ple, c’est nor­mal, ici, de faire huit représen­ta­tions par semaine. C’est nor­mal de rester des années, par­fois des décen­nies, sur un même show. Ce qui est totale­ment inimag­in­able en France. Au bout d’un an, les artistes sont con­tents de chang­er, d’aller vers autre chose. On ressent beau­coup moins cette las­si­tude ici.
Par ailleurs, le pub­lic est là. Les Anglais vont aus­si facile­ment au théâtre qu’au ciné­ma. Mal­gré le coût, n’importe quelle famille lon­doni­enne va aller régulière­ment voir une comédie musi­cale. En France, les gens priv­ilégient le fait de par­tir lors des vacances sco­laires. Le bud­get famille n’est pas du tout util­isé de la même manière.

Et sur la façon de travailler ?
On retrou­ve dans les deux pays avan­tages et incon­vénients. Il y a, à Lon­dres, une forte exi­gence de tra­vail per­son­nel. Ain­si, on a eu deux jours pour déchiffr­er tout le spec­ta­cle, et dès le troisième jour, il fal­lait être sans par­ti­tion ; à Paris, on ne sera pas sans livret avant dix ou quinze jours de répéti­tions, quitte à rabâch­er. On va beau­coup plus détri­cot­er en France, on va aller plus en pro­fondeur et partager davan­tage. Cette dif­férence de cul­ture dans la méthodolo­gie de tra­vail m’a beau­coup frappée.

Jouer le Fan­tôme après ce qui s’est passé à Mogador, est-ce une revanche ? Un clin d’œil ?
C’est un plaisir ! L’aboutissement de quelque chose qui n’a pas vu le jour à Paris. Je ressens beau­coup de fierté, mais rien de revan­chard. Si je n’avais pas vécu tout ce que j’ai vécu en France, je ne serais pas capa­ble de faire le Fan­tôme ici. Je suis pleine de recon­nais­sance par rap­port à tout ce que j’ai appris et con­nu à Paris.

Finale­ment, de tout cela, qu’est ce qui a été le plus dif­fi­cile en arrivant ?
J’ai un vrai prob­lème : je me sens con­stam­ment illégitime. Mon gros com­plexe lorsque je suis arrivée est que je voulais, à tout prix, faire oubli­er le fait que j’étais française. J’avais peur qu’on dise que j’avais pris la place d’une Anglaise : « La p’tite Frenchie, elle ferait mieux de ren­tr­er chez elle. » J’ai mis du temps à lâch­er prise. Main­tenant je le revendique ! Je suis très fière. C’est un bon­heur de retrou­ver la scène dans quelques jours. D’autant que mon mari (le pianiste Antoine Mérand, N.D.L.R.) va tra­vailler avec moi sur le Fan­tôme, comme musi­cien et dou­blure chef d’orchestre.
Je prof­ite avant de nou­velles aven­tures. Elles seront peut-être français­es, je compte bien rejouer en France un jour, vous me manquez !

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