Molière est un spectacle musical d’un nouveau genre qui réunit sur scène des chanteurs, slammeurs, rappeurs, danseurs, comédiens et musiciens dans des décors et costumes du XVIIe siècle. Le spectacle raconte l’histoire d’un homme qui renonce au confort matériel et au prestige de la charge de Tapissier du Roi pour créer aux côtés de la femme qu’il aime une troupe de théâtre. Mais la route du succès sera très longue et les obstacles seront nombreux. Molière va devenir un auteur libre qui va révolutionner l’écriture de la comédie. Il paiera très cher sa liberté en affrontant l’hypocrisie de la société, l’adversité de ses concurrents et la haine des dévots.
Voir notre compte-rendu du showcase du 19 juin 2023.
Notre avis : On dit souvent que les spectacles musicaux réussis doivent l’enthousiasme qu’ils suscitent à leur livret. Avec Molière – dont on ne sait plus s’il faut le sous-titrer « opéra urbain » ou « spectacle musical », peu importe d’ailleurs –, dans la lignée des Dix Commandements, du Roi Soleil ou autre Mozart, c’est surtout l’énergie qui émane de la scène qui convainc, plus que l’histoire de Jean-Baptiste Poquelin et de ses contemporains, prétexte assez lâche à des sentiments universels insuffisamment approfondis pour qu’on s’y laisse prendre. Devant un livret si peu élaboré et servi par une direction d’acteurs qui verse dans l’outrance, la tentation est grande de partir à l’entracte. Cela dit, si la première partie s’évertue à empiler les personnages, les rencontres et les dates sans véritablement installer de tonalité prégnante ni construire une trame autre que chronologique, la seconde s’intéresse de plus près au Molière devenu dramaturge et au renouveau littéraire qu’il incarne, et prend un peu de recul pour laisser place à une certaine folie, celle du frère de Louis XIV, et à l’émotion – jolie trouvaille que cette fille du vestiaire qui vient annoncer les décès successifs. Annoncé comme une nouveauté stylistique, le slam s’invite dans les dialogues – une des motivations de Dove Attia, qui lui vient du Hamilton de Lin-Manuel Miranda, pour revenir à l’écriture et qui avait engendré l’appellation « opéra urbain », par la suite abandonnée pour ne pas s’aliéner un public fidèle mais finalement trop conservateur –, ce qui permet aux personnages de parler en rimes, mais pas non plus de quoi révolutionner le genre, surtout qu’il reste quelques dialogues vraiment parlés et que le choix du vocabulaire semble parfois étrange plus que volontairement anachronique ou gaguesque (« Conti est un fripon », « boloss »)… Comme on l’aura compris, l’important est ailleurs : d’incroyables talents vocaux ; des solistes physiquement engagé·es – un PETiTOM stupéfiant, une Shaïna Pronzola au jeu à la fois animal et sensible, un David Alexis protéiforme comme on l’aime : tantôt père inflexible, tantôt fashionista foldingue – ; des chorégraphies vigoureuses signées Romain Rachline Borgeaud exécutées avec brio par une troupe pleine de fougue ; une magnifique scénographie qui en met plein les mirettes ; de superbes costumes ; et des chansons entêtantes dont Dove Attia a le secret depuis plusieurs décennies – et qu’on a le droit de trouver aussi peu originales ou captivantes que celles de ses précédentes créations. Un spectacle destiné à un large public donc – même si près de trois heures, entracte compris, ça reste un peu long pour les plus jeunes –, artistiquement et techniquement réussi, qui ravira les aficionados du genre et laissera les autres au bord du chemin, ou les fera fuir – l’avenir dira s’il y a matière à une nouvelle Querelle des Anciens et des Modernes…
Dove Attia était l’invité de la « 42e Rue » de Laurent Valière dimanche 18 novembre. À réécouter ici.