Montmartre, la Belle Époque. Christian, un jeune compositeur fraîchement débarqué d’Angleterre se lie d’amitié avec deux compères, Toulouse-Lautrec et Santiago. Le trio a pour objectif de produire un spectacle au Moulin Rouge. Lors de leur première visite au célèbre établissement, Christian s’éprend de Satine, la vedette de la revue, mais aussi courtisane et dernière arme pour sauver le cabaret en faillite. Un duc fortuné décide d’investir pour sauver le lieu et convoite l’exclusivité de l’affection et des faveurs de Satine. Ce triangle amoureux se fait de plus en plus complexe alors que Satine, atteinte de la tuberculose, devient de plus en plus faible.
Notre avis : Quel comble d’aller jusqu’à Broadway pour y retrouver notre Moulin Rouge national ! Il est d’autant plus curieux pour un spectateur français d’assister à cette pièce qu’elle met en scène une interprétation de l’idéal bohème du XIXe siècle en plein cœur de Paris. La rédaction s’est donc plongée dans ce spectacle en relevant quelques clichés. On remarque, par exemple, beaucoup de cigarettes sur scène : eh oui, de l’autre côté de l’Atlantique, les Français ont la mauvaise réputation de fumer comme des pompiers ! Il faudra aussi bien tendre l’oreille pour parvenir à décoder « Montmartre » ou « Sacré-Cœur », quelque peu écorchés par les divers accents des comédiens.
Mais revenons au point de départ. Dès l’entrée, le public est instantanément baigné dans l’atmosphère langoureuse et feutrée d’une salle de cabaret. La scène, décorée sur son côté d’un comptoir de bar, est augmentée de passerelles. Les loges de la mezzanine sont ornées d’un éléphant géant et du fameux Moulin. Le tout est surplombé de guirlandes lumineuses tamisées et de drapés rouges. Les danseurs et comédiens déambulent au bord de la scène avec une attitude lascive sur une musique lente alors que le public pénètre dans la salle. Bref, tous les ingrédients sont réunis pour une immersion réussie dès les premiers instants ! On retrouve même, aux premiers rangs, des petites tables adjointes aux chaises rouges et dorées typiques de notre cabaret, qui donnent la réelle impression de s’y retrouver le temps d’une soirée.
Le spectacle commence par un numéro pour le moins haut en couleur : l’ouverture du cabaret lancée par un « Lady Marmalade » enflammé, interprété par quatre comédiennes talentueuses. Le public est immédiatement pris dans l’énergie, et on ne lui laisse pas le temps de digérer que s’enchaînent déjà divers groupes de danseurs sur d’autres chorégraphies et chansons, dans d’autres costumes… La mise en scène est très dynamique, peut-être même trop ! On ressent vite un trop plein de lumières, de confettis et de can-can. Il y en a tellement que cela perd de son efficacité et que l’on ne sait plus très bien où, qui ni quoi regarder. Le premier numéro prometteur a donc finalement un effet de fourre-tout un peu trop éblouissant. Rassurez-vous : le spectacle est ensuite mieux dosé. Mais l’ensemble est à l’image de ce premier numéro : beaucoup d’effets, de chansons et de paillettes, qui ne fonctionnent pas vraiment plus loin qu’un divertissement. Un divertissement néanmoins de grande qualité.
Ce show à l’intérieur du spectacle est orchestré par le propriétaire du Moulin Rouge, Monsieur Zidler, joué par Eric Anderson, qui campe un parfait maître de cérémonie qui n’est pas sans rappeler celui du film. Mais c’est l’histoire de Christian, joué par la grande vedette Aaron Tveit, que l’on raconte, et plus précisément sa rencontre et sa relation avec Satine, contrainte par un investisseur un peu trop possessif.
Durant les deux heures et demie que dure le spectacle, le public peut entendre d’innombrables reprises de hits les plus populaires – beaucoup plus que dans le film – et l’on imagine les démarches pharaoniques, le nombre de rendez-vous, de négociations et le temps passé à rassembler tous les droits d’auteurs. Tout cela pour un résultat un peu trop morcelé qui ressemble à une simple juxtaposition de mélodies, un patchwork mal cousu – le défaut de nombreux jukebox musicals. Les extraits sont souvent trop courts, rendant difficile la tâche de créer une partition instrumentale unifiée et efficace, puisque l’orchestre doit jongler entre quelques phrases seulement. L’ensemble n’est donc malheureusement pas toujours très heureux et transforme les dialogues en medleys peu organiques voire pas naturels. On note quand même l’effort de toujours reprendre les chansons dans des styles et des interprétations très différentes des versions originales. Mais on déplore l’usage d’effets de micro et d’amplification trop contemporains pour les voix et, surtout, le fait que l’orchestre ne soit pas visible, relégué sous la scène.
Le choix des chansons ajoutées a souvent un but comique puisque la sélection de reprises est piochée dans des styles très contemporains (rap, R’n’B…), ce qui crée un décalage avec l’époque dans laquelle se situe le récit. Le public est réceptif et s’esclaffe, mais cela a aussi pour effet d’ôter une bonne part de crédibilité à l’intrigue et de la rendre presque dérisoire.
C’est d’ailleurs l’effet global du spectacle. Même si l’équipe créative réussit bien à retransmettre l’univers délirant, maniériste et farfelu du film, son adaptation scénique ne rend pas hommage à sa subtilité. La magnifique histoire d’amour qui nous séduit au cinéma devient une romance plus quelconque, voire niaise. La pièce tend à verser dans les bons sentiments et le jeu des comédiens renforce ce côté très « musical theatery » – en particulier les mimiques et gestuelles d’Aaron Tveit. Satine était, pour cette représentation, interprétée par la standby Ashley Loren, chanteuse exceptionnelle, mais qui reste un peu en dessous s’agissant de la danse – cela se remarque d’autant plus que l’ensemble est excellent. Dommage pour un personnage de vedette de cabaret, mais elle tient tout de même très bien le rôle ! Le choix de faire incarner Toulouse-Lautrec par un comédien noir, Sahr Ngaujah, est très intéressant, et ses répliques de rébellion contre le Duke, comme « Je n’appartiens à personne », résonnent tout autrement.
Nous venons juste de l’évoquer, mais il mérite plus d’attention : l’ensemble d’environ vingt artistes est extraordinaire et porte réellement ce spectacle par son énergie, sa technique et son interprétation. Il faut aussi souligner les superbes chorégraphies très techniques de Sonya Tayeh, ainsi que les costumes géniaux de Catherine Zuber qui mettent en avant les corps des danseurs et nous laissent admirer leurs lignes parfaites.
Enfin, vous avez sans doute aperçu de nombreuses photos du décor emblématique composé d’un cœur rouge se décuplant en profondeur, mais vous n’êtes pas au bout de vos surprises ! Un adage qui pourrait définir cette scénographie : « Quand y en a plus, y en a encore ! ». Et c’est à se demander où sont stockés tous ces décors, ou bien par quels mécanismes ils défilent – ce qu’ils font avec de nombreux clins d’œil au film amusants à débusquer.
Finalement, ce n’est sans doute pas la subtilité ou la nuance que retiendra le spectateur de Moulin Rouge! The Musical, mais l’énergie, l’extravagance, les prouesses techniques, qui invitent à se laisser embarquer corps et âme dans un show comme seul Broadway est capable d’en produire.
Voir aussi notre avis paru en octobre 2019.