D’un Moulin Rouge à l’autre

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Une présentation de Carmen Pavlovic, Gerry Ryan, Global Creatures, Bill Damaschke, Aaron Lustbader, Hunter Arnold, Darren Bagert, Erica Lynn Schwartz/Matt Picheny/Stephanie Rosenberg, Adam Blanshay Productions/Nicholas & Chalres Talar, Iris Smith, Aleri Entertainment, CJ ENM, Sophie Qi/Harmonia Holdings, Baz & Co., AF Creative Media/International Theatre Fund, Endeavor Content, Tom & Pam Faludy, Gilad-Rogowsky/Instone Productions, John Gore Organization, Mehr-BB Entertainment, Spencer Ross, Nederlander Presentations/IPN, Eric Falkenstein/Suzanne Grant, Jennifer Fischer, Peter May/Sandy Robertson, Triptyk Studios, Carl Daikeler/Sandi Moran, DeSantis-Baugh Productions, Red Mountain Theatre Company/42nd Club, Candy Spelling/Tulchin Bartner, Roy Furman, Jujamcyn Theaters, avec l’aimable autorisation de Buena Vista Theatrical.

Al Hirschfeld Theatre, New York.

Notre avis : Depuis sa créa­tion en 1889, il y a 130 ans, le Moulin Rouge a été célébré de mul­ti­ples façons par les artistes du monde entier. Certes, Toulouse-Lautrec a cer­taine­ment fait sa gloire dans ses débuts, mais rap­pelons pour mémoire le film du même nom réal­isé en 1952 à Hol­ly­wood qui allait nous don­ner « The Song from Moulin Rouge », écrite par Georges Auric, un tube dans l’interprétation qu’en fit Per­cy Faith et son orchestre ; ou encore French Can­can, mis en scène par Jean Renoir en 1954, avec un générique auquel fig­u­raient Jean Gabin et Françoise Arnoul. Et puisqu’il faut bien quand même en par­ler, n’oublions pas non plus le film musi­cal réal­isé en 2001 par Baz Luhrmann avec Nicole Kid­man, Erwan McGre­gor et John Leguizamo en têtes d’affiche, et dont la sin­gu­lar­ité se trou­vait dans le fait que les chan­sons util­isées étaient toutes des airs à suc­cès écrits dans les vingt ou trente dernières années.

C’est ce même Baz Luhrmann qui est à l’origine de la comédie musi­cale qui a débuté à Broad­way le 25 juil­let 2019. À peu de choses près, cette ver­sion scénique, écrite par John Logan, ne dif­fère guère du sujet du film. L’action se passe en 1899 ; Chris­t­ian, un jeune Améri­cain, com­pos­i­teur de chan­sons pop­u­laires, de pas­sage à Paris, s’éprend de Satine, vedette de la revue du Moulin Rouge, qui est cour­tisée par le duc de Mon­roth, lequel va inve­stir, à l’instigation d’Harold Zidler, ani­ma­teur et pro­prié­taire des lieux, dans le cabaret qui affiche un déficit. Atteinte de la tuber­cu­lose, Satine mour­ra dans les bras de Chris­t­ian, le tout sur un fond musi­cal qui con­tient pas moins de 70 chan­sons ou extraits de chan­sons, dont cer­taines sont de date récente, puisqu’elles ont été écrites depuis la sor­tie du film qui a inspiré cette créa­tion scénique.

Du point de vue pure­ment théâ­tral, ce que l’on retient de cette présen­ta­tion, ce sont surtout les décors et les cos­tumes spec­tac­u­laires, rouges bien sûr pour la plu­part, cha­toy­ants et lumineux, qui évo­quent la richesse et la beauté des revues présen­tées par l’original lui-même. Dès l’entrée, on est séduit par la musique élec­tron­ique qui emplit le théâtre alors que des acteurs et danseurs agiles et habil­lés en cos­tume d’époque cir­cu­lent lente­ment dans la salle et sur la scène, et pren­nent des pos­es pour créer une ambiance visuelle qui met, si l’on peut dire, les spec­ta­teurs dans le bain avant même que le rideau se lève.

Le pre­mier numéro, une ver­sion embal­lée de « Lady Marme­lade », la chan­son fétiche de Pat­ti Labelle, inter­prétée ici par qua­tre chanteuses pleines de tal­ent, Robyn Hur­der, Jacque­line B. Arnold, Hol­ly James et Jeigh Mad­jus, donne lieu à un can­can endi­a­blé qui sonne comme un coup de ton­nerre. Mal­heureuse­ment, le reste n’est guère à l’avenant. L’histoire de Satine et de Chris­t­ian ne résonne pas avec le même éclat, même si l’actrice Karen Oli­vo, qui avait rem­porté un Tony Award pour sa presta­tion dans une récente reprise de West Side Sto­ry, et Aaron Tveit, qui lui donne la réplique, sont tous les deux d’excellents acteurs. Cela est surtout dû au fait que le livret en général manque d’allant, et que cette amourette con­trar­iée est tout au plus banale et ne cap­tive vrai­ment pas.

Dans leurs rôles sec­ondaires, Dan­ny Burstein sous les traits de Zidler, et Tam Mutu sous ceux du Duc sans scrupules qui s’imagine séduire Satine grâce à l’argent qu’il va dépenser pour elle, sont par­faite­ment à l’aise, le pre­mier notam­ment dans un rôle qui n’est pas sans évo­quer celui du Maître de céré­monie dans Cabaret.

Mais que dire des amis de Chris­t­ian, deux vagabonds des rues qui sem­blent là pour la galerie, l’un nom­mé San­ti­a­go, l’autre… Toulouse-Lautrec, joués respec­tive­ment par Ricky Rojas et Sahr Ngau­jah, lequel s’octroie une ver­sion superbe de la chan­son « Nature Boy », bien con­nue pour l’interprétation qu’en don­na Nat King Cole ?

Fort heureuse­ment, il y a les chan­sons qui impliquent le reste de la dis­tri­b­u­tion, laque­lle con­siste en des danseurs pleins de zèle sous l’égide de la choré­graphe Sonya Tayeh — nou­velle venue à Broad­way et évidem­ment influ­encée par Bob Fos­se —, dont un autre moment spec­tac­u­laire, créé à par­tir de « Bad Romance » de Lady Gaga et de « Tox­ic » de Brit­ney Spears, est l’un des morceaux de choix du deux­ième acte.

Il est cer­tain que la pièce, qui a reçu des cri­tiques pos­i­tives, tien­dra l’affiche pen­dant quelques années. Elle le mérite grâce aux élé­ments visuels qui frap­pent l’esprit et mon­trent bien que les quelque 28 mil­lions de dol­lars investis dans cette pro­duc­tion ont été util­isés judi­cieuse­ment pour séduire les spec­ta­teurs. Mais quel dom­mage que l’histoire elle-même n’ait pas été plus étof­fée et ren­due plus théâ­trale ! Au lieu d’être un souf­flé quel­conque, Moulin Rouge! aurait pu être une comédie musi­cale superla­tive dont le suc­cès aurait pu être cité avec admi­ra­tion pen­dant des décen­nies, comme par exem­ple Fol­lies de Stephen Sond­heim, qui pre­nait comme toile de fond les revues à grand spec­ta­cle de Flo Ziegfeld.

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