Épuisées, vannées, kaput, H.S., sans nerfs, voilà où en sont les cinq protagonistes, cinq femmes, en ouverture de ce drôle de cabaret. Sous la houlette de Ludmilla Dabo, que les paillettes et le strass ne vous y trompent pas, il ne sera question que de fatigue, que chacune des interprètes célébrera en chansons et en musique au carrefour de diverses langues. Dans nos vies modernes et trépidantes, cela demande de l’énergie de devenir soi-même et de bien se porter, la fatigue nous colle à la peau, mais on ne lui rend pas toujours justice. Et pourtant, quoi de mieux qu’une saine oisiveté pour reprendre haleine et respirer pleinement ? La fatigue ne serait pas uniquement synonyme de défaillance. Ne parle-t-on pas aussi de « bonne fatigue » ? Dans cette odyssée musico-théâtrale, l’horizon de ces héroïnes pourrait être la reconquête de leurs espaces intimes de liberté. Un éloge du vide, une rêverie dansée évoquant le butô. Une ode à la lenteur du mouvement et à la suspension. Un titre en forme de double hommage à Peter Gabriel et à Arcade Fire pour un cabaret libératoire : Et si on ouvrait la porte de nos cages ?
Notre avis : « Je suis fatigué. » Bonne nouvelle ! Vous n’avez pas besoin d’être en pleine forme ou regorgeant d’énergie pour venir assister à ce cabaret burlesque, déjanté et décalé, car le plateau en déborde. Dans ce cabaret, le sujet principal, c’est la fatigue, l’épuisement. Cet état physiologique qui fait suite à un effort, à un travail physique ou intellectuel intense, et qui se traduit par une difficulté à continuer l’action que l’on est en train de faire. Cela peut aussi être un état de lassitude, un endommagement provoqué par la répétition. Entre concert, cabaret et théâtre, on assiste à des tableaux où les comédiennes s’épuisent littéralement sur le plateau et à une réflexion sur l’état de fatigue.
Si au début la comédienne et metteure en scène du spectacle, Ludmilla Dabo (Une femme se déplace, Portrait de Ludmilla en Nina Simone) prend un peu plus de place que les autres personnages, c’est uniquement pour planter le décor et exposer au spectateur le thème du show. En meneuse de revue, elle fait une ouverture majestueuse sur des « chapeaux de roues ». Elle interagit avec le public et réagit avec justesse à ce qu’il lui renvoie. Dans une logorrhée verbale intense et incroyablement rythmée, la comédienne épuise son corps et, par ricochet, l’esprit du spectateur. Sous le flux d’informations, il est difficile de tout entendre et de tout comprendre… Mais est-ce si grave ?
L’exposition ainsi faite, elle sait se faire oublier pour laisser vivre et exister chacune des autres comédiennes. Entre la petite nerveuse, la douce excentrique et la diva prestigieuse, chacune s’épuise à sa manière. Les corps se tendent et se distendent dans des mouvements singuliers, qui, une fois rassemblés, donnent vie à un unique tourbillon continuant d’essouffler le spectateur.
Les lumières constituent un atout indéniable de ce spectacle. Avec une scène presque vide, les espaces existent. Les univers colorés transportent le spectateur. Des tableaux ressortent du lot. Celui d’une danse macabre sur une chaise, où chacune répète en boucle son mouvement, au point de se déformer, de s’écrouler ; celui d’un burn-out violent ; celui d’un effeuillage doux et étrangement reposant ; celui d’un chant traditionnel à vous donner des frissons…
Émotions et rires, hurlements puis silences, chansons ou théâtre, autant de changements qui rendent ce spectacle épuisant pour les comédiennes. On en ressort chamboulé, bousculé, fatigué, mais c’est une expérience qu’il faut vivre plus qu’on ne peut raconter.