Pauline Dupuy fait chanter sa contrebasse

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À l’affiche du Théâtre de Passy depuis le 11 septembre avec son complice inspiré, l’auteur-compositeur et instrumentiste anglais Michael Wookey, Pauline Dupuy connaît le succès avec son spectacle Contrebrassens, « concept musical » qu’elle prend le soin d’expliciter sur scène après quelques chansons : une contrebasse, des chansons de Brassens sur l’amour et sur les femmes chantées par une femme.

À la faveur d’un bouche à oreille enthousiaste, le spectacle joue les prolongation. A partir du 16 octobre, retrouvez Contrebrassens tous les lundis à 19h jusqu'au 18 décembre.

Rencontre avec une nouvelle interprète féminine de Brassens, par ailleurs « nouvelle chanteuse aux pieds nus ».

Au regard de votre par­cours, com­ment vous définir ? musi­ci­enne (con­tre­bassiste), chanteuse, performeuse ?
Tout à la fois ! Oui, chanteuse, il sem­blerait que je chante… Pour faire court sur mon par­cours, j’ai une for­ma­tion de musique clas­sique ; c’est quand même la base. En revanche, je n’ai pas de for­ma­tion de chanteuse, mais sachant que ça m’intéressait depuis tou­jours et que j’étais quand même au con­ser­va­toire, avec la chorale, j’avais essayé d’emmagasiner tout de ce que je pou­vais, dis­crète­ment, mine de rien, parce que je pense que c’était tout de même un rêve que j’avais au fond de moi. Mais c’est avec ce spec­ta­cle que je suis venue au chant et que je suis dev­enue une chanteuse à part entière.

Ques­tion à la musi­ci­enne : pourquoi le choix de la contrebasse ?
J’ai choisi cet instru­ment parce que ce qui me plaît, c’est de pou­voir accom­pa­g­n­er des tas de gens, jouer dans plein de styles et me met­tre au ser­vice de per­son­nal­ités. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai ren­con­tré Michael, en l’accompagnant sur sa musique, de la pop anglaise qui n’a pré­cisé­ment rien à voir avec Brassens… Par ailleurs, par­mi les choses qui me plaisent dans cet instru­ment, il y a le rap­port très physique : ça demande un peu de force, de l’engagement, de l’engagement cor­porel je veux dire. On ne peut pas jouer de la con­tre­basse du bout du doigt ! Ce matin, telle que je vous par­le, j’ai mal partout !

Est-ce dif­fi­cile de chanter en jouant de la contrebasse ?
Ça l’est, c’est sûr ! Il y a des dif­fi­cultés qui sont inhérentes au grand écart entre ma voix et la con­tre­basse. Pour la justesse, la dif­fi­culté provient du fait que l’on a peu de points de repère. Et il est dif­fi­cile de con­duire le texte et son sens, son inten­tion, en par­al­lèle de la musique.

Com­ment la musi­ci­enne con­tre­bassiste a‑t-elle décou­vert Brassens ?
À l’époque où je fai­sais encore de la musique clas­sique, j’étais dans une rési­dence de musique con­tem­po­raine, quelque chose de très com­pliqué et de très sérieux… Le soir, le chef d’orchestre, un des com­pos­i­teurs et un musi­cien, qui étaient des fans abso­lus de Georges Brassens et con­nais­saient toute son œuvre – ce qui n’était pas du tout mon cas –, sor­taient la gui­tare et chan­taient ses chan­sons, que, pour cer­taines, je n’avais jamais enten­dues. C’est ain­si que j’ai décou­vert cette œuvre, j’en ai décou­vert la poésie. J’aime l’érudition des textes de Brassens, tou­jours cachée der­rière une cer­taine sim­plic­ité. Il y a tou­jours une acces­si­bil­ité dans ses chan­sons, une manière de con­stru­ire des his­toires qui peu­vent être très sim­ples avec der­rière des choses très pro­fondes, aus­si bien du point de vue cul­turel que poli­tique et social. C’est tou­jours très fin : j’ai l’impression qu’il n’y a jamais de points de vue tranchés ; il peut y en avoir, mais ils sont tou­jours nuancés, cela me plaît énor­mé­ment. C’est vrai­ment une ren­con­tre ; j’ai eu l’impression qu’il me don­nait une voix en quelque sorte : si j’avais quelque chose à dire, je dirais une chan­son de Brassens qui est par­faite­ment bien écrite et bien pensée.

J’avais enten­du dire que Brassens était misog­y­ne et je trou­vais cela très éton­nant car, d’après le peu que je con­nais­sais, je ne trou­vais pas cela dans ses textes. Ce qui est éton­nant, c’est que main­tenant cela se décale com­pléte­ment ; on décou­vre qu’il est extrême­ment mod­erne et c’est très drôle de repren­dre ses chan­sons aujourd’hui et de leur don­ner un tout autre sens, parce que les mœurs ont évolué, parce que l’on n’est plus dans le même con­texte et que, par con­séquent, en tout cas pour moi, la misog­y­nie dans ses textes, on ne l’entend pas. Il a une vision très mod­erne du rap­port hommes-femmes, en tout cas dans sa poésie.

Com­ment le spec­ta­cle Con­tre­brassens a‑t-il vu le jour ?
Il y a eu ces ren­con­tres à la rési­dence de musique con­tem­po­raine. Et lorsque je suis ren­trée chez moi, j’ai eu envie d’en savoir plus. J’ai alors com­mencé à lire les chan­sons et à les chanter moi-même, puis j’ai fait un ou deux arrange­ments. En fait, je me suis amusée à faire des arrange­ments qui, juste­ment, sor­taient com­plète­ment de ce dont on avait l’habitude, par rap­port aux rythmes, par rap­port à plein de choses… De fait, les prémices du spec­ta­cle remon­tent à près de quinze ans. J’ai vrai­ment com­mencé à tra­vailler sur les chan­sons en 2008. Les débuts en solo à la con­tre­basse représen­taient un défi énorme ; c’est telle­ment tech­nique au début de chanter et de jouer en même temps. Quand j’ai don­né le pre­mier con­cert, à côté de Saint-Éti­enne, je me suis dit : OK je l’ai fait, c’est super, mais je ne le referai plus !

Le spec­ta­cle a donc évolué par la suite : le solo a muté en duo, puis en quartette…
Oui, d’abord Michael est arrivé en 2014 à l’oc­ca­sion du pre­mier petit disque qu’on a fait. Puis, sur scène, on a vrai­ment fait notre pre­mière tournée en 2017. Pour la for­ma­tion en quar­tette, les deux cuiv­res jazz, Franck Boy­ron et Aurélien Joly, étaient déjà là en 2014 pour le pre­mier album, mais pas en con­cert. Là aus­si, c’est venu après, et c’est depuis le dernier album (2019) que l’on tourne vrai­ment à qua­tre. Cela fai­sait plusieurs années que j’avais vrai­ment envie de cette couleur un peu plus claire qu’ils amè­nent tous les deux de par l’écriture musi­cale et qui passe aus­si par le jeu, l’amusement qu’il y a entre nous et l’intensité que cela apporte aus­si au niveau de la musique.

Pauline Dupuy et Michael Wookey ©Jerôme Munoz

Pourquoi ne jouez-vous pas à qua­tre au Théâtre de Passy ?
Pour des raisons tech­niques. La salle est un peu petite, la dis­tance entre les pre­miers fau­teuils et le plateau n’est pas assez grande pour les cuiv­res : avec ces instru­ments qui imposent un cer­tain niveau sonore, nous sommes tous oblig­és de mon­ter en puis­sance pour attein­dre un équili­bre, ce qui nous fait per­dre un peu d’intimité et n’est pas vrai­ment adap­té à ce théâtre.

Depuis 2017, votre activ­ité n’est-elle con­sacrée qu’à Con­tre­brassens ou y a‑t-il d’autres choses à côté ?
Depuis 2017, année du pre­mier album, c’est devenu mon spec­ta­cle majori­taire. Dis­ons que c’est le spec­ta­cle pour lequel je tra­vaille le plus. À côté, je con­tin­ue de col­la­bor­er avec d’autres artistes car c’est absol­u­ment néces­saire pour me nour­rir, pour me renou­vel­er, pour me con­fron­ter… donc on nav­igue au gré des tournées des albums.

Et l’après-Con­tre­brassens ?
Il n’y a pas d’après-Con­tre­brassens ! C’est un pro­jet qui va me suiv­re pen­dant très, très longtemps. Je gran­dis et me con­stru­is avec ce pro­jet, j’évolue avec lui. Alors, je con­tin­uerai à chanter, c’est sûr. Je suis chanteuse, con­tre­bassiste, prête à répon­dre à tout autre pro­jet que l’on pour­rait me pro­pos­er, et qui m’intéresse bien sûr. Je serais très con­tente de faire d’autres choses, mais je ne porterai pas d’autres pro­jets comme je porte celui-ci. Con­tre­brassens est une aven­ture très spé­ciale, qui a eu une magie tout de suite, dès que j’ai com­mencé à jouer Brassens à la con­tre­basse : c’est très spé­cial, très pré­cieux, cela arrive rarement dans une car­rière. Nous con­tin­uerons à faire évoluer Con­tre­brassens, il n’y a pas de date de fin !

Ques­tion à la chanteuse : d’autres auteurs com­pos­i­teur que Brassens qui pour­raient-ils vous inspirer ?
C’est vrai que, par­fois, il y a des envies, mais je serais con­tente que l’on me pro­pose un pro­jet. Ce qui me plaît dans le fait d’être inter­prète, c’est un regard, un point de vue. Par exem­ple, hier, quelqu’un me dis­ait « vous pour­riez chanter Bar­bara », mais ma voix est très proche de la sienne, qu’est-ce que je vais apporter ? ou plus exacte­ment est-ce que je vais per­me­t­tre à l’auditeur d’entendre autre chose ? Du fait de cette sim­i­lar­ité de voix, du moins dans la tes­si­ture, cela n’a pas telle­ment d’intérêt de me com­par­er avec Bar­bara, pour dire que je vais ten­ter de faire aus­si bien qu’elle. Mais des clas­siques anglo-sax­ons ? oui, tout à fait. Le réper­toire jazz clas­sique aus­si, c’est intéres­sant. Par­mi les gens aux­quels j’ai le plus pen­sé, il y a Boris Vian, Félix Leclerc… J’aimerais aus­si com­pos­er pour qui me don­nerait des textes, voire inter­préter des œuvres orig­i­nales. Écrire moi-même des textes, je l’ai fait, mais très peu et c’est pour moi…

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1 COMMENTAIRE

  1. Madame;
    Nous somme aujour­d’hui le 03.0302024. J’ai écouté un pas­sage de votre ver­sion  » La princesse et le croque notes  » . Je suis allé sur YouTube pour écouter la ver­sion inté­grale, que j’ai écouté plusieurs fois de suite, avec fris­sons à chaque fois . Vous avez joué à Ivry , vous con­nais­sez donc bien-sûr le tra­vaille d’Al­lain Lep­reste. Je pense que votre tal­ent et sa poésie seraient une bonne rencontre.
    Bra­vo, merci.

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