Au regard de votre parcours, comment vous définir ? musicienne (contrebassiste), chanteuse, performeuse ?
Tout à la fois ! Oui, chanteuse, il semblerait que je chante… Pour faire court sur mon parcours, j’ai une formation de musique classique ; c’est quand même la base. En revanche, je n’ai pas de formation de chanteuse, mais sachant que ça m’intéressait depuis toujours et que j’étais quand même au conservatoire, avec la chorale, j’avais essayé d’emmagasiner tout de ce que je pouvais, discrètement, mine de rien, parce que je pense que c’était tout de même un rêve que j’avais au fond de moi. Mais c’est avec ce spectacle que je suis venue au chant et que je suis devenue une chanteuse à part entière.
Question à la musicienne : pourquoi le choix de la contrebasse ?
J’ai choisi cet instrument parce que ce qui me plaît, c’est de pouvoir accompagner des tas de gens, jouer dans plein de styles et me mettre au service de personnalités. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai rencontré Michael, en l’accompagnant sur sa musique, de la pop anglaise qui n’a précisément rien à voir avec Brassens… Par ailleurs, parmi les choses qui me plaisent dans cet instrument, il y a le rapport très physique : ça demande un peu de force, de l’engagement, de l’engagement corporel je veux dire. On ne peut pas jouer de la contrebasse du bout du doigt ! Ce matin, telle que je vous parle, j’ai mal partout !
Est-ce difficile de chanter en jouant de la contrebasse ?
Ça l’est, c’est sûr ! Il y a des difficultés qui sont inhérentes au grand écart entre ma voix et la contrebasse. Pour la justesse, la difficulté provient du fait que l’on a peu de points de repère. Et il est difficile de conduire le texte et son sens, son intention, en parallèle de la musique.
Comment la musicienne contrebassiste a‑t-elle découvert Brassens ?
À l’époque où je faisais encore de la musique classique, j’étais dans une résidence de musique contemporaine, quelque chose de très compliqué et de très sérieux… Le soir, le chef d’orchestre, un des compositeurs et un musicien, qui étaient des fans absolus de Georges Brassens et connaissaient toute son œuvre – ce qui n’était pas du tout mon cas –, sortaient la guitare et chantaient ses chansons, que, pour certaines, je n’avais jamais entendues. C’est ainsi que j’ai découvert cette œuvre, j’en ai découvert la poésie. J’aime l’érudition des textes de Brassens, toujours cachée derrière une certaine simplicité. Il y a toujours une accessibilité dans ses chansons, une manière de construire des histoires qui peuvent être très simples avec derrière des choses très profondes, aussi bien du point de vue culturel que politique et social. C’est toujours très fin : j’ai l’impression qu’il n’y a jamais de points de vue tranchés ; il peut y en avoir, mais ils sont toujours nuancés, cela me plaît énormément. C’est vraiment une rencontre ; j’ai eu l’impression qu’il me donnait une voix en quelque sorte : si j’avais quelque chose à dire, je dirais une chanson de Brassens qui est parfaitement bien écrite et bien pensée.
J’avais entendu dire que Brassens était misogyne et je trouvais cela très étonnant car, d’après le peu que je connaissais, je ne trouvais pas cela dans ses textes. Ce qui est étonnant, c’est que maintenant cela se décale complétement ; on découvre qu’il est extrêmement moderne et c’est très drôle de reprendre ses chansons aujourd’hui et de leur donner un tout autre sens, parce que les mœurs ont évolué, parce que l’on n’est plus dans le même contexte et que, par conséquent, en tout cas pour moi, la misogynie dans ses textes, on ne l’entend pas. Il a une vision très moderne du rapport hommes-femmes, en tout cas dans sa poésie.
Comment le spectacle Contrebrassens a‑t-il vu le jour ?
Il y a eu ces rencontres à la résidence de musique contemporaine. Et lorsque je suis rentrée chez moi, j’ai eu envie d’en savoir plus. J’ai alors commencé à lire les chansons et à les chanter moi-même, puis j’ai fait un ou deux arrangements. En fait, je me suis amusée à faire des arrangements qui, justement, sortaient complètement de ce dont on avait l’habitude, par rapport aux rythmes, par rapport à plein de choses… De fait, les prémices du spectacle remontent à près de quinze ans. J’ai vraiment commencé à travailler sur les chansons en 2008. Les débuts en solo à la contrebasse représentaient un défi énorme ; c’est tellement technique au début de chanter et de jouer en même temps. Quand j’ai donné le premier concert, à côté de Saint-Étienne, je me suis dit : OK je l’ai fait, c’est super, mais je ne le referai plus !
Le spectacle a donc évolué par la suite : le solo a muté en duo, puis en quartette…
Oui, d’abord Michael est arrivé en 2014 à l’occasion du premier petit disque qu’on a fait. Puis, sur scène, on a vraiment fait notre première tournée en 2017. Pour la formation en quartette, les deux cuivres jazz, Franck Boyron et Aurélien Joly, étaient déjà là en 2014 pour le premier album, mais pas en concert. Là aussi, c’est venu après, et c’est depuis le dernier album (2019) que l’on tourne vraiment à quatre. Cela faisait plusieurs années que j’avais vraiment envie de cette couleur un peu plus claire qu’ils amènent tous les deux de par l’écriture musicale et qui passe aussi par le jeu, l’amusement qu’il y a entre nous et l’intensité que cela apporte aussi au niveau de la musique.
Pourquoi ne jouez-vous pas à quatre au Théâtre de Passy ?
Pour des raisons techniques. La salle est un peu petite, la distance entre les premiers fauteuils et le plateau n’est pas assez grande pour les cuivres : avec ces instruments qui imposent un certain niveau sonore, nous sommes tous obligés de monter en puissance pour atteindre un équilibre, ce qui nous fait perdre un peu d’intimité et n’est pas vraiment adapté à ce théâtre.
Depuis 2017, votre activité n’est-elle consacrée qu’à Contrebrassens ou y a‑t-il d’autres choses à côté ?
Depuis 2017, année du premier album, c’est devenu mon spectacle majoritaire. Disons que c’est le spectacle pour lequel je travaille le plus. À côté, je continue de collaborer avec d’autres artistes car c’est absolument nécessaire pour me nourrir, pour me renouveler, pour me confronter… donc on navigue au gré des tournées des albums.
Et l’après-Contrebrassens ?
Il n’y a pas d’après-Contrebrassens ! C’est un projet qui va me suivre pendant très, très longtemps. Je grandis et me construis avec ce projet, j’évolue avec lui. Alors, je continuerai à chanter, c’est sûr. Je suis chanteuse, contrebassiste, prête à répondre à tout autre projet que l’on pourrait me proposer, et qui m’intéresse bien sûr. Je serais très contente de faire d’autres choses, mais je ne porterai pas d’autres projets comme je porte celui-ci. Contrebrassens est une aventure très spéciale, qui a eu une magie tout de suite, dès que j’ai commencé à jouer Brassens à la contrebasse : c’est très spécial, très précieux, cela arrive rarement dans une carrière. Nous continuerons à faire évoluer Contrebrassens, il n’y a pas de date de fin !
Question à la chanteuse : d’autres auteurs compositeur que Brassens qui pourraient-ils vous inspirer ?
C’est vrai que, parfois, il y a des envies, mais je serais contente que l’on me propose un projet. Ce qui me plaît dans le fait d’être interprète, c’est un regard, un point de vue. Par exemple, hier, quelqu’un me disait « vous pourriez chanter Barbara », mais ma voix est très proche de la sienne, qu’est-ce que je vais apporter ? ou plus exactement est-ce que je vais permettre à l’auditeur d’entendre autre chose ? Du fait de cette similarité de voix, du moins dans la tessiture, cela n’a pas tellement d’intérêt de me comparer avec Barbara, pour dire que je vais tenter de faire aussi bien qu’elle. Mais des classiques anglo-saxons ? oui, tout à fait. Le répertoire jazz classique aussi, c’est intéressant. Parmi les gens auxquels j’ai le plus pensé, il y a Boris Vian, Félix Leclerc… J’aimerais aussi composer pour qui me donnerait des textes, voire interpréter des œuvres originales. Écrire moi-même des textes, je l’ai fait, mais très peu et c’est pour moi…
Madame;
Nous somme aujourd’hui le 03.0302024. J’ai écouté un passage de votre version » La princesse et le croque notes » . Je suis allé sur YouTube pour écouter la version intégrale, que j’ai écouté plusieurs fois de suite, avec frissons à chaque fois . Vous avez joué à Ivry , vous connaissez donc bien-sûr le travaille d’Allain Lepreste. Je pense que votre talent et sa poésie seraient une bonne rencontre.
Bravo, merci.