Son rendez-vous raté, en 1974, avec la comédie musicale aura sans doute incité la regrettée Régine à privilégier une carrière en solo autour de la chanson et de la revue, plutôt que de renouveler l’expérience du spectacle à plusieurs. Pourtant, quelques décennies plus tard, elle renouait avec le genre, dans des conditions à la fois somptueuses mais impitoyables…
Au printemps 2011, la voilà sur la scène du Kennedy Center à Washington pour une série de représentations de… Follies, le mythique musical de Stephen Sondheim, entourée de – excusez du peu ! – Bernadette Peters, Elaine Paige, Jan Maxwell, Danny Burstein, Ron Raines, Rosalind Elias… (toute la distribution est ici). Elle incarne alors Solange LaFitte, la « Française de service », dont la chanson « Ah, Paris! » célèbre – en principe – le raffinement et la joie de vivre dans notre bien-aimée capitale. Du sur-mesure donc pour celle que l’on surnommait la « Reine de la nuit » et qui déclarait au Washington Post entre deux répétitions : « Je ne m’arrête pas. Je suis immortelle. Vous savez, comme les vampires. » À 81 ans, après des années à conduire elle-même ses projets, il lui a semblé que le moment était venu de tenter à nouveau l’expérience de troupe. La presse américaine n’a pas été – doux euphémisme – convaincue par ce choix…
Le critique du New York Times, qui donnait son avis dans un article daté du 22 mai, finissait par être pleinement convaincu par un second acte qui rachetait la soirée, mais était fort déçu par la première partie pour plusieurs raisons. Il écrivait notamment : « Même les scènes inratables – dans lesquelles les anciens troupiers refont vivre leurs grands numéros d’antan – semblent un peu mécaniques (ou, dans le cas de Régine censée être une Française pétulante et explosive, plus qu’un peu). »
Variety soulignait les points communs entre l’artiste et son rôle sur scène : « Quant à Régine, parisienne, 81 ans, doyenne des discothèques, dans le personnage comique de Solange LaFitte, stéréotype de la danseuse vieillissante, son numéro mondain ‘Ah, Paris!’ tient à peine de la composition. »
Dans le DCist du 25 mai, on lisait : « […] la chanteuse française Régine est hors sujet (et, en vérité, ne joue pas dans sa catégorie), en offrant une interprétation embarrassante et pâteuse de ‘Ah, Paris!’. » Le DC Theatre Scene allait dans le même sens : « Régine […] s’est embrouillée dans les paroles de ‘Ah, Paris!’ et on aurait dit qu’elle manquait de répétitions. » Newsday.com y allait sans détour : « Régine est juste pitoyable dans ‘Ah, Paris!’ »
D’autres avis de blogueurs confirmaient cette impression. « Régine, instable sur ses pieds, s’est postée côté jardin et a offert un ‘Ah, Paris!’ sans enthousiasme (ni consonnes), puis s’est arrêtée pour recevoir sa part attendue d’applaudissements. » (Source.) « La Solange de Régine était en plus mauvais état que les ruines de Rome. » (Source.)
The Beacon enfonçait le clou méchamment. Après avoir énuméré les artistes principaux en louant leurs qualités et leurs affinités avec Broadway et le répertoire de Sondheim, le rédacteur s’étonnait : « Curieuse démarche que de faire venir de Paris Régine (apparemment, seul le prénom suffit), à propos de laquelle le programme de salle indique de façon très libre qu’elle est ‘chanteuse’ et qu’elle est l’inventrice de la discothèque, tout ça pour croasser une chanson. N’en disons pas plus. »
Ces critiques défavorables expliquent-elles qu’elle ne fera pas partie de la distribution lorsque lorsque la production poursuivra sa route à Broadway à l’été 2011 ? Pour ce rôle, et d’autres à pourvoir, une annonce de casting a même paru :
SOLANGE LAFITTE: (late 60’s to early 70’s) A star of the Follies who turned herself and her Frenchness into a brand, she’s a perfume maven. Everything about her is a little bit too much, including her style and her accent. Sings « Ah, Paris! ». In good shape, must move well. A character. Strong character belt with solid low range.
On pourra se forger son propre avis en regardant la captation qui circule sur YouTube ? (de piètre qualité, et qui, à tort, mentionne Mary Beth Peil dans le rôle de Solange, alors qu’elle ne rejoindra la production qu’à Broadway quelques mois plus tard). On y voit Régine faisant son entrée à 10min 15s en haut de l’escalier à cour. Puis, à 13min 41s, on la retrouve pour une très courte intervention quasiment réduite à néant : ici, pas de long boniment sur les bienfaits du parfum « Caveman by Solange », qui figurera pourtant lors de la reprise de la production au Marquis Theatre à l’été 2011, mais avec une autre artiste (voir ici à 13min 27s). On identifie sans peine son accent montmartrois que ne reniera pas Denis D’Arcangelo lorsqu’il reprendra le rôle en 2013 à l’Opéra de Toulon. Enfin, à 30min 38s, elle entonne son grand solo « Ah, Paris! ». Et elle ne réapparaîtra pas dans le numéro « Who’s That Woman? (Mirror, Mirror) », tandis que toutes ses collègues se joignent pour danser avec Stella.
Régine n’était certes pas une habituée du répertoire de Sondheim. Pourtant, quelque trente-cinq années plus tôt, leurs routes s’étaient déjà croisées…
Avec son titre mystérieux, The Seven-Per-Cent Solution, sorti en 1976 dans les salles obscures, suscite la curiosité à bien des égards. Comme sa traduction française l’indique – Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express –, le film raconte une énième enquête du célèbre détective britannique. Au générique, on trouve de fameux noms : Robert Duvall dans le rôle du Docteur Watson, Vanessa Redgrave, Laurence Olivier, Joel Grey (oui ! l’inoubliable Emcee du film Cabaret de 1972) et, en vedette internationale… Régine.
Dans une intrigue viennoise qui mêle addiction à la cocaïne et psychanalyse freudienne, Régine tient le rôle de Madame, un personnage taillé sur mesure de tenancière d’établissement nocturne peuplé de jolies filles aux services tarifés. Elle n’hésite pas à accueillir et divertir la clientèle en interprétant, avec un accent et une gouaille tout à fait de circonstance, une chanson écrite – paroles et musique – par… Stephen Sondheim. (Voir à partir de 57min 56s de la vidéo intégrale, hélas d’assez mauvaise qualité.)
Certains se sont demandé si c’était bien la voix de Régine qu’on entend dans la film ou si elle n’avait pas été doublée par une certaine Georgia Brown : voir ici. Voilà une controverse dont seul un Sherlock Holmes pourrait démêler les fils…
Écrite apparemment pour le film sorti en octobre 1976, « The Madame’s Song », au refrain valsé et aux paroles à double sens on ne peut plus grivoises, figurait déjà sous le titre « I Never Do Anything Twice » dans la revue musicale Side by Side by Sondheim créée quelques mois plus tôt, en mai 1976, à Londres. Sur scène, la chanson était interprétée par Millicent Martin, qui en fera son cheval de bataille et la reprendra quelques années plus tard, toutes plumes dehors et toujours avec autant de malice :
Patti Lupone n’a pas pu résister à l’inclure dans ses tours de chant – n’hésitant pas, pour l’occasion, à se munir du délicieux accessoire mentionné dans les paroles – et à l’enregistrer sur son album Matters of the Heart :
La version très lyrico-théâtrale de l’immense Judy Kaye vaut le détour :
Enfin, le sémillant Jeremy Taylor Hall en proposait récemment une version plus mâle :
When I was young and simple
(I don’t recall the date)
I met a handsome Captain of the Guard
He visited my chambers
One evening very late
In tandem with a husky St. Bernard
At first I was astonished
And tears came to my eyes
But later when I asked him to resume
He said, to my surprise
« My dear, it isn’t wise
Where love is concerned
One must freshen the bloom
Once, yеs, once for a lark
Twice, though, loses thе spark
One must never deny it
But after you try it
You vary the diet »
Said my handsome young Guard
« Yes, I know, that it’s hard
Still, no matter how nice
I never do anything twice »
Unh unh unh unh unh unh unh
I think about the Baron
Who came at my command
And proffered me a riding crop and chains
The evening that we shared
Was meticulously planned
He took the most extraordinary pains
He trembled with excitement
His cheeks were quite aglow
And afterword he cried to me, « Encore! »
He pleaded with me so
To have another go
I murmured caressingly
« Whatever for? »
Once, yes, once is a lark
Twice, though, loses the spark
Once, yes, once is delicious
But twice would be vicious
Or just repetitious
Someone’s bound to be scarred
Yes, I know that it’s hard
Still, no matter the price
I never do anything twice
Unh unh unh unh unh unh unh
And then there was the Abbot
Who worshipped at my feet
And dressed me in a wimple and in veils
He made a proposition
(Which I found rather sweet)
And handed me a hammer and some nails
In time we lay contented
And he began again
By fingering the beads around our waists
I whispered to him then
« We’ll have to say Amen »
For I had developed more catholic tastes
Once, yes, once for a lark
Twice, though, loses the spark
As I said to the Abbot
« I’ll get in the habit
But not in the habit »
You’ve my highest regard
And I know that it’s hard
Still, no matter the vice
I never do anything twice
Once, yes, once can be nice
Love requires some spice
If you’ve something in view
Something to do
Totally new
I’ll be there in a trice
But I never do anything twice
Except
No, I never do anything twice