Rencontrer la personne à qui l’on écrit des lettres depuis dix ans réserve bien des surprises…
17 août 1977. Nina doit enfin rencontrer César, ce garçon à qui elle écrit depuis dix ans. Un cadeau d’anniversaire qu’elle et son entourage n’étaient pas prêts à recevoir…
Notre avis : C’est un tout petit nom. Presque le plus petit sur les affiches qu’il a fait imprimer. Pourtant, Thomas Bernier n’est rien de moins désormais qu’un auteur-metteur en scène.
À 27 ans, l’artiste, que beaucoup ont vu sur scène dans Mistinguett, Grease, Frozen ou Le Tour du monde en 80 jours, a sauté le pas. Passant de la lumière à l’ombre, il a pris la plume et décidé d’écrire sa première pièce de théâtre, présentée depuis le 16 octobre au Théo-Théâtre, Signé César. Un récit croustillant qui plonge le public en plein cœur d’une famille, un beau matin de l’été 1977, au lendemain de la mort d’Elvis Presley… Ce jour est surtout celui des 24 ans de Nina qui attend fébrilement un cadeau pour le moins spécial. Elle doit en effet rencontrer un garçon avec qui elle échange des lettres depuis dix ans : César. Ils ne se sont jamais vus, jamais parlé, jamais entendus. L’heure est venue de mettre un visage sur une décennie de relation épistolaire totalement secrète.
Dans ce foyer sans père, où frère et sœur s’entendent comme chien et chat, les anniversaires répondent à un rite minuté. Mais la future rencontre est dans toutes les têtes… du moins, celles des spectateurs et de Nina. La jeune fille est anxieuse, sa mère survoltée, son frère effacé. Seule dans la confidence, Mandoline, sa meilleure amie, balance entre curiosité et jalousie. L’excitation monte. C’est alors que l’on frappe à la porte…
La première œuvre d’un jeune auteur appelle souvent de l’indulgence ou des encouragements. L’une et l’autre sont tout simplement inutiles ici, tant Signé César est une pièce merveilleusement aboutie, formidable de réalisme et d’émotions.
Oscillant habilement entre légèreté et gravité, ce quasi-huis clos de 24 heures dans une cellule familiale en ébullition cueille les spectateurs par la force d’un texte aussi drôle que profond et par ses rebondissements. Car, entre dialogues de sourds et sentiments exacerbés, les rancœurs vont exploser, les sentiments se révéler, et les larmes couler…
Thomas Bernier ne survole pas. Il pointe, il souligne, il enfonce. De l’admiration à la jalousie, de l’indifférence aux non-dits, il illustre la complexité des relations humaines entre ces protagonistes liés par le sang, le cœur ou l’âme.
L’écriture est simple mais juste, le récit minutieusement travaillé, la montée en puissance parfaitement maîtrisée et la pression omniprésente. On ne peut s’empêcher de penser à Jaoui-Bacri pour l’humour, à Jean-Luc Lagarce pour la tension, à Danielle Thompson pour cette galerie de personnages entremêlés. Et quels personnages ! Signé César est servi par une distribution cinq étoiles. Lucie Riedinger (La Famille Addams, Les Instants volés, Robin des Bois, la légende… ou presque) en mère totalement hystérique de son fils, est irrésistible. Elle offre un jeu particulièrement bouleversant. Face à elle, l’héroïne du jour, Léna Mée (Nina) tour à tour dure et touchante, se révèle progressivement au fil du récit. Floriane Ferreira (Mandoline), exubérante à outrance, incarne à merveille la meilleure amie possessive. Elle a d’ailleurs droit aux répliques les plus drôles de la pièce. Aux côtés de ces caractères forts, il faut toute la finesse de Bastien Monier et Louis Buisset pour s’immiscer. Ils y parviennent sans problème. Mention spéciale à Bastien Monier pour la justesse de son interprétation.
On ne peut qu’être impressionné par la performance de cette nouvelle génération, comme par celle de l’auteur qui, en plus de livrer un texte frappant d’authenticité et de maturité, maîtrise parfaitement le rythme de son récit. Ce que l’on pourrait prendre, a priori, pour quelques longueurs trouve toujours une explication. Si la musique adoucit les mœurs, seuls les mots peuvent soigner les blessures.
Assisté simplement de Guillaume Beaujolais à la mise en scène, sans moyens, sans expérience, mais pas sans audace, Thomas Bernier est parvenu à donner naissance à une comédie dramatique brillante, et Signé César est assurément une pièce à découvrir.
Il faudra réimprimer les affiches : Thomas Bernier est désormais un grand nom.