Le titre de cette nouvelle comédie musicale peut paraître étrange, tout comme l’était Shucked la saison dernière. En réalité, c’est une abréviation de « suffrage », un mot qui est plus familier, mais c’est également la façon dont les mouvements sociaux générés par les femmes demandant l’égalité de leurs droits, en Angleterre d’abord, puis en Amérique, étaient connus.
Bien que ces mouvements aient commencé à se manifester vers le milieu du 18e siècle, ils prirent une importance plus particulière aux États-Unis à la veille de la Première Guerre mondiale quand des activistes comme Alice Paul, Ruza Wenclawska, Carrie Chapman Catt, Mary Church Terrell et Alva Belmont, pour ne nommer qu’elles, et la National American Woman Suffrage Association, redoublèrent d’efforts sous la présidence de Woodrow Wilson afin d’obtenir un changement radical et immédiat. Un projet de loi présenté en 1913 devant le Congrès devint rapidement un sujet de toute première controverse avant d’être finalement ratifié en 1920.
Le spectacle explore les difficultés multiples auxquelles ces organisatrices ont dû faire face – nombreuses sont celles qui furent arrêtées, mises en prison et maintenues derrière les barreaux dans des conditions intolérables pour avoir manifesté –, mais cette période allait marquer un tournant décisif dans le conflit et donner à la plupart des Américaines les droits qu’elles estimaient être également les leurs.
Conçu, écrit et imaginé par Shaina Taub, actrice aux talents multiples, également compositrice des chansons, le spectacle retrace en l’espace d’un peu plus de deux heures les épisodes marquants de cette période, mais se penche également occasionnellement sur des moments privés, notamment une petite histoire d’amour entre le secrétaire d’État Dudley Malone (Tsilala Brock) et l’activiste Doris Stevens (Nadia Dandashi), arrêtée lors d’une manifestation puis incarcérée, dont il obtient la libération de la prison avant de l’épouser.
Dans son ensemble, la distribution, entièrement féminine, fait honneur à ce fragment de l’histoire aux États-Unis, en présentant avec réalisme ces pionnières des droits des femmes qui ont toutes laissé leurs noms dans les archives du pays. Les couleurs mauve et jaune de la NAWSA ajoutent une note d’authenticité aux débats qui les opposent avant qu’elles n’adoptent un front commun, ainsi que l’énergie dont elles témoignent dans les marches organisées.
Dans le rôle d’Alice Paul, une organisatrice au jeu ferme et déterminée, Shaina Taub reste très réaliste mais ne domine pas la distribution, bien secondée par d’autres actrices de talent, dont Jenn Colella (Carrie Chapman Catt), Anastacia McCleskey (Mary Church Terrell), Emily Skinner (Alva Belmont) et Nikki M. James (Ida B. Welles), également captivantes dans leurs créations diverses. La seule qui laisse une impression désobligeante est Grace McLean dans le rôle de Woodrow Wilson, dont les manières de parler et de se conduire font davantage penser à un personnage de comédie burlesque, soit qu’elle ait été dirigée dans ce sens par Leigh Silverman, le metteur en scène, soit que Shaina Taub ait écrit ainsi le rôle afin d’en faire un bouffon au sein d’une action autrement sensible. Le fait est que cela ne fonctionne pas avec le sujet ou avec l’action elle-même.
La plupart des dialogues sont chantés, plutôt que parlés, sur des accompagnements musicaux sans motif apparent, ce qui les rend moins intéressants et moins convaincants. De leur côté, les chansons, bien adaptées au contexte de l’action, sont pour la plupart peu mémorables, à l’exception de quelques-unes comme « Ladies », « Let Mother Vote », « Finish the Fight » et « Keep Marching », qui donnent au spectacle les moments d’ensemble qui provoquent l’enthousiasme de la salle.
Dans une saison qui vient de voir les créations de spectacles de premier choix se multiplier, Suffs reste une comédie musicale intéressante sur un sujet propre à retenir l’attention, mais elle s’efface devant les blockbusters qui attirent les foules.