C’est l’un des échecs les plus retentissants et les plus surprenants de la nouvelle saison de Broadway. Cette nouvelle comédie musicale qui a débuté le 9 novembre vient d’annoncer sa dernière pour le 4 janvier prochain. Spectacle extravagant digne de son titre, The Queen of Versailles, l’un des joyaux de la saison actuelle, qui a coûté la bagatelle de 25 millions de dollars, n’a pas attiré suffisamment de spectateurs pour pouvoir rester à l’affiche. Et pourtant, doté d’une distribution hors pair menée par la ravissante Kristin Chenoweth, l’une des grandes vedettes du théâtre musical de Broadway, et enluminé par une série de chansons créées pour l’occasion par Stephen Schwartz, célèbre grâce aux chansons qu’il a écrites pour Wicked, c’est un spectacle innovant autant qu’attachant.
Inspirée d’un documentaire réalisé par Lauren Greenfield en 2012 sur la vie d’un couple américain, Jackie et David Siegel, qui a entrepris de faire bâtir une demeure gigantesque en Floride pour rivaliser en grandeur et en aspect avec le château de Versailles, la comédie musicale mêle allègrement la parodie et l’inspiration théâtrale, et propose une soirée pleine de rebondissements et de plaisir dans un spectacle qui tient bien la route. La première scène, qui se passe dans l’une des grandes salles du château, surplombée par de majestueux chandeliers et ornée d’immenses portraits de style XVIIe, donne bien le ton de l’œuvre, même si ce décor surprenant est totalement factice.
L’histoire, réécrite par Lindsey Ferrentino, est centrée sur Jackie, issue d’une famille pauvre, qui se marie, a une fille, se sépare de son mari, et participe au concours de Miss Florida en 1993, qu’elle gagne. Ainsi couronnée, elle fait la connaissance de David Siegel, un riche entrepreneur immobilier plus âgé qu'elle de trente ans, qui se laisse prendre à son désir de bâtir dans le voisinage d’Orlando, en Floride, une demeure aussi impressionnante que le château de Versailles, qu’elle a toujours admiré de loin – comme le proclame Jackie : « Si vous pouvez réaliser des choses grandioses, faites-le. »
La crise économique de 2008, cause d’une récession monétaire profonde, oblige le couple à mettre leur projet en sourdine. Ils le reprennent dès la crise passée, réalisant le rêve de Jackie d’avoir un domaine gigantesque où passer le restant de sa vie. Mais David disparaît en avril 2025, laissant à Jackie la charge de terminer le projet, maintenant estimé à plus de 100 millions de dollars, de l’une des demeures personnelles les plus vastes des États-Unis.
D’un intérêt tout particulier, le livret s’autorise à faire cohabiter les personnages actuels et leurs équivalents historiques. C’est ainsi que certaines scènes sont partagées par Jackie et Marie-Antoinette, tandis que d’autres donnent à Louis XIV le loisir de décrire les plaisirs de Versailles en duo avec Jackie. C’était peut-être un peu risqué mais, dans le même temps, c'est fait non sans une certaine ironie qui donne au spectacle un reflet particulier que des Français ou même des Européens de bonne souche pourraient apprécier.
Le spectacle The Queen of Versailles n’est pas sans évoquer Tammy Faye d’Elton John par son sujet et la nature de ses personnages (deux êtres richissimes en quête d’une fortune), un échec total il y a deux saisons. En revanche, il possède d’énormes qualités : les chansons de Stephen Schwartz, souvent prenantes et s'intégrant parfaitement à l’action ; des costumes chatoyants dessinés par Christian Cowan, et particulièrement ceux créés pour Kristin Chenoweth ; et des décors luxueux bien en rapport avec la vision d’ensemble — le tout justifiant pleinement les fonds engagés pour faire de cette production une œuvre très distinguée. Mais c’est sans doute là son moindre défaut. En effet, le budget de cette production dépasse de loin le montant généralement alloué à un spectacle musical à Broadway et n’est pas du tout compensé par la billetterie : les spectateurs, malgré les critiques excellentes et la présence à l'affiche d’une actrice appréciée, se sont détournés, préférant voir des spectacles plus mesurés et dont le prix des places sont moins élevés.
Pour que The Queen of Versailles reste à l’affiche, ses producteurs auraient dû remplir le St. James Theatre à chaque représentation à raison d’un million de dollars. Tel n’a pas été le cas et quand bien même le spectacle possède des qualités, les amateurs ne sont pas venus aussi nombreux qu'on l’espérait.
En fait, le vrai problème est que Broadway est en train de traverser une crise profonde qui touche les spectacles et contraint les producteurs à faire face aux difficultés qui les entourent – des dépenses élevées sur tous les plans (location des salles, coûts des décors et costumes, salaires des acteurs, des musiciens et des techniciens du spectacle) alors que les spectateurs sont de plus en plus réticents à l’idée d’aller voir des spectacles dont le prix des places ne cesse d’augmenter. Il y a seulement trois ans, pour des places d’orchestre, les plus demandées, il fallait débourser environ 125 $ ; maintenant la plupart tournent autour de 185 $, et pour certains spectacles elles montent parfois jusqu’à 200 ou 300 $, voire plus.
Pour rester à l’affiche, les spectacles doivent en premier lieu rembourser les frais de production qui se chiffrent en moyenne autour de 15 millions de dollars avant même que la première n'ait lieu, auxquels s’ajoutent les frais hebdomadaires récurrents auxquels les producteurs doivent faire face. Les seuls spectacles qui restent à l’affiche à l’heure actuelle sont les gros succès confirmés depuis des années : Le Roi Lion, Chicago, Aladdin, Six, MJ: The Musical et d'autres productions qui ont fait leurs preuves, ont remboursé leurs frais généraux et peuvent maintenant régler les dépenses hebdomadaires couvertes par des spectateurs conscients de voir des comédies musicales devenues célèbres du fait de leur longévité.
Peu de nouveautés ont cet avantage et la plupart souffrent du manque d’intérêt des touristes ou visiteurs désireux de s’extasier devant un spectacle de Broadway. La saison passée, une douzaine d’œuvres nouvelles sont ainsi restées à l’affiche l’espace d’un court instant seulement, fait rare mais qui maintenant semble être la tendance. L’avenir nous dira si elle se confirme, mais il semble presque certain que les spectacles nouveaux ont de moins en moins de chance de rester à l'affiche pendant des années.
Photos : Julieta Cervantes


























