À la fin du mois dernier, la rédaction a eu le plaisir d’assister à la reprise de Wonderful Town à l’Opéra de Toulon, œuvre dont la création française a eu lieu dans la même maison en 2018.
Ce qui frappe dès le premier numéro, c’est la re-contextualisation de ce musical de 1953 dans une époque plus récente que l’original. En effet, les décors représentent un New York des années 80–90 et dans les paroles de « Christopher Street » sont citées les émeutes de Stonewall, qui, en 1969, ont marqué l’émergence du mouvement LGBT aux États-Unis et ont renforcé l’image libérale et bohème du Greenwich Village. Le metteur en scène Olivier Bénézech expliquait ce choix en précisant à la rédaction : « New York est une ville qui change tout le temps… si on aime cette ville, il ne faut pas la figer dans le temps. »
Les premières scènes plantent l’ambiance, et l’on peut se demander si transposer à la fin du XXe siècle un musical golden age dont l’action se déroule dans les années 1930 est une bonne idée. Globalement, le pari est réussi – on regrettera parfois les projections trop chargées en fond de scène – et cela donne assurément au spectacle une modernité éloignée de l’image parfois doucereuse que le public garde des œuvres des années 50. Olivier Bénézech nous confiait d’ailleurs : « Je n’aime pas du tout l’aspect “rétro” des années 40–50, ça peut vite devenir ringard, à moins d’avoir des moyens énormes pour le réaliser. »
Le reste du spectacle passe à une vitesse folle et l’on redécouvre avec joie une partition remplie de pépites, des paroles souvent très amusantes, des numéros intelligemment mis en scène et chorégraphiés. On ne s’ennuie pas une seconde et on s’attache sincèrement aux deux sœurs très bien campées par Kelly Mathieson, la petite sœur pétillante qui joue de son physique, et Jasmine Roy, la grande sœur responsable, ambitieuse, au répondant qui fait rire tout le public. Les personnages secondaires ne sont pas en reste et, vocalement, tout est parfait chez tout le monde.
Il faut aussi souligner à quel point les comédies musicales données dans des maisons d’opéra sont un ravissement pour les passionnés du genre, qui peuvent en effet admirer sur scène un chœur fourni et un large ensemble de danseurs, ainsi qu’un grand orchestre de qualité, ici magnifiquement dirigé par Larry Blank, venu tout droit de Los Angeles pour l’occasion ! Ce foisonnement, cette richesse et l’excellence de tous ces talents font tellement plaisir à voir et à entendre. Merci donc à l’Opéra de Toulon d’avoir créé en France et remis à l’affiche ce classique au haut potentiel comique. Et si vous avez encore une fois raté cette superbe production, n’oubliez pas qu’une captation publiée chez Bel Air est disponible en DVD !
La fermeture, dès la saison prochaine, du théâtre pendant deux ans et demi pour travaux et l’arrivée d’un nouveau directeur le 1er septembre dernier laissent planer une incertitude sur la poursuite de la programmation régulière de comédies musicales… Nous espérons évidemment que ce Wonderful Town aura des successeurs.
Notre avis (à l’occasion de la création en janvier 2018) : L’Opéra de Toulon, on le sait, est habitué à programmer régulièrement des comédies musicales américaines peu connues du public français. Il n’est donc pas surprenant que, après Street Scene en 2010, Follies en 2013 et Sweeney Todd la saison dernière… ce soit Wonderful Town qui soit à l’affiche du théâtre provençal. On s’en réjouit même… puisqu’il s’agit de la création française de l’œuvre de Leonard Bernstein.
Que ce musical créé en 1953 ait tardé à trouver son chemin jusqu’à sa première scène dans l’Hexagone est peut-être à mettre sur le compte d’un livret à qui fait défaut le rythme d’une intrigue qu’on aimerait plus étoffée : deux sœurs débarquées de leur Ohio provincial s’installent à New York pour concrétiser leurs aspirations professionnelles et artistiques mais se retrouvent la proie d’hommes peu scrupuleux à tous égards. Les quelques revendications politiques qui surgissent au détour des lyrics, dont certaines sont pourtant encore d’actualité, se retrouvent noyées au milieu d’une histoire qui n’avance pas mais sert de prétexte à des numéros et à des portraits bien trempés.
En effet, la partition est surtout passée à la postérité pour ses songs et ses ensembles – « A Little Bit in Love », « Ohio », « A Quiet Girl », « Swing », « What a Waste », « Conga », « It’s Love », « Wrong Note Rag » –, de véritables pépites représentatives du talent du compositeur de West Side Story, capable aussi bien d’inventer d’inoubliables mélodies sensuelles ou nostalgiques qu’on sifflote sans retenue que de brillantes séquences rythmées d’inspiration jazzy ou latino-américaines qui donnent envie de danser jusqu’à épuisement.
La production toulonnaise exploite ces nombreux moments avec brio, sous la direction musicale de Larry Blank et la mise en scène d’Olivier Bénézech, dans des tableaux aux costumes et décors colorés, et aux chorégraphies enlevées et exécutées avec maîtrise. La magnifique équipe de comédien-ne‑s chanteur-se‑s est couronnée par le savoir-faire vocal et la justesse d’interprétation de Jasmine Roy dans le rôle de la sœur aînée, Ruth Sherwood, dont l’allure n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de Rosalind Russell, la créatrice du rôle.