Notre avis : Contrairement à ce que l’on appelle ici les jukebox musicals, dans lesquels des chansons rock ou pop connues et empruntées à des sources différentes doivent s’adapter à l’action, The Who’s Tommy, adapté d’un des tout premiers « opéras rock », bénéficie du fait que les chansons ont été écrites afin d’illustrer au mieux une histoire : celle d’un gamin dont les mésaventures, tout jeune, l’ont incité à se renfermer sur lui-même pour mieux s’isoler du monde qui l’entoure. L’ensemble a été conçu et imaginé par Pete Townshend, leader du groupe The Who.
Cette histoire contient tous les éléments requis pour servir de base à un solide scénario. L’action débute en 1941. Le Capitaine Walker et sa jeune femme attendent un enfant. Ce sera Tommy, leur fils. Mais la guerre fait rage et le père doit rejoindre les troupes qui combattent les forces allemandes. Parachuté au-dessus d’une zone de combat, il est fait prisonnier par les nazis. Quelques semaines plus tard, sa femme est informée de sa disparition et de son probable décès.
Le temps passe et Tommy a maintenant quatre ans. Depuis, sa mère a fait la connaissance d’un autre homme qui est devenu son amant. Elle est surprise et désemparée quand son mari, qui a été libéré par les forces alliées, refait soudainement irruption dans sa vie et découvre qu’elle ne vit plus seule. Une dispute oppose les deux hommes et Walker, se sentant menacé, prend son revolver et tue son rival devant Tommy, totalement interloqué, qui assiste à la scène dans le reflet d’un grand miroir ; il en reste muet, sourd et, selon toute apparence, aveugle.
Des années passent encore et rien ne semble modifier l’attitude de Tommy, maintenant âgé de dix ans : il est toujours muet et toujours hypnotisé par son reflet dans le miroir par lequel il a assisté au meurtre. Quand ils doivent sortir ensemble, ses parents le confient à la garde d’amis ou de membres de la famille, dont l’oncle Ernie, qui se livre à des actes sexuels sur lui, ou son cousin Kevin, un dévergondé qui l’entraîne dans des clubs pop. C’est là que Tommy découvre les pinball machines (flippers) auxquels il gagne fréquemment, à la grande surprise de tous.
Mais devant son attitude qui demeure inchangée, ses parents, désespérés, font appel à quiconque sera en mesure de le guérir tandis que les médecins ne parviennent pas à comprendre son cas ni trouver comment le guérir. Un « requin des rues » et son copain, joueur d’harmonica, leur proposent de l’emmener sur l’île des Chiens, où se trouve une prostituée, l’Acid Queen, qui se dit sorcière et lui fournira des élixirs pour le remettre en état, mais quand elle demande qu’il reste avec elle plusieurs jours, le Capitaine reprend son fils et quitte l’île.
Devenu adolescent, Tommy est devenu le champion des flippers. Son attitude n’a pas changé, jusqu’au jour où sa mère, lasse de le voir toujours se tenir devant le miroir, le brise, ce qui a pour effet instantané de le rendre lucide, débarrassé des traumas auxquels il avait été exposé.
Le ton sérieux et grave de ce scénario donne au spectacle un effet coup de poing, mais ce qui fait surtout l’intérêt ici, ce sont les chansons ultra-percutantes composées pour l’illustrer et qui relèvent des accents rock et des orchestrations pop d’un autre tenant.
Sorti en mai 1969, l’enregistrement sur deux disques allait rester 128 semaines aux hit-parades et se hisser à la 4e place, une rareté à l’époque pour les disques de rock aussi sophistiqués. Il n’en fallait pas plus pour qu’un film soit réalisé en 1975 avec une distribution cinq étoiles, parmi lesquelles on trouve des acteurs et chanteurs populaires comme Ann-Margret, Eric Clapton, Elton John, et surtout Tina Turner dont la présence en Acid Queen allait tout particulièrement retenir l’attention des spectateurs.
Toujours sous l’impulsion de Pete Townshend, qui s’était associé avec le metteur en scène Des McAnuff, il ne restait plus à Tommy qu’à faire ses premiers pas à Broadway, ce qui arriva en 1993. La pièce, qui débuta 22 avril au St. James Theatre et resta à l’affiche pendant plus de deux ans, totalisant 899 représentations.
La reprise actuelle, toujours mise en scène par McAnuff, diffère de la première version par son caractère plus électronique, ses faisceaux lumineux, ses projections en lieu de décors et son imagerie en noir et blanc, qui donnent à la production un aspect sombre et angoissant, pleinement accentué par les éclats puissants d’une musique et de paroles pleines de force.
À cela s’ajoute une distribution qui tient fréquemment la salle en extase avec ses multiples danses déhanchées et savamment synchronisées sous la direction du chorégraphe Lorin Latarro, avec en tête d’affiche : Ali Louis Boursgui, qui fait ses débuts à Broadway dans le rôle de Tommy ; Alison Luff et Adam Jacobs, ses parents ; John Ambrosino, l’oncle Ernie ; Bobby Conte, le cousin Kevin ; et surtout Christina Sajous en Acid Queen, rôle de courte durée mais qui permet à l’actrice de démontrer toutes ses capacités de comédienne et de chanteuse.
Il est certain que la pièce elle-même attirera les fans des Who et de Pete Tonwshend, ainsi que ceux qui ont été marqués par les enregistrements et les différentes productions qui ont été présentées depuis sa création. Au plan purement théâtral, on ne peut qu’être enthousiasmé devant cette production et l’énergie musicale et chorégraphique qui en émane. Les applaudissements nourris à la fin du spectacle témoignent de l’effet qu’il a eu sur la salle.