Inspiré par l’univers de la comédie musicale, David Lescot brosse le portrait, drôle, touchant et fantaisiste, d’une femme qui se libère.
Voyager dans sa vie, retourner dans le passé, explorer le futur comme si l’on parcourait sa propre biographie… Impossible ? Pas sûr, si l’on en juge par ce qui arrive à Georgia, l’héroïne de ce spectacle. Cette universitaire âgée de trente-cinq ans, à qui jusque-là tout réussissait, découvre, après une effroyable série de catastrophes, une capacité étonnante : elle peut se « déplacer » dans le temps. Tout commence lors d’un déjeuner dans un restaurant à concept où on propose une cuisine dépourvue de saveur. Perturbée par les désastres qui lui sont tombés dessus à la suite d’un geste malencontreux, Georgia prend conscience de son nouveau pouvoir. Avec ce saut surprenant dans le fantastique, David Lescot brosse avec le concours, entre autres, des comédiennes et chanteuses Élise Caron et Ludmilla Dabo, le portrait joyeux, comique et sensible – à la fois joué, chanté et dansé – d’une femme qui se libère.
Notre avis (à l’occasion des représentations de décembre 2019 au Théâtre des Abbesses) : Si vous fréquentez un restaurant branché et ascétique qui ne sert que des plats sans saveur — parce que c’est le principe de la « platitude » qu’il revendique (« parce que le plat est aussi une attitude »…) —, arrosé par des eaux plus cristallines que transparentes, et que, par mégarde, vous tentez de recharger votre portable au mini-brumatiseur qui se trouve sur votre table, prenez garde : il pourrait vous en cuire. C’est l’expérience que fait Georgia qui, par cette action malencontreuse, va se retrouver propulsée dans le passé. Aidée par une cliente qui a fait ce même geste fatal, elle va revisiter des pans de sa vie, tenter de répondre à diverses questions… elle qui claironnait, avant d’entreprendre tous ces va-et-vient, que tout allait pour le mieux dans sa vie.
Fouiller le passé pour mieux éclairer le présent est loin d’être un thème novateur, y compris dans la comédie musicale (31 était bâti sur ce principe), mais pour sa première œuvre musicale, David Lescot pousse le curseur juste ce qu’il faut pour emporter le public. Doté d’un humour piquant, qui ne répond à aucun cliché d’usage, son texte brille sans peine, porté par une troupe sensationnelle. Épatant spectacle que ce rêve cauchemardesque, soutenu par une partition subtile jouée par quatre musiciens discrets, qui nous fait entrer dans le tourbillon de la vie de Georgia et en ressentir les contours, d’un premier amour parti en vrille à une situation installée avec un compagnon éperdu d’amour et incapable de finir ses phrases, mais qu’elle n’aime pas, en passant par les connivences avec une meilleure amie dont les sentiments finirent submergés par une vague de mélancolie funeste… Et quelques incursions dans le futur, jusqu’à un dénouement étrange et fantastique. Se laisser prendre par la main, voilà ce que propose David Lescot qui a écrit, mis en scène et composé la musique de ce voyage tout en ritournelles planantes jusqu’à un rap vengeur. Si des références sont éparpillées çà et là, cette comédie musicale est sans nul doute ce qui se fait de mieux dans le genre en France. Humour, débit des mots, jeu soigné avec des mélodies qui mettent les voix en valeur, chorégraphie ad hoc… Le créateur s’est entouré d’une troupe au poil, avec en tête la charismatique Ludmilla Dabo, présente sur scène de bout en bout. Et quel bonheur de voir et d’entendre Elise Caron dans un rôle qui semble taillé pour elle. Les applaudissements nourris du public, que nous partageons volontiers, s’adressent à l’ensemble des comédiens et musiciens, tous unis pour faire de ce spectacle une réussite.